Accueil > Le mouvement de 2009 > Au fil de la mobilisation (rencontres, comptes rendus, points de (...) > Compte rendu de l’entretien accordé à la Coordination Concours Lettres par le (...)

Compte rendu de l’entretien accordé à la Coordination Concours Lettres par le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche le 23 février 2008 (14h15-15h20)

mardi 24 février 2009, par Laurence

Mme Béatrice GUION, Secrétaire de la Société d’étude du XVIIe siècle (SEDS), Professeur à l’Université de Strasbourg, et M. Jean VIGNES, Président de la Société française d’étude du XVIe siècle (SFDES), Professeur à l’Université de Paris Diderot (Paris 7), ont été reçus au MESR par M. Thierry COULHON, Conseiller spécial auprès de la Ministre, et Mme Bénédicte DURAND, Conseillère chargée des sciences humaines.

Nous avons remis à nos interlocuteurs le document suivant où sont exposés les cinq points que nous avons développés oralement devant eux.

1) Qui nous sommes

La Coordination Concours Lettres regroupe à ce jour sept sociétés savantes :

Société de Langue et Littérature Médiévales d’Oc et d’Oïl

Société Française d’Étude du Seizième Siècle

Société d’Étude du Dix-septième Siècle

Société Française d’Étude du Dix-huitième Siècle

Société des Études Romantiques et Dix-neuviémistes

Société d’Etude de la Littérature française du XXe siècle

Société Française de Littérature Générale et Comparée.

Notre coordination de sociétés savantes universitaires s’est constituée pour mener une réflexion sur la réforme des concours de recrutement en lettres et leur « mastérisation ». Nous revendiquons une légitimité à la fois scientifique et pédagogique pour en parler ; plusieurs de nos sociétés sont notamment les interlocuteurs privilégiés de la commission de choix des programmes des concours existants.

Nous ne refusons pas toute réforme par principe ; bien au contraire, nous pensons nécessaire la réforme des concours et ne sommes pas hostiles au principe de la mastérisation, à condition qu’elle repose sur un accord de la communauté scientifique que nous représentons, qu’elle respecte les principes démocratiques qui sont les nôtres et qu’elle ne débouche pas sur un tarissement de la recherche et une mise en concurrence des universités. Nous réclamons depuis le printemps dernier une véritable concertation. Des principes et des propositions ont été formulés par notre coordination auprès de M. Darcos. Ils ont fait l’objet d’entrevues avec son conseiller M. Sherringham (15 juillet et 3 octobre 2008). Des membres du cabinet de Mme Pécresse, Mme Bénédicte Durand et Mme Campion, nous ont aussi accordé deux entretiens (21 juillet et 3 décembre 2008). Un nouvel entretien avec M. Darcos ou M. Sherringham nous a été annoncé par celui-ci au téléphone le 9 février mais n’a pas encore été programmé. Nous avons donné de notre temps sans compter parce que nous sommes convaincus de l’importance des enjeux. Mais nos demandes et nos avertissements n’ont pas été entendus à ce jour. Les projets présentés ne tiennent pas compte de nos conseils.

2) Nous sommes non seulement déçus mais choqués

Au lieu du débat constructif que nous espérions, on a tenté de nous imposer sans véritable concertation une réforme précipitée dont toute la communauté scientifique, toutes sensibilités politiques confondues, s’accorde aujourd’hui à dénoncer les conséquences désastreuses pour l’enseignement et la recherche.

Face aux protestations qui s’élèvent de toutes parts, M. Darcos a répondu le 12 février par des provocations qui nous indignent (« moi je n’ai pas absolument besoin d’entrer dans des discussions sibyllines avec les préparateurs à mes concours. Je suis recruteur. Je définis les concours dont j’ai besoin. (…) Après, chacun nous suit ou pas. »).

3) Néanmoins, nous ne perdons pas espoir d’être finalement entendus, car nous ne sommes pas seuls. Si nous avons été parmi les premiers à manifester notre inquiétude, nous nous sentons aujourd’hui de moins en moins seuls. Les positions que nous avons toujours défendues ont été tardivement mais clairement rejointes par la CPU dans sa déclaration sur la mastérisation de la formation des enseignants votée le 19/02/2009 :
La formation des enseignants est un enjeu fondamental pour une République soucieuse de promouvoir l’égalité de chances et l’élévation du niveau des connaissances de tous les citoyens. C’est pourquoi, les Présidents d’Université réaffirment leur attachement de fond à une formation des enseignants professionnalisée et universitaire. C’est pourquoi le CA de la CPU, réuni le 12 février, a demandé le report d’un an des nouveaux concours. Les conditions dans lesquelles la mastérisation de la formation des enseignants est conduite ne permettent en effet pas d’atteindre les objectifs auxquels doit répondre une telle formation universitaire.

Les universités ont attendu jusqu’à la fin décembre les maquettes de concours, les premières précisions sur les stages n’ont été données qu’à la mi-janvier et aucun texte n’est encore sorti sur les conditions de l’alternance pendant les premières années d’exercice du métier.

Les difficultés actuelles au sein des universités et la vigueur des débats nécessitent une réflexion plus sereine au niveau national, comme au niveau local, associant l’ensemble de la communauté universitaire.

C’est pourquoi la conférence plénière exige fermement des garanties et des réponses sur les points suivants :

1. la mise en place immédiate d’une commission nationale chargée d’élaborer, dans la concertation, un cadre commun de formation, de définir les contenus et les modalités des concours et de veiller à la cohérence de l’ensemble du dispositif et à son évolution.
2. un système de bourses lisible et incitatif permettant l’accès de toutes et tous à la profession d’enseignant,
3. une première année de fonctionnaire stagiaire pour les reçus au concours, reposant sur le principe de l’alternance,
4. une présentation claire du dispositif des stages, de leurs objectifs et de leurs conditions d’indemnisation.
5. les moyens humains nécessaires à l’encadrement de cette formation

La CPU plénière se réunira, de façon exceptionnelle, le 5 mars pour analyser les réponses obtenues par le bureau et prendre une position collective.
D’ici là, la CPU demande aux présidents de suspendre toute remontée de maquettes ou de lettres d’intention.
Texte adopté à l’unanimité par l’assemblée plénière de la CPU. Moins deux abstentions

4) Ce que nous demandons à notre tour aujourd’hui en tant qu’enseignants et chercheurs en littérature

1. En finir avec la précipitation

Le report d’un an de la réforme des concours et de la mastérisation nous semble à ce stade la seule solution permettant une remise à plat du dossier et une véritable concertation (quant au contenu du concours, dans un premier temps, puis quant à l’organisation des futurs masters dans un second temps). Aujourd’hui, la première étape du processus est encore loin d’être accomplie : on en est encore au stade de « documents de travail » officieux, dont on ne sait au juste par qui et comment ils ont été élaborés, et qui ne tiennent aucun compte de nos demandes. Ils ne nous permettent pas d’élaborer des « maquettes » précises conformes à la vision que nous avons de notre mission.

2. Associer la communauté scientifique au débat

Nous demandons à être partie prenante de véritables négociations. Nous voulons être reconnus comme des interlocuteurs à part entière, être informés du calendrier, des étapes et des acteurs de la réforme, être invités en tant que spécialistes dans les commissions qui auront à prendre les décisions, y être pleinement associés sans avoir à solliciter des rendez-vous. Nous demandons la reconnaissance de notre légitimité scientifique, de notre expérience pédagogique et de notre représentativité dans le monde universitaire.

3. Procéder avec méthode

Il nous semble indispensable d’articuler (et non de dissocier) la réflexion sur le contenu du concours et celle portant sur le contenu des masters d’enseignement. Il est impossible de concevoir, pour les mêmes étudiants, la maquette d’un master enseignement, sans être fixé sur le contenu précis du concours qu’ils prépareront. Cette articulation est vitale pour les disciplines qui, comme l’ancien français, faisaient jusqu’ici l’objet d’une épreuve spécifique, aujourd’hui dangereusement remise en question. L’expérience montre malheureusement que, dans un certain nombre d’établissements qui ont réfléchi à la mise en place de maquettes pour les futurs masters d’enseignement, l’absence, au sein des épreuves de l’actuel projet de concours, de certaines disciplines, pourtant essentielles à la formation généraliste d’un enseignant de lettres du secondaire, loin de conduire à une présence plus marquée de ces disciplines dans les maquettes, signe au contraire leur arrêt de mort.
Nous souhaitons donc pouvoir rencontrer conjointement des interlocuteurs des deux ministères dans les réunions, afin de n’être pas ballottés de l’un à l’autre (chacun renvoyant à l’autre la responsabilité des décisions qui fâchent), et surtout afin que la mastérisation des concours ne se fasse pas au détriment de la recherche universitaire.

4. Mettre en place de vrais concours disciplinaires

Nous demandons un concours national, qui fonde la sélection des candidats sur leurs connaissances disciplinaires, évaluées par des universitaires spécialistes des disciplines concernées. L’allongement de la phase de préparation du concours doit être l’occasion d’un renforcement des exigences disciplinaires et non de leur affaiblissement, ou d’une restriction du champ des disciplines étudiées. L’enseignement proprement didactique devra être placé en aval, dans une année de stage pratique en alternance, dont on ne saurait faire l’économie. C’est au cours de cette année de stage que pourra être vérifiée si besoin la « connaissance du système éducatif ».

Outre les disciplines centrales que sont, pour un futur professeur de français, la langue et la littérature françaises, le concours doit faire place à des disciplines secondaires en termes de coefficient, mais néanmoins indispensables pour fonder le socle culturel et linguistique d’un bon enseignant : l’ancien français (et éventuellement le latin) et une langue vivante étrangère. Nous demandons que les enseignants de ces matières soient consultés pour décider de la manière idoine d’évaluer les connaissances des candidats.

Etant donné que la dissertation générale demande aux candidats de mobiliser leurs connaissances en littérature française mais aussi, à l’occasion, en littératures étrangères, nous estimons souhaitable de prévoir un enseignement de littérature comparée dans le cadre de la
préparation au CAPES de lettres modernes.

C’est sur la base de ce concours national, aux exigences disciplinaires larges et clairement établies (par un programme spécifique plus exigeant que celui du baccalauréat ou de la licence), que pourra être rédigé le cahier des charges précis qui permettra ensuite à chaque université de préparer les « maquettes » du master enseignement, et au ministère de les valider.

Nous exigeons le maintien de l’année de stage rémunéré. Nous proposons de basculer les épreuves de connaissance du système éducatif sur cette année pour alléger les épreuves du concours (et donc la préparation universitaire) de tout contenu autre que disciplinaire. L’année de stage (sixième de fait et titularisante) pourrait être une année d’enseignement à mi-temps (contre 1/3 de temps actuellement) avec un enseignement de type IUFM dispensé quelques heures par semaine et un suivi par des tuteurs.

Il faut aussi écarter explicitement le spectre d’un concours de recrutement établissant des listes d’aptitude, donc ne garantissant pas le recrutement et la titularisation en tant que fonctionnaires des candidats reçus au concours.

Nous demandons la confirmation du maintien de l’agrégation et un éclaircissement sur les modalités de sa mastérisation éventuelle, qui doit encore faire l’objet d’un vrai débat. Nous sommes favorables à un renouvellement du programme tous les deux ans, comme cela se fait déjà en littérature comparée.

5. Sauvegarder la recherche en littérature, y compris dans les petites universités

La mastérisation des concours ne doit pas s’exercer au détriment de la recherche.
Un étudiant ne saurait préparer un concours exigeant à visée généraliste, et se consacrer dans le même temps à des stages de pratique pédagogique tout en menant une véritable recherche en littérature, qui suppose des lectures abondantes et spécialisées, des séjours en bibliothèque, un travail de conceptualisation et d’écriture. Qui trop embrasse mal étreint. Un master d’enseignement répondant à l’objectif d’ « offrir un parcours […] professionnalisant » aux métiers de l’enseignement ne saurait en même temps « préparer les étudiants au doctorat » (lettre circulaire, p. 1). Nous considérons comme un vœu pieux le souhait que « ce mode de « mastérisation » ne réduise pas le vivier des chercheurs appelés à poursuivre formation et recherche au-delà du master » (ibid., p. 1).
Le projet actuel a pour effet pervers de priver d’une véritable initiation à la recherche tous les candidats aux métiers de l’enseignement. La recherche ne sera plus qu’une composante subalterne du master d’enseignement (un « mini-mémoire » n’est pas une « recherche » digne de ce nom) ; et les « masters recherche » tels que nous les connaissons aujourd’hui n’attireront plus qu’un très petit nombre d’étudiants puisque ceux qui voudront légitimement s’assurer un débouché professionnel par la préparation d’un concours, se verront obligés de s’inscrire dans les parcours « Enseignement » et seront ainsi privés du temps nécessaire à la recherche. On peut craindre que la plupart des universités se voient rapidement privées de master recherche, faute d’un nombre suffisants d’inscrits.
Il est donc indispensable, pour l’avenir de la recherche et de chaque université, d’offrir aux meilleurs étudiants, aux futurs enseignants-chercheurs, l’occasion de s’initier réellement à une recherche approfondie sans pour autant se couper de la profession enseignante. La solution, évoquée lors d’un précédent entretien, selon laquelle un professeur certifié, titulaire d’un master d’enseignement, pourrait s’inscrire en master recherche et faire « un second M2 assimilable à l’ancien DEA » paraît inconciliable avec les principes généraux de la réforme LMD. Un master de lettres est un master de lettres, quelle qu’en soit la spécialité ou la mention. La question des passerelles entre enseignement et recherche reste donc à repenser, de même que celle de l’itinéraire pédagogique entre l’obtention de la licence et l’inscription en préparation à l’agrégation.

Conclusion

Un moratoire d’application pour la mastérisation semble aujourd’hui indispensable. Il n’aura de sens et d’effet que s’il permet une discussion véritable sur l’évolution des concours et des formations, en amont de la création de nouvelles maquettes.

***

Voici en substance les principales réponses qui nous ont été faites.

• Le Ministère travaille toujours dans la perspective de la mise en place du nouveau concours en 2010 et des nouveaux masters à la prochaine rentrée. Le report du nouveau concours à 2011 n’est pas envisagé.
• On nous a demandé si nous serions prêts à rendre les maquettes pour le 15 juillet 2009 au cas où les cinq demandes formulées par la CPU le 19 février seraient satisfaites le 5 mars. Nous avons répondu que, pour les raisons exposées plus haut, cela ne nous paraissait pas réalisable.
• Nos interlocuteurs ont admis l’impossibilité de réaliser des maquettes tant que le calendrier des stages n’est pas clairement établi. Ils n’ont pas sous-estimé les « difficultés techniques », jusqu’ici non résolues, que soulève cette question.
• Sur le contenu des épreuves du nouveau concours (qui, de fait, ne sont pas de leur ressort), nos interlocuteurs se sont montrés très prudents. Ils nous ont avoué ignorer le contenu des épreuves de l’actuel concours, qui ne figurent pas sur les documents en leur possession.
• La solution, évoquée lors d’un précédent entretien, selon laquelle un professeur certifié, titulaire d’un master d’enseignement, pourrait s’inscrire par la suite en master recherche et faire « un second M2 assimilable à l’ancien DEA », a encore été proposée par nos deux interlocuteurs.
• Ils ont admis l’impossibilité de faire en même temps un master enseignement à visée généraliste et une véritable recherche en littérature. D’où la solution qu’ils proposent : exclure la recherche du master enseignement (puisque, selon nos interlocuteurs, l’initiation à la recherche n’est pas réellement nécessaire aux candidats au CAPES), et maintenir le master recherche comme propédeutique à l’agrégation et au doctorat. La question de la mastérisation de l’agrégation ne semble pas à l’ordre du jour.
• Mme Durand a également émis l’hypothèse que les titulaires d’un master enseignement recalés au concours puissent préparer ensuite un master recherche. Des personnes « incapables d’enseigner dans un collège de ZEP » peuvent devenir de très bons chercheurs.
• L’idée de base de la réforme reste que « les universités vont avoir la main » pour concevoir des masters variés qui prendront en charge les enseignements mais aussi les évaluations disciplinaires.