Accueil > Communiqués et textes de SLU > Les personnels non enseignants dans l’université française

Les personnels non enseignants dans l’université française

par François Théron

mercredi 16 janvier 2008, par Laurence

[|Les personnels non enseignants dans les universités françaises|]

Au moment où s’ouvre le deuxième volet de la réforme dite LRU (chantier « personnels »), une semaine après la diffusion de la lettre « à l’attention des personnels ingénieurs, administratifs, techniques et des bibliothèques » de notre Ministre, Madame Valérie Pécresse, au moment où le mouvement anti-LRU, il faut le reconnaître, bute sur la surdité politique de notre gouvernement et le mutisme inquiétant des médias, il est temps nous semble-t-il, avant les vacances, d’esquisser un bilan, quelques perspectives et, surtout, de poser quelques questions de fond adressées à l’ensemble de la « communauté universitaire ».

1/ Les personnels non enseignants et l’idée d’Université

Si l’on peut raisonnablement, historiquement, soutenir que l’Université a toujours été, non pas un reflet, mais un miroir de la société - où celle-ci fondait son exception motrice (cf enceintes, lois du « domaine universitaire » etc.) - on assiste sans doute aujourd’hui à une situation où l’Université n’est même plus un reflet - du délabrement de la société - mais bien le dernier lieu où quelque honnête homme que ce soit a le désir de se rendre. Les exceptions, en France, ne sont plus dans les Universités, mais dans les Écoles (grandes), les Collèges, les Instituts… C’est ce qui s’appelle l’élitisme à la française. Et ce contre quoi il faudrait vraiment lutter dit-on, au sein de la gauche et de la droite critique.

Premier constat donc : ce ne sont pas les universités qu’il faudrait réformer – s’il faut vraiment réformer - mais l’enseignement supérieur dans son ensemble.

Les Universités d’aujourd’hui sont à l’image de notre monde. Étudiants hâtifs d’en découdre sur le marché du travail (et qui reprochent donc à l’université de fabriquer des chômeurs), personnels sous-payés se réfugiant dans un bureaucratisme paresseux, aigri et ressentimental, professeurs accablés de travail pour certains… Chacun répétant, inconsciemment : « Seul un Dieu peut encore nous sauver »… Ce Dieu, aujourd’hui, s’appelle LRU, c’est-à-dire management et économie, bref u-t-i-l-i-t-é.
Le Saint Esprit, qui parle en langues, vous le dit, à l’adresse de toutes les nations européennes : le Dieu lui-même s’appelle u-t-i-l-i-t-é.
N’oublions en outre jamais que les promesses dudit management et de ladite économie (de marché) suscitent légitimement des espoirs et des désespoirs contrastés suivant les situations des différents établissements d’enseignement supérieur : le potentiel « concurrentiel » n’y est en effet pas tout à fait le même partout.

Le texte ci-dessous, précisément, s’inscrit contre cette perspective et essaie de donner à penser deux trois choses à l’adresse de ceux qui travaillent (contre salaire) à l’Université sans s’y former ni y enseigner.

Résumons. Deux axiomes, et seulement deux pour le moment, sont à tenir ensemble :

a/ les personnels non enseignants, quelles que soient leurs différences de statuts et de mission sont au service des enseignants, des chercheurs ou de l’administration qui les emploient. En majorité fonctionnaires pour l’instant, ils sont au service d’autres fonctionnaires (pour l’instant), dans le cadre d’une mission de service public. Leur statut garantit en principe l’indépendance, l’esprit de collégialité, et d’idéal commun qu’ils partagent avec les personnels enseignants et/ou chercheurs, ainsi qu’avec les institutions qui les abritent… Service public de l’enseignement supérieur et de la recherche donc.

b/ Cela étant posé, l’appel à la collégialité fondant le collectif SLU, et plus profondément fondant à notre sens la seule résistance potentiellement victorieuse face au rouleau compresseur auquel nous avons affaire, ne peut être que vain si persistent, hiérarchiquement, des différences entre personnels enseignants et/ou chercheurs et personnels ni enseignant ni chercheur. Le combat contre la Loi dite LRU, a au moins ce mérite : poser la nécessité de valeurs communes aux deux corps qui travaillent pour l’Université.

Le saucissonnage des catégories pratiqué aujourd’hui, redéfinissant la politique comme un art de la division qui vise à « réformer » en tapant où ça fait mal, enterre en ce sens un cadavre mort depuis longtemps. Son spectre n’en continue pas moins de hanter les esprits lucides a minima.

Les difficultés qu’ont connues les personnels non enseignants pour se mobiliser dans ce contexte tiennent à de multiples facteurs : grande hétérogénéité des corps, des missions et des statuts, présence assez importante de contractuels dont la seule perspective, dans un contexte de chômage de masse et une fois annoncée la politique de non-création de postes, est l’espoir fondé dans les recrutements en cdd/cdi prévus par la Loi etc. Ces difficultés ne concernent d’ailleurs pas seulement les personnels universitaires mais plus largement l’ensemble des salariés et travailleurs non-salariés qui ont témoigné d’un goût étrange, ces dernières années, pour les revendications culturelles, ethniques ou sexuelles au détriment des questions d’économie politique.
Les enjeux de la dépolitisation, et l’ironie avec laquelle le pouvoir appelle à l’adhésion syndicale comme seule mesure de la représentativité (« j’associerai à la réflexion vos organisations représentatives »), donnent la mesure d’un « chantier » dans lequel les contractuels vont être amenés à jouer un rôle décisif. Il s’agira bien sûr de jouer la vieille opposition « titulaires »/ « contractuels », en rassurant les uns (« je veillerai à ce que les recrutements de personnels contractuels soient limités et justifiés par le besoin de compétences et de métiers qui n’existent pas ou peu dans les corps universitaires actuels » - nous soulignons) et déléguant aux autres l’enjeu central de la réforme, à savoir la n-é-c-e-s-s-a-ir-e-m-o-d-e-r-n-i-s-a-t-i-o-n (versant manager A nommé par les Présidents) ou la basse besogne en intermittence (versant « bouche trou » sous-payé, ce que ne veulent/peuvent pas faire les titulaires). Sur ces questions, on se reportera avec profit à la mise en perspective d’Annie Vidokur, désormais classique : Annie Vinokur, « La loi relative aux libertés et responsabilités des universités : essai de mise en perspective », Revue de la régulation, n°2, janvier 2008, Varia, [En ligne], mis en ligne le 28 novembre 2007.

C’est donc la question de l’esprit de l’enseignement supérieur en France et en Europe qui est posée. Il apparaît aujourd’hui que la question de l’esprit est la question politique. Elle peut se formuler ainsi : la technocratie managériale, évaluatrice et étatiquement dirigée est-elle légitime pour « renouveler » et « refonder » l’Université ?

2/ Du management et de la présidentialisation comme remède universel

« Mous et incompétents. Telle est, en substance, l’opinion que les Français se font de leurs supérieurs hiérarchiques […] Globalement, les dirigeants français se révèlent plus mauvais qu’ailleurs, selon une étude réalisée par le cabinet de conseil en gestion des ressources humaines BPI et l’institut BVA auprès de 5 500 salariés dans dix pays, publiée jeudi 6 décembre. […] En toute logique, ces salariés éprouvent peu de respect pour leurs managers et leurs consignes. Un Français sur deux reconnaît ne pas suivre les directives de son supérieur hiérarchique. Seuls les Roumains font pire : 60 % sont dans ce cas » relate Le Monde du 10-12-2007 [1].

Le management à venir, comme l’ancien, s’appuiera politiquement sur le saucissonnage des intérêts, des statuts et sur la confusion idéologique, médiatiquement entretenue, de la grande opposition sur laquelle repose en grande partie le système actuel : titulaires « réactionnaires » et indéboulonnables, précaires « modernes » (forcément) et corvéables à merci. Dans ce contexte, les fonctionnaires en poste vont se retrouver nécessairement en position défensive (c’est-à-dire « corporatiste », c’est-à-dire en position de faiblesse dans l’opinion médiatique). Les syndicats se chargeant de négocier le « travailler un tout petit peu plus pour gagner un tout petit peu moins ». Les contractuels, eux, feront comme d’habitude : le travail en plus, avec les moyens en moins…

Comment imaginer faire avaler la pilule de la revalorisation (et de l’innovation) dans un contexte où les emplois publics de fonctionnaires, comme les missions qu’ils exercent, sont la cible numéro un du ministère et du gouvernement, dans un contexte où les cadeaux fiscaux sont octroyés aux moins nécessiteux ? Des contractuels oui, « limités et justifiés par le besoin de compétences et de métiers qui n’existent pas ou peu dans les corps universitaires actuels », oui, et des A, encore mieux ! Mais pourquoi alors ne pas remplacer d’abord les titulaires, les départs à la retraite des personnels existants, etc. ? Et puis que fait-on de ces contractuels une fois leur mission accomplie ? On continue dans ce système obscène où l’on fait des contrats exactement calculés pour qu’ils ouvrent le moins de droits au chômage possible ? Chacun appréciera.

La situation particulière des personnels non enseignants, a fortiori contractuels, au sein des Universités Françaises tient au fait qu’ils sont déjà en situation d’ « autonomie » (c’est-à-dire, pour traduire, de dépendance directe). Cela explique en grande partie leur quasi-mutisme.
La situation, selon toute probabilité, est donc celle-ci : réduction impressionnante du nombre de fonctionnaires (par une politique réfléchie de non-renouvellement et d’absence de création de postes), embauche en CDD de managers qui auront pour mission, soutenus en cela par les présidents, de « moderniser » les services et ceux qui y travaillent.

3/ Vers un front commun ?

La convergence entre personnels enseignants et non enseignants doit avoir lieu sur la base de l’idée d’Université. Questionnement éminemment politique : « Parler de politique suppose d’inscrire les choix collectifs dans un projet de société publiquement exprimé et justifié ; lui substituer celui de management contient implicitement l’idée qu’il n’y a pas de débat possible – ou nécessaire – sur les fins, mais seulement une expertise à développer sur les moyens. » [2]
Quelle Université voulons-nous ? Et y a-t-il vraiment lieu, sur l’esprit, d’en changer ?

Face au règne des experts, des commissions d’évaluation et de la victoire de l’esprit managero-entrepreneurial à droite comme à gauche, nous soutenons que l’analyse des différences statutaires et de missions des personnels non enseignants entre eux, des personnels non enseignants et enseignants ensuite, loin de justifier la division sur les valeurs, incite au contraire à renforcer l’union de mission, d’objectif, et de vision entre ces catégories, étant entendu que la réforme globale qui est proposée se traduit pratiquement, et d’abord, par un découpage managérial de ces mêmes catégories.
Loin d’être attaché à quelque âge d’or que ce soit (et certainement pas à celui que nous vivons concrètement aujourd’hui), notre tâche politique consiste à inventer une nouvelle collégialité entre personnels dans le respect des deux axiomes développés précédemment. Le découpage actuellement en train de s’appliquer concrètement est en réalité le découplage de la collégialité que pourraient entretenir les personnels entre eux, dans l’unité de leur visée (l’Université) et de leur mission (l’enseignement et la recherche, leur fonctionnement, leur diffusion).
Ce découpage-saucissonage des questions et des corps (infiniment technique) tend à faire jouer telle catégorie contre telle autre (et à l’intérieur de chaque catégorie, telle sous-catégorie contre telle sous-autre), en laissant par exemple espérer aux personnels non enseignants (et tout particulièrement aux personnels non enseignants contractuels) une amélioration de leurs conditions de travail et de salaire.

C’est en quoi le mouvement étudiant, qui n’a articulé pratiquement aucune revendication corporatiste (c’est la raison pour laquelle il a réellement été « trahi » par l’Unef, et ce à deux reprises, avant et après) a deux fois raison. Faisant généreusement la preuve de son anti-utilitarisme foncier, le mouvement étudiant a fait honneur à l’Université telle que définie ci-dessus et appelée de nos voeux. C’est en quoi le lobby de la CPU qui n’a articulé pratiquement qu’une revendication corporatiste, c’est-à-dire anti-démocratique, a tort dans son principe même et devrait désormais, si elle était conséquente, c’est-à-dire démocratique, s’auto-dissoudre.

Les personnels non enseignants et non chercheurs des universités françaises semblent se trouver dans un dilemme insoluble. Sont-ils en mesure d’inventer, face au modèle managérial qui s’impose partout dans le monde - Dominium Mundi - des points de convergence, de parole, de pensée, avec les étudiants, les enseignants, les chercheurs, et au-delà parmi les citoyens ? Sont-ils en position de proposer une pensée politique et démocratique de l’Université et non plus seulement économique et bureaucratique ? L’idée de collégialité, si elle était pratiquée réellement, dans le souci du bien commun, de la justice et de l’argent public pourrait être une voie.

Malheureusement, et pour reprendre une exclamation entendue récemment de la bouche d’une enseignante de Paris IV : « tout le monde n’a pas la chance d’être à Paris VIII ! »
Le récent comportement de la CPU est emblématique d’un tournant politique majeur et reflète assez les pratiques contemporaines du pouvoir. Et si ceux qui s’y opposent et construisent démocratiquement l’opposition (pensons à Pascal Binczak par exemple, Président de Paris 8) sauvent l’honneur de l’Université française, leur position n’en est pas moins minoritaire actuellement en France.

Qui parle aujourd’hui clairement de la précarité, de l’externalisation des services, des fonctionnaires sous-payés, des contractuels chroniquement aux abois ?

Est-il si loin le temps où l’on pouvait écrire : « Nous pouvons affirmer, sans grand risque de nous tromper, que l’étudiant en France est, après le policier et le prêtre, l’être le plus universellement méprisé » ?

François Théron
20/12/07

Cette rubrique est coordonnée par François Théron (UVSQ) et Fatima Zenati (université Paris VIII).


[1Annie Kahn, « Les managers français sont parmi les plus mauvais », Le Monde daté 11-12-2007

[2Annie Vinokur, art. cité