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L’ANR se substituera-t-elle au CNRS ? (2) par le Collectif "Indépendance des chercheurs" sur son blog "La Science au XXI Siècle", 28 février 2009

mardi 3 mars 2009, par Laurence

Pour lire ce texte sur le site Indépendance des chercheurs

Pour lire la première partie de ce papier.

Le 28 février, France Soir écrit : « les personnels du CNRS ou de l’Inserm ne dépendent pas encore des présidents d’universités ». Méprise sur l’avenir de ces organismes, ou confirmation d’une stratégie gouvernementale ? La dernière journée du Colloque de bilan des programmes blancs de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) a confirmé le consensus dans la communauté scientifique sur la nécessité de préserver intégralement le rôle et les moyens du Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et de l’Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), contrairement à l’idée récemment avancée d’attribuer à l’ANR un budget annuel de cinq millards d’euros au détriment de l’INSERM et du CNRS. Une idée dont des signes prémonitoires étaient déjà apparus en novembre dernier, à l’occasion de la remise au gouvernement d’un rapport signé par le président de France Biotech Philippe Pouletty, l’associé gérant de Rothschild & Cie Grégoire Chertok et l’inspecteur des finances Pierre-Alain de Malleray, ayant en vue le financement par l’Etat de la recherche dans le secteur privé. Les organismes publics (CNRS, INSERM, universités...) seraient les grands perdants de cette opération au bénéfice d’influents secteurs du patronat.

Le colloque de l’ANR de cette semaine, à la Cité des Sciences et de l’Industrie à Paris, s’est clos par un accord général entre la grande majorité des participants sur le caractère indispensable, dans la recherche scientifique et technologique française, du CNRS et de l’INSERM en tant qu’opérateurs de recherche.

Mais dans l’ensemble de la communauté scientifique, l’inquiétude ne cesse de grandir. Des informations mises en ligne les jeudi 26 février et vendredi 27 février sur le blog de Sylvestre Huet dans Libération tendent à confirmer celles diffusées dans notre article du mardi 24 février. En réalité, une telle évolution de la situation de nos organismes publics était prévisible, à l’examen des rapports récents et des déclarations qui les ont accompagnés.

Dans une interview diffusée par Les Echos le 5 novembre dernier, le président de France Biotech et co-fondateur de Truffle Capital, Philippe Pouletty, avait estimé très insuffisant le budget de l’ANR et posé en exemple le système des Etats-Unis ou de la Grande-Bretagne où, dans son appréciation, « le système contraint les chercheurs, tous les trois ou quatre ans, à aller chercher les crédits avec les dents ».

Pouletty proposait de « donner 5 milliards de plus à l’ANR », même si une telle opération devait se faire au détriment du CNRS, de l’INSERM et des budgets propres des universités.

Ces déclarations de Philippe Pouletty accompagnaient la présentation d’un rapport intitulé « Le financement des PME » (voir doc joint), élaboré avec Grégoire Chertok et Pierre-Alain de Malleray et remis le 4 novembre 2008 au secrétaire d’Etat chargé des entreprises (Industrie-PME-PMI-Artisanat et Commerce) et du commerce extérieur Hervé Novelli ainsi qu’à Eric Besson, secrétaire d’Etat chargé de la prospective et de l’évaluation des politiques publiques.

Constatant que « les Petites et Moyennes Entreprises françaises peinent à se développer pour atteindre la taille critique nécessaire pour devenir les champions de demain », les trois auteurs du rapport « explorent différentes pistes pour abaisser les barrières : développement du capital-risque, émergence de marchés financiers alternatifs, redéploiement et évaluation des politiques d’aides à la R&D, réforme de la loi des faillites, essor de la dette mezzanine et de l’affacturage ».

A propos de la recherche et développement, le résumé du rapport de Pouletty, Chertok et de Malleray présentent l’analyse qui suit :

" Les aides publiques à la R&D

Les aides publiques à la R&D relâchent la contrainte sur le financement des entreprises technologiques. La France utilise plus que ses partenaires de l’OCDE des fonds publics pour effectuer des dépenses de R&D : autour de 1% du PIB. Globalement, cette dépense publique n’opère pas comme un levier sur le niveau des dépenses privées en R&D, puisque la première a augmenté alors que les secondes stagnent. Grégoire Chertok, Pierre-Alain de Malleray et Philippe Pouletty s’interrogent alors sur la manière dont cette dépense est dirigée vers les entreprises en fonction de leur taille et de leur secteur d’activité.

Les comparaisons internationales ne sont pas aisées, mais les auteurs observent que la France présente un déficit de dépenses en R&D pour les entreprises de taille moyenne (entre 50 et 500 salariés). Pourtant ces entreprises profitent moins des dispositifs d’aide publique que les plus grosses. La réforme du crédit impôt recherche (CIR) intervenues au cours de l’année n’est pas susceptible d’inverser ce phénomène puisqu’elle est davantage axée sur les entreprises dont l’effectif salarié est supérieur à 1000.

Par ailleurs, il apparaît que les aides à la R&D sont concentrés dans quelques secteurs. Ainsi les industries automobile et pharmaceutiques, qui pèsent 30 % dans les dépenses intérieures de R&D, reçoivent seulement 2,9 % des aides publiques hors CIR.

L’efficacité de la dépense publique en R&D doit être évaluée, ce qui permettrait de mieux la diriger notamment vers les PME. »

(fin de citation)

C’est apparemment cette analyse qui avait poussé Philippe Pouletty à réclamer dans Les Echos, déjà en novembre dernier, une augmentation radicale du budget de l’ANR «  quitte à faire transiter une part des crédits qui alimentent en direct les universités, le CNRS, l’Inserm ».

En réalité, l’augmentation des crédits de l’ANR préconisée par le président de France Biotech est telle, qu’elle paraît de nature à déclencher une logique de suppression pure et simple du CNRS et de l’INSERM. Le transfert des moyens des organismes publics à l’ANR ouvrirait la voie au financement à une vaste échelle du secteur privé par cette dernière. Aucune analyse, apparemment, de la délocalisation croissante de la recherche ni du dumping social à l’échelle européenne et planétaire.

Le rapport n’aborde pas, non plus, la question des liens entre les « Petites et Moyennes Entreprises » et les grandes multinationales, notamment en matière de sous-traitance de facto.


Mais aux Etats-Unis, pays posé en exemple de manière récurrente, les investissements en matière de recherche et développement dans le secteur privé sont autrement plus élevés qu’en France sans mettre en cause la recherche fédérale ni les crédits attribués aux universités par les organismes fédéraux. Ce n’est certainement pas du côté du CNRS ou de l’INSERM, pas plus que de celui des universités publiques, que se trouve en France la faille de l’actuel système. Le problème évoqué ne se poserait pas sans l’escalade de privatisations lancée et maintenue par les gouvernements français qui se sont succédés depuis 1986. Les entreprises publiques auraient assumé leur part dans le financement de l’activité de recherche et développement dans le pays. Les délocalisations de la recherche auraient également été évitées.

En réalité, après plus de vingt ans de discours démagogiques et de prétendues « modernisations » au détriment du secteur public, on a affaire à un ensemble des carences très graves du secteur privé français, du monde financier jusqu’aux PME en passant par les grandes entreprises et les multinationales. Un constat d’échec accablant de la politique de privatisations des deux dernières décennies qui, à ce jour, n’a fait l’objet d’aucune autocritique.

Les « grands gestionnaires éclairés » et les lobbies financiers et industriels responsables de la casse économique et sociale, continuent à recevoir les félicitations du jury et des aides de l’Etat cum laude. Pourquoi les établissements publics de la recherche et de l’enseignement supérieur qui ne sont pour rien dans une telle débâcle, les agents de ces services publics et l’ensemble des citoyens dont l’éducation et la recherche publiques contribuent à préserver les intérêts, devraient-ils payer la facture ?