Accueil > Pratiques du pouvoir > Les "politiques" > Lettre ouverte de M. Aubry : université et l’enseignement supérieur : le choix (...)

Lettre ouverte de M. Aubry : université et l’enseignement supérieur : le choix de l’émancipation (18 mars 2009)

mercredi 18 mars 2009, par Laurence

10 rue de Solférino
75333 Paris Cedex 07
Tél. 01 45 56 77 81
Fax : 01 45 56 79 30
www.parti-socialiste.fr
Parti Socialiste

La Première secrétaire

[/ Mercredi 18 mars 2009
/]

Madame, Monsieur,

Quel que soit votre rôle au sein des universités, des laboratoires de recherche et de toutes les institutions dont l’objet est de produire du savoir, de le transmettre, de le valoriser, je souhaite m’adresser à vous pour vous faire part à la fois de la grande préoccupation du Parti socialiste à l’égard de vos difficultés, de son soutien à l’égard du mouvement actuel, et de nos orientations pour construire une nouvelle politique.

Le mouvement exceptionnel qui se déroule dans les universités et la recherche intervient dans un contexte où la science est devenue centrale. De nos jours, toutes les sciences sont mobilisées pour répondre aux problèmes de notre temps, et les chercheurs sont sollicités pour proposer leurs analyses. Mais je ne veux pas m’arrêter à cet aspect, aussi essentiel soit-il. Votre rôle est en effet avant tout de produire et de transmettre des connaissances, souvent sans aucune autre finalité que celle de repousser les limites du savoir. La « magie » de la Science, si vous me permettez d’utiliser ce terme un peu décalé dans un tel contexte, est une démarche gratuite d’où naissent des avancées aux retombées aussi inattendues que spectaculaires.

Depuis maintenant plusieurs semaines, les universités sont entrées dans un mouvement dont la nature et l’ampleur sont exceptionnelles. Celui-ci fait suite aux protestations quasi-ininterrompues depuis cinq ans, période durant laquelle la droite n’a eu de cesse de négliger vos institutions, tout en maquillant les données budgétaires, pour faire croire à de prétendues augmentations là où, au mieux, vous avez constaté la stagnation. Les chiffres sont éloquents : la France est désormais à la 14e place mondiale pour son effort de recherche et guère mieux placée pour les dépenses par étudiant. Pourtant la recherche française est reconnue internationalement pour sa qualité dans de nombreux domaines, et les universités ont réussi à accompagner le grand mouvement d’augmentation du nombre d’étudiants.

Face aux projets destructeurs du gouvernment, vous êtes fortement mobilisés. Pour autant, vous soulignez en permanence votre volonté de réforme ; vous avez prouvé votre capacité de propositions lors des Etats Généraux de la Recherche en 2004, dont le gouvernement aurait été bien inspiré de reprendre les conclusions, car contrairement à ce qu’il prétend, il ne fait que travestir ces dernières et en réalité impulse le contraire de ce qui a été préconisé.

Dès le début du mouvement, le Parti socialiste vous a exprimé son soutien, et formule des propositions pour sortir de la crise, qui concerne aussi bien le statut des enseignants-chercheurs et des doctorants, la formation et le recrutement des enseignants, le rôle des organismes de recherche, l’emploi scientifique. Nous sommes ensuite passés à une remise en question complète de la politique du gouvernement en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Car nous vivons un de ces moments particuliers où un corps social se retrouve autour d’une réflexion sur sa place dans la société, son rapport aux citoyens et sur les conditions de son existence. Un moment où une communauté se lève pour arrêter l’offensive idéologique du pouvoir, qui veut instaurer la concurrence entre les personnels, entre les étudiants, entre les établissements. Le combat actuel est politique au sens le plus noble du terme, parce qu’il oppose deux visions du rôle de la science dans
la société. Celle de la droite réduit le savoir à sa dimension immédiatement utile ; elle sacrifie l’investissement à long terme, et la pluridisciplinarité de la recherche.

Pour la gauche, le savoir est au fondement de l’émancipation des individus. Il occupe donc une place centrale dans notre société. Celle-ci est en demande très forte de recherche, et ces demandes sont multiples. Les chercheurs, et les enseignants-chercheurs, ont donc un rôle particulier. Ils doivent à la fois interagir fortement avec la société, et rester indépendants. Interagir car les connaissances qu’ils développent peuvent apporter des réponses aux problèmes auxquels nous sommes confrontés. Mais trop de grands choix
scientifiques sont faits sans débat impliquant les citoyens, ni même les parlementaires. Etre indépendants aussi, car c’est la condition de leur crédibilité, parce que la découverte ne se programme pas et que la société est parcourue d’intérêts souvent contradictoires. Dans un discours délivré le 9 mars, contrastant terriblement avec celui de notre Président de la République qui a attaqué les chercheurs de manière outrancière et injuste, Barack Obama a bien formulé ce point : « promouvoir la science ce n’est pas seulement fournir des
ressources, c’est également protéger une recherche libre et ouverte. C’est laisser les scientifiques (…) faire leur travail, libres de toute manipulation ou contrainte, et écouter ce qu’ils nous disent, même quand c’est gênant - surtout quand c’est gênant. »

La fonction publique offre le cadre indispensable à la liberté d’initiative des scientifiques, les universités et organismes de recherche doivent être organisés à cette fin. La précarité qui s’est développée ces dernières années du fait de l’absence de création d’emplois statutaires, puis de suppressions d’emplois, doit être résorbée. Elle est doublement préjudiciable : d’une part, elle ne permet pas à ceux qui en sont victimes de s’investir dans des projets ambitieux, d’autre part elle détourne de nombreux étudiants des métiers de la recherche. Un plan pluriannuel de création d’emplois scientifiques est indispensable, conjointement à une revalorisation des carrières dans tous les corps de métiers. On ne peut pas prétendre mettre la recherche et l’enseignement supérieur au premier rang des priorités de l’Etat, et ne pas fournir les moyens humains nécessaires à leur développement. Pour attirer les doctorants, il faut leur offrir un vrai contrat de travail, développer les financements de thèse, valoriser la qualité de leur formation, en particulier dans les conventions collectives. Enfin, les enseignants-chercheurs doivent pouvoir s’investir au mieux dans leurs différentes missions. Chez nos voisins, leur service d’enseignement est moins lourd, et plus de personnel
technique et administratif fait fonctionner les services. Une réduction du service d’enseignement doit permettre
que, périodiquement, les universitaires puissent se consacrer pleinement à la recherche. En tout état de
cause, toutes les missions doivent être prises en compte dans les carrières, sur la base d’une évaluation
impartiale.

Les chercheurs que je côtoie me racontent tous, le temps considérable qu’ils passent à chercher de l’argent
pour pouvoir travailler, à répondre à des demandes souvent éloignées de leurs projets scientifiques réels, à
gérer une lourdeur administrative croissante. Il est urgent de redonner aux laboratoires les moyens leur
permettant de lancer des projets par l’augmentation de leurs crédits de base. Ceux-ci doivent reposer sur un
dispositif d’évaluation qu’il faudra reconstruire pour lui donner une pleine légitimité. Enfin, le rôle des
organismes publics de recherche doit être réaffirmé, au moment où ils sont indignement attaqués par le
gouvernement, tout en impulsant leur coopération entre eux et avec les universités. L’attachement très
profond à la dualité de tutelles pour les laboratoires doit être respecté, car c’est une richesse de notre
système.

Enfin, la recherche privée doit être redynamisée. La politique consistant à tout miser sur le Crédit d’Impôt
Recherche (CIR) est un échec : la part dans le PIB de l’investissement privé dans la recherche baisse
régulièrement. Nous devons mettre en place une politique de soutien à la recherche privée plus efficace qui
favorise l’emploi des docteurs et le développement des PME innovantes, par la réorientation du Crédit d’Impôt
Recherche. C’est une politique ciblée qui est nécessaire, alors qu’aujourd’hui ce sont les grands groupes qui
récupèrent la majorité du CIR.

En ce qui concerne l’enseignement supérieur, les besoins de réformes sont profonds. La loi Libertés et
Responsabilités des Universités, que l’UMP a fait voter en catimini ne répond pas aux problèmes des
universités, et en crée de nouveaux, comme le montre notamment la protestation des IUT. Elle met en place
une fausse autonomie, car les universités n’ont pas les moyens nécessaires, et la concentration des pouvoirs
est inefficace. Elle doit être remplacée par une nouvelle loi, qui replace la collégialité au cœur du
fonctionnement universitaire, et respecte l’indépendance des enseignants-chercheurs. Mais cette nouvelle loi
ne peut se limiter à la gouvernance.

En premier lieu, nous voulons augmenter le niveau de formation et de qualification dans notre pays :
c’est une nécessité pour notre développement et un impératif pour promouvoir l’émancipation. Notre
objectif est de former la moitié d’une classe d’âge au niveau de la Licence. Or les tendances actuelles sont
inquiétantes : depuis quelques années, le taux de poursuite d’études des bacheliers est en baisse. Nous
devons tout faire pour permettre la démocratisation des études supérieures. Celle-ci ne peut passer par des
emprunts étudiants, qui forgeraient de nouvelles inégalités. L’allocation d’autonomie est une nécessité, et peut
être financée réformant les différentes aides, notamment fiscales, liées à la politique familiale. Remettre en
marche un ascenseur social est une priorité. La réforme de la formation des enseignants dite de
« mastérisation », que veulent imposer Xavier Darcos et Valérie Pécresse, est grave sous de nombreux
aspects, en particulier par la suppression de l’année de stage consécutive à la réussite au concours, et de son
financement. Les propositions récentes sont très insuffisantes et nous devons au contraire explorer les pistes,
proposées par plusieurs associations, visant à encourager les étudiants qui se destinent aux métiers
exigeants de l’enseignement en leur offrant des financements spécifiques pendant leurs études, et en
préservant le statut de fonctionnaire pendant le stage. Nous refusons la perspective d’une transformation des
postes de fonctionnaires en postes de contractuels. Les études doivent concilier une formation disciplinaire
associant des enseignants capables de suivre l’évolution de leur domaine, et des stages leur donnant accès à
leur premier poste avec une réelle expérience de terrain.

Il s’agit ensuite de bâtir des processus de coopération entre les différents établissements d’enseignement
supérieur : universités, écoles, classes préparatoires, BTS, etc. Les Pôles de Recherche et d’Enseignement
Supérieur (PRES), tels qu’ils avaient été conçus dans le rapport des Etats Généraux de la Recherche (et pas
tels qu’ils ont été mis en place), sont le lieu naturel de cette coopération. On ne peut en rester à une
balkanisation des filières d’enseignement.

Mais pour pouvoir coopérer, il faut qu’il y ait plus d’égalité. Or les différences de financement par étudiant sont
aujourd’hui considérables. Il est urgent d’augmenter les moyens des universités, afin qu’elles offrent un cadre
de travail décent aux étudiants, l’encadrement pédagogique dont ceux-ci ont besoin et un suivi individualisé.
Nous devons également penser la carte nationale des formations supérieures. De nombreux établissements
se trouvent dans des villes moyennes, et sont très inquiets pour leur avenir en raison du Plan-Campus qui
concerne une dizaine de sites et délaisse la plupart des universités ; alors même que celles-ci jouent un rôle
central pour l’accès à l’enseignement supérieur des étudiants défavorisés. Elles doivent occuper une place
importante dans les PRES, favoriser ainsi la mobilité de leurs étudiants entre les différents établissements
composant le PRES, et permettre à leur enseignants-chercheurs de conduire leur activité de recherche dans
un laboratoire du PRES.

Enfin, nous devons agir au niveau européen. Les prochaines élections sont l’occasion d’impulser enfin
des débats au Parlement Européen sur l’enseignement supérieur et la recherche.
Le processus de
Lisbonne est de manière évidente en forte difficulté. L’objectif d’atteindre, en 2010, 3% du PIB pour les
dépenses de recherche est hors de portée. De plus, le soutien financier européen, dont les procédures de
gestion sont trop lourdes, s’adresse essentiellement à la recherche finalisée au détriment de la recherche
fondamentale. Une réorientation de la politique européenne de recherche est nécessaire afin de favoriser des
coopérations solides et durables, au lieu d’organiser la concurrence et offrir des financements de court-terme.

A ce stade, il faut parler des aspects budgétaires. Certes, la France vit une situation économique et sociale
catastrophique. C’est pourquoi les socialistes ont proposé un vrai plan de relance, fondé sur le soutien aux
ménages et à l’investissement. Nous devons poursuivre nos investissements d’avenir. Depuis 2007, le
gouvernement proclame qu’il augmente chaque année le budget de l’enseignement supérieur et de la
recherche de 1,8 milliard d’euros. Malheureusement, ce chiffre est mensonger : la croissance globale réelle
est faible voire nulle. Par ailleurs, les choix de répartition des moyens sont mauvais : les crédits de base des
laboratoires sont au mieux en stagnation, un millier d’emplois scientifiques sont supprimés, pendant que le
Crédit d’Impôt Recherche augmente de 600 millions. Une réorientation de ce budget est donc nécessaire et
possible.

Ces grandes lignes doivent maintenant être déclinées plus précisément car la valeur d’une réforme tient aussi
à son adéquation aux situations de terrain. C’est pour cela qu’avec nos partenaires communistes et
écologistes, nous avons lancé un processus de consultation des organisations de votre secteur. Ces auditions, qui sont rendues publiques par leur diffusion sur Internet, serviront de base à un débat auquel je
vous invite à prendre part. Les propositions socialistes pour l’enseignement supérieur et la recherche
s’appuieront sur ce travail collectif lancé aujourd’hui.

Pour les socialistes, la connaissance est un élément central de leur projet politique. L’éducation, de la
maternelle à l’université, la recherche, et plus généralement les services publics, exige une
renaissance, pour le bénéfice de tous nos concitoyens.
Nous avons besoin d’un travail collectif pour
définir la politique de demain : nous comptons sur vous, pour y apporter votre contribution.

Martine AUBRY,
Première secrétaire,
du Parti socialiste