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Analyse du plan licence et propositions

par Daniel Mouchard et Silvère Menegaldo

lundi 14 janvier 2008, par Laurence

[|SAUVONS LES PREMIERS CYCLES UNIVERSITAIRES !|]

Aucune réforme de l’université ne peut prétendre faire l’économie d’une réflexion globale sur l’évolution des premiers cycles (les trois années de licence), qui concentre en lui une grande partie des difficultés actuelles du système et contribue grandement à la diffusion d’une image dégradée de l’université. De ce point de vue, le « Plan pour la réussite en licence » lancé le jeudi 13 décembre par la Ministre de l’Enseignement Supérieur, en dépit d’objectifs annoncés auxquels on ne peut a priori que souscrire (diviser par deux en cinq ans le taux d’échec en première année, amener 50% d’une classe d’âge au niveau licence), ce plan donc apparaît largement en deçà de ce que l’on est en droit d’attendre d’une réforme en profondeur et repose sur une conception faussée de la nature et des objectifs du premier cycle universitaire – sans même parler de la manière, où l’absence de toute concertation avec les principaux intéressés apparaît érigée comme unique mode opératoire.

Situation des premiers cycles universitaires

On ne peut pas réfléchir sérieusement à la réforme du premier cycle universitaire sans avant tout l’envisager en relation avec les autres filières du supérieur. De fait, la situation actuelle est celle d’une concurrence généralisée et mal régulée entre trois grandes catégories de filières : les filières « courtes » et fortement professionnalisantes (IUT et BTS) ; les CPGE, qui préparent aux concours d’entrée aux grandes écoles, et globalement à des études plus longues ; enfin les premiers cycles universitaires.

Depuis un certain nombre d’années l’offre concernant les deux premières catégories de filières s’est considérablement élargie. Les départements d’IUT ainsi que les BTS se sont multipliés dans toute la France et, contrairement à leur vocation initiale, se sont largement ouverts au recrutement de bacs généralistes, et non plus seulement techniques ; IUT et BTS constituent ainsi un système d’excellence parallèle et concurrent des licences, fortement valorisé par les possibilités qu’il offre d’entrée rapide sur le marché du travail. De leur côté, les CPGE, qui ont vocation à recruter l’élite des bacheliers scientifiques ou littéraires, se sont également multipliées. De ce fait, mis à part dans les filières « monopolistiques » comme droit ou médecine, l’inscription en premier cycle universitaire, pour beaucoup d’étudiants, est un pis-aller. L’« échec » du premier cycle s’explique en grande partie par ce système fortement concurrentiel qui fabrique massivement des choix par défaut.

Quelle « professionnalisation » pour l’université ?

Le fondement de ce problème réside dans une incertitude sur les missions respectives de ces différentes filières. S’il est dorénavant admis de façon générale que les études supérieures doivent être « professionnalisantes », le contenu même de cette notion de « professionnalisation » reste assez incertain. En réalité, on ne parle pas à chaque fois de la même chose : les IUT et BTS ont vocation à une spécialisation précoce et correspondent à des débouchés très spécifiques, souvent liés à des bassins d’emplois locaux ; inversement les CPGE visent une « professionnalisation » à plus long terme, qu’il s’agisse d’intégrer les grandes écoles ou bien d’une entrée plus tardive à l’université, partir de la troisième année.

Quel est alors le type de « professionnalisation » que l’on peut attendre de l’université ? Ce n’est pas, ou du moins pas d’abord, le type de « professionnalisation » des IUT ou BTS ; il y a certes le cas des licences professionnelles, mais c’est un cas qui reste particulier et qui ne peut (voire ne doit pas) être étendu à l’ensemble des filières. Car l’université ne peut être « professionnalisante », et garantir en outre une orientation efficace des étudiants, que dans la mesure où le premier cycle est organisé autour d’un solide socle de connaissances, certes déjà spécialisé, mais encore pluridisciplinaire. Il ne s’agit pas ici de défendre un modèle « archaïque », mais de reconnaître que, pour les métiers auxquels prépare l’université, le fondement pluridisciplinaire de la formation est une qualité et un atout, comme en témoigne très clairement, à cet égard, le succès des CPGE et des grandes écoles.

Le « Plan pour la réussite en licence »

Or que propose le « plan licence » ?

Un remodelage de la licence fondé sur une conception étroite de la « professionnalisation », essentiellement entendue comme « employabilité » directe à la fin de trois années d’études – sans qu’il soit fait aucunement mention ni des masters ni des concours de la fonction publique, comme si rien de tout cela n’existait, comme si le seul objectif de la licence était d’alimenter le marché du travail à bac + 3. A cet égard la mise en place d’un stage obligatoire en licence peut certes présenter un intérêt dans certaines filières, mais apparaît totalement inadapté dans d’autres.

Un remodelage de la licence également fondé sur une opposition artificielle entre « connaissances » d’un côté et « compétences » de l’autre – comme si les premières nuisaient aux secondes, et comme si les secondes pouvaient se concevoir sans les premières. C’est ainsi qu’on arrive à ce modèle étonnant de première année de géographie figurant dans le « plan réussite » : la maquette, donnée comme exemple typique de ce qui se fait actuellement à l’université, comporte une quinzaine d’heures d’enseignement concernant essentiellement la géographie, si bien qu’elle est dite « trop centrée sur les connaissances » (sic) ; en revanche dans le modèle proposé par la Ministre, qui prétend parvenir à l’« équilibre entre compétences et connaissances », le nombre d’heures consacrées à la spécialité est divisé par deux, tandis que l’étudiant pourra à la place suivre des cours de « culture générale » ou de « méthode de travail ».

Très clairement, le modèle ainsi dessiné érige la « connaissance » en ennemie, « connaissance » qui sera sacrifiée au profit de « compétences » extrêmement générales (expression, informatique, langues vivantes), dont certes personne ne conteste l’utilité, mais s’agit-il vraiment des seules « compétences » ouvrant au marché du travail, ou alors à quel marché du travail ? Il faut imaginer aussi, dans un tel cas de figure, ce que va être la valeur d’un diplôme universitaire français vis-à-vis des diplômes étrangers. Mais peut-être ne s’agit-il somme toute que de s’assurer que le plus grand nombre obtienne sa licence, sans se soucier de la valeur de leur diplôme.
Mais en fait, il est possible de défendre une conception très différente de ce que pourrait être un premier cycle « généraliste », dans le bon sens du terme : non pas une réduction des enseignements fondamentaux au profit de cours aux contenus mal définis et proposés indifféremment à tous les étudiants, mais bien la combinaison, par un volume horaire renforcé, d’un tronc commun pluridisciplinaire et de parcours propres à chaque spécialité (voir ci-dessous).

Des objectifs adaptés à chaque catégorie de filières

Une fois défini le type de « professionnalisation » auquel peuvent prétendre les premiers cycles universitaires, il devient alors possible de donner à ces premiers cycles leur juste place dans une réflexion globale sur les vocations et les recrutements respectifs de l’ensemble des filières post bac – ce que le « plan licence » ne fait guère qu’à moitié, évoquant le cas des IUT sans rien dire ni des BTS ni des CPGE.

Pour que le système fonctionne harmonieusement dans son ensemble, il est indispensable de recentrer chaque filière sur sa vocation particulière et sur son vivier de recrutement propre. Ainsi, par exemple, les IUT devraient avoir d’abord vocation à recruter des bacs techniques, pour être une filière d’excellence propre à ces bacs et à leurs compétences ; alors que depuis plusieurs années on constate un phénomène d’inversion des flux qui fait que d’un côté les IUT recrutent trop de bacs généralistes, si bien que de l’autre côté les bacs techniques se retrouvent en premier cycle universitaire, où ils échouent. Un tel recentrement pourrait supposer non pas seulement (comme le suggère le « plan licence ») la mise en place d’une orientation privilégiée des bacs technologiques vers les IUT, mais aussi une extension de l’offre de ces mêmes IUT, pour qu’ils puissent continuer à recruter des bacs généralistes tout en intégrant une bonne part des bacs technologiques.
De façon plus générale d’ailleurs, le travail d’orientation nécessite d’être renforcé en amont des premiers cycles, problème qui n’est certes pas nouveau, mais qui ne doit pas être résolu par quelque processus de sélection ou de numerus clausus que ce soit, aussi bien déguisé soit-il (qu’on pense à « l’orientation active »). A ce propos, il faut aussi préciser qu’il n’est pas forcément aberrant (et d’ailleurs très fréquent) que des élèves qui viennent d’avoir le bac ne sachent pas nécessairement vers quelle filière se diriger ; d’où l’intérêt peut-être de construire leur orientation lors de la première année universitaire, non seulement à l’aide des Projets Personnels et Professionnels ou des enseignants référents (qui existent déjà), mais aussi en leur offrant pour cette première année un enseignement encore relativement pluridisciplinaire.

[|Quelques propositions pour la réforme des premiers cycles universitaires|]

Ce n’est qu’une fois qu’on a mené cette nécessaire réflexion sur la place des premiers cycles universitaires dans l’ensemble des filières post bac qu’il est possible de faire une série de propositions concrètes concernant spécifiquement ce premier cycle.

Renforcer l’encadrement

En premier lieu, il apparaît indispensable de renforcer l’encadrement, pour éviter l’évaporation des étudiants et améliorer leur réussite. Ce qui signifie à la fois :
-  plus d’heures de cours, surtout en première année (une vingtaine d’heures en moyenne en Licence 1, contre une trentaine en IUT, CPGE, mais aussi en terminale). L’augmentation proposée sur ce point par le « plan licence » a certes le mérite d’exister (s’il s’agit bien d’une réelle augmentation, et non d’une récupération effectuée par un autre biais, à l’aide par exemple des stages, devenus obligatoires en L3), mais elle n’est pas suffisante, surtout si elle doit s’exercer au détriment des enseignements fondamentaux d’une spécialité, comme on l’a vu. En outre, étant donné le nombre d’étudiants salariés actuellement à l’université, il est évident qu’une augmentation du volume horaire doit aller de pair avec une revalorisation des bourses étudiantes, ainsi qu’avec la mise en place d’emplois du temps adaptés.
-  plus de cohésion de groupe, ce qui implique logiquement de limiter les CM à gros effectifs et de privilégier des formules (CM ou TD) en petits effectifs, avec contrôle systématique des absences et stabilité des groupes. De ce point de vue, la proposition du « plan licence » de limiter le recours aux CM en première année est valable, mais restera lettre morte si elle n’est pas accompagnée d’un mouvement de création de postes.
-  plus de proximité des équipes pédagogiques, ce qui suppose d’intégrer clairement dans les missions des enseignants le suivi et l’encadrement des étudiants. C’est déjà partiellement le cas avec les enseignants référents ou avec les Projets Personnels et Professionnels, qui ont certes leur importance, mais ne doivent pas non plus aller à l’encontre des autres enseignements. A ce propos, il faut préciser que certains éléments présentés par le « plan licence » comme des innovations pédagogiques (tutorat, suivi personnalisé de l’étudiant) non seulement se pratiquent depuis des années, mais posent en outre de nombreux problèmes, aussi bien concernant leur mise en place (qui prend en charge ces heures supplémentaires, avec quel statut, quelles compétences ?) que leur efficacité, qui reste encore à démontrer ; encore une fois, de telles propositions ne peuvent avoir que des effets pervers, si elles sont mises en place au détriment des véritables enseignements.
De telles mesures seraient d’autant plus essentielles qu’elles permettraient à l’« autonomie » de l’étudiant, ainsi qu’à son « travail personnel », de ne pas être des pétitions de principe censées aller de soi dès leur inscription, mais de se construire progressivement au cours de la première année, pour être des réalités effectives lors des suivantes.

Pour un premier cycle pluridisciplinaire

Par ailleurs, du point de vue non des formes mais des contenus, on peut penser, pour les raisons exposées ci-dessus à propos du type de « professionnalisation » de l’université, que le premier cycle, particulièrement en Licence 1, peut gagner à devenir franchement pluridisciplinaire, dans une perspective comparable à celle des CPGE – modèle dont personne ne s’est avisé jusqu’à maintenant de contester la qualité, et dont par ailleurs un grand nombre d’universitaires sont eux-mêmes issus… Ainsi on pourrait par exemple imaginer dans les UFR dévouées aux sciences humaines une première année de tronc commun comportant à la fois des cours de lettres, de langues, d’histoire, de géographie etc., tronc commun complété par un système de parcours ou d’options préparant une spécialisation ultérieure qui interviendrait alors en L2, ce qui permettrait aussi une orientation plus fine. De ce point de vue, il faut le répéter, le « plan licence », quoique semblant aller dans ce sens, n’est pas satisfaisant, puisque le caractère prétendument « généraliste » de la première année n’est censé être assuré que par des enseignements aux contours incertains (type culture générale), et surtout au détriment des matières fondamentales de chaque discipline. Il faudrait au contraire garder toute leur place à ces matières fondamentales, tout en leur ajoutant un tronc commun pluridisciplinaire, ce qui impliquerait évidemment un renforcement significatif du volume des heures de cours.
Précisons bien qu’une vraie réforme « généraliste » du premier cycle n’équivaut en rien à une dévalorisation des filières de chaque spécialité, comme tend à le faire le « plan licence », mais au contraire à la garantie que ceux qui iront dans ces filières (au niveau L2) auront une réelle motivation pour le faire, en même temps qu’un meilleur bagage intellectuel. Et s’il n’est pas douteux qu’une telle réforme poserait de réels problèmes d’organisation (question de la pertinence du système des départements au sein des UFR, ou même des UFR, au niveau L1), il n’est pas du tout évident que son coût soit particulièrement élevé, les efforts à faire sur le plan de l’encadrement pouvant être compensés par les redéploiements de cours.
Tout n’est-il finalement qu’une question d’argent ? Quant aux 730 millions promis, sur cinq ans, il est difficile de mesurer ce qu’ils représentent exactement ; mais ce n’est pas en tout cas ce qui mettra le coût d’un étudiant à égalité avec celui d’un élève de classe préparatoire, ni même du secondaire, et ce n’est pas non plus ce qui permettra de recruter un nombre suffisant d’enseignants-chercheurs pouvant à la fois enseigner et faire de la recherche dans des conditions satisfaisantes pour eux et leurs étudiants. Cela dit, le problème n’est peut-être pas d’abord budgétaire, il est surtout idéologique. Peut-on, en effet, espérer réformer utilement l’université avec une idéologie qui ne raisonne qu’en termes de concurrence et de rentabilité ; qui ne semble vouloir former que vite et mal de futurs travailleurs précaires ayant juste assez de « compétences » pour faire ce qu’on leur demande et pas assez de « connaissances » pour espérer mieux ? Peut-on réformer utilement l’université avec une idéologie qui méprise l’université, ou pour mieux dire qui ne s’en soucie pas – car ce n’est pas là que les enfants de nos gouvernants viendront étudier – et ne cherche, sous couvert d’autonomie, qu’à s’en débarrasser ?