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Les nouveaux CAPES : analyse de Stéphane Mantoux, agrégatif en histoire à l’université de Bourgogne

mercredi 10 décembre 2008, par Laurence

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Voilà un billet que j’aurais dû écrire depuis longtemps, puisque d’une certaine façon, je suis encore concerné -d’une part car je prépare l’agrégation d’histoire cette année, mais aussi parce que j’ai passé le CAPES l’an passé et que je suis "dans la maison", pour ainsi dire... A Dijon, où je prépare mon agrégation, au sein de l’université de Bourgogne, les capétiens et les agrégatifs d’histoire-géo ne se sentent pour l’instant pas plus émus que d’ordinaire par cette réforme des concours, à ce que j’en ai vu. Beaucoup semblent se concentrer d’abord sur leur préparation, ce qui paraît normal. Pourtant, le mécontentement face à la nouvelle forme que les concours doivent prendre s’amplifie. Mercredi 3 décembre, 300 personnes ont ainsi assisté à une réunion en amphi qui a largement abordé le sujet. Si la question ne passionne pas jusque à l’engagement actif pour beaucoup, il n’en demeure pas moins qu’elle inquiète les intéressés. Il faut savoir qu’à l’université de Bourgogne, les maquettes portant sur les nouveaux concours sont déjà à l’étude... les capétiens et les agrégatifs dijonnais, je pense en premier lieu à ceux d’histoire-géo, feraient donc bien de se pencher un peu plus sur la question, faute de quoi ils se retrouveront pour ainsi dire le bec dans l’eau s’ils doivent repasser les concours l’an prochain (évidemment, je ne parle pas pour ceux qui approuvent la réforme, s’il y en a...).

Car c’est un projet tout à fait machiavélique concernant les concours de recrutement des professeurs que nous a pondu notre ministère de l’Education Nationale, et qui doit être mis en place pour la session 2010. Je prends l’exemple de la filière histoire (associée à la géographie, donc cela concerne les deux matières) car évidemment, c’est celle que je connais le mieux et que je suis la plus à même de décortiquer pour expliquer le bouleversement dramatique qu’induit la réforme des concours.

Le CAPES d’histoire-géographie tel qu’il existe encore cette année, et tel qu’il est pratiqué par mes collègues capétiens à Dijon, prolonge et valide en quelque sorte le parcours de l’étudiant en histoire (plus souvent qu’en géographie, ces derniers ne représentant malheureusement plus qu’une infime fraction des lauréats au CAPES). Celui-ci doit d’abord obtenir sa licence (BAC+3) pour passer le concours. Le CAPES en lui-même comprend des épreuves écrites qui sont réalisées au mois de mars, généralement, suivant la rentrée universitaire de septembre. Pour l’histoire, il y a 4 sujets correspond aux 4 divisions canoniques historiques (histoire ancienne, histoire médiévale, histoire moderne et histoire contemporaine) ; s’ajoutent 3 sujets de géographie (parmi lesquels la France, restée immuable jusqu’à cette année mais qui pour la première fois à changé d’intitulé) que les étudiants doivent également maîtriser. L’écrit du CAPES compte pour un tiers de la note finale ; il y a deux épreuves, une en histoire (dissertation en 5h sur un sujet accompagné de quelques documents, matière tirée au sort parmi les 4 sujets d’étude mais dans les faits, les matières tombent les unes après les autres régulièrement, dans le désordre, bien sûr) et une en géographie (dissertation en 5h sur un sujet accompagné de documents, parmi les 3 sujets d’étude encore une fois, et là aussi le tirage au sort est somme toute relatif). Les deux épreuves écrites ont le même coefficient, ce qui oblige à ne négliger aucune des deux (surtout la géographie pour les historiens, qui sont les plus nombreux). Les résultats de l’écrit tombent généralement à la fin du mois de mai. Cela laisse environ un mois à ceux que l’on appelle les "admissibles" pour finaliser leur préparation de l’oral du CAPES, qui se tient en gros dans la seconde quinzaine de juin et début juillet. L’oral du CAPES d’histoire géographie compte pour les deux tiers de la note finale, il est donc crucial : il comporte trois épreuves qui changent si le candidat est historien ou bien géographe. Prenons l’exemple de l’historien, plus représentatif. Il doit passer une épreuve d’histoire : un sujet tiré au sort concernant l’un des 4 thèmes étudiés, qu’il doit préparer en 4h avec un temps de passage de 30 mn suivi d’une reprise de 15 mn par le jury. Il y a également une épreuve de géographie, sur un sujet qui peut être soit un dossier de documents à commenter (avec un intitulé général), soit une carte topographique à présenter, type de sujet particulièrement redouté des historiens, en général ; l’étudiant la prépare en 2h et passe 15 mn suivies de 15 mn de reprise par le jury. Enfin, la dernière épreuve s’appelle l’Epreuve Sur Dossier (dans le jargon, on dit ESD) : c’est une sorte d’interrogation épistémologique sur les deux disciplines, histoire et géographie : on peut tomber sur l’une ou l’autre selon le sujet. L’étudiant prépare là encore pendant 2h son sujet, et passe 15 mn, après quoi suit une reprise de 30 mn par le jury. Au sein de l’oral du CAPES qui compte pour deux tiers de la note finale, l’histoire et l’ESD ont un coefficient 3, et la géographie un coefficient de 2 seulement. Les résultats définitifs tombent à la mi-juillet. Dans sa forme actuelle, donc, le CAPES avalise les compétences acquises par l’historien au cours de son cursus universitaire, puisque les thèmes d’étude, en histoire surtout, sont dans la lignée de ceux qu’il a pu voir dans ses trois premières années de formation. La nature des épreuves, également, est dans la continuité des partiels écrits et autres exposés oraux en TD que l’étudiant doit normalement effectuer jusqu’à la licence. L’accent est mis, ce qui semble logique, sur les compétences disciplinaires acquises dans le domaine d’études de l’historien, tout en faisant la place à une ouverture sur le métier d’enseignant : le capétien effectue en effet des stages en établissement scolaire dans l’intervalle entre les écrits du CAPES et les résultats de celui-ci (entre mars et mai, donc) ; l’épreuve d’ESD comporte une part d’éducation civique (connaissance des programmes enseignés dans le secondaire notamment) sur laquelle le capétien est interrogé dans la reprise de son oral ; pour l’oral du CAPES, de manière générale, il doit faire preuve d’une capacité pédagogique dans sa rhétorique et dans son organisation du temps, par exemple. La formation est donc relativement adéquate, de mon point de vue, même si elle est perfectible, sans aucun doute.

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Concernant l’agrégation d’histoire, qui nécessite un master 1 (BAC+4, ancienne maîtrise), les programmes sont les mêmes que ceux du CAPES. On conserve les 4 matières d’histoire, mais seulement 2 sur les 3 de géographie présentes au CAPES, dont la France obligatoirement. Ce qui change, c’est la nature des épreuves écrites et orales. L’écrit a lieu plus tard, en avril, en gros un mois après celui du CAPES. Il comprend 3 épreuves d’histoire, chacune sur une matière particulière : cela veut dire que 3 sujets d’histoire sur 4 tombent à l’écrit, ce qui suppose une connaissance plus poussée des sujets en question. Ces 3 épreuves se décomposent en 2 dissertations de 7h chacune sur un sujet précis, et un commentaire de document sur une autre des matières traitées, également en 7h. La dernière épreuve est une dissertation de géographie, là encore en 7h. Programme beaucoup plus chargé, donc, pour l’agrégatif, qui enchaîne 4 épreuves de 7h soit 28h en 4 jours, contre 2 épreuves de 5h soit 10h en 2 jours pour le capétien. Ces 4 épreuves sont toutes au coefficient 1. Les résultats de l’écrit de l’agrégation tombent en général presque simultanément par rapport à ceux de l’écrit de CAPES, fin mai. A l’oral, l’admissible à l’agrégation doit affronter trois épreuves, toutes à coefficient 2 : une leçon d’histoire dite hors-programme (c’est à dire qu’en théorie, elle peut tomber sur n’importe quel sujet en dehors des 4 thèmes traités durant l’année), préparée en 6h, avec 35 mn de passage et 25 mn de reprise par le jury. La deuxième épreuve est une explication de documents historiques, préparée en 6h, avec un passage de 25 mn et une reprise de 35 mn. Enfin, la dernière épreuve est un commentaire d’une carte ou de documents géographiques, préparée en 6h, avec un passage de 25 mn et une reprise de 35 mn. Ces deux dernières épreuves portent elles sur les sujets au programme, contrairement à la leçon hors-programme. On le voit, l’agrégation d’histoire est beaucoup plus difficile que le CAPES, car elle ouvre pour les lauréats la voie de l’enseignement supérieur alors que le CAPES, lui, est censé fournir les professeurs de l’enseignement secondaire (collèges et lycées).

Je viens de vous présenter la forme actuelle des concours, CAPES et agrégation, pour l’histoire-géographie, tels qu’ils sont encore appliqués cette année. Mais Xavier Darcos, lui, veut mettre en place une toute autre organisation des concours qui filtre depuis le mois de décembre 2007 environ, c’est à dire il y a presque un an. Elle est résumée dans ce document qui est paru au mois d’octobre dernier. Cette "réforme" des concours concerne non seulement ceux de l’enseignement secondaire mais également ceux du primaire. Cet autre document, lui, est la circulaire détaillant le processus de masterisation concernant la formation des maîtres.

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La première partie du premier document explique pourquoi les concours sont modifiés, "pour mieux répondre aux attentes du Ministère de l’Education Nationale" :

1) Les concours sont repoussés à BAC+5, c’est à dire au niveau master du système LMD en vigueur désormais dans les universités françaises. Pour le CAPES par exemple, cela repousse de deux années le niveau de diplôme jusqu’ici nécessaire, c’est à dire la licence, pour pouvoir passer son concours de l’enseignement. Ce changement reflète sans doute une volonté d’harmonisation avec les autres pays de l’Union Européenne, qui ont pratiquement tous leurs concours au niveau du master. Néanmoins, c’est faire fi de la réalité sociale du monde étudiant français, la plupart d’entre eux n’ayant pas forcément les moyens de soutenir financièrement 5 années d’études (dans le meilleurs des cas) sans parler des années de concours. L’agrégation, elle, est aussi remontée au niveau master (de BAC+4 à BAC+5), mais il est explicitement précisé qu’elle servira d’abord à alimenter l’enseignement supérieur. Par ce biais, on provoque une fracture entre un enseignement secondaire cantonné aux capétiens et un enseignement supérieur où n’évoluerait que des agrégatifs. C’est une régression qui ne se le dit pas mais qui est bien là, pourtant. Et elle est rien moins que dangereuse.

2) Les nouveaux concours (hors l’agrégation) sont d’après le document orientés en fonction de trois impératifs pris dans la loi sur l’avenir de l’école du 23 avril 2005 : la culture disciplinaire, la capacité à planifier et à organiser un enseignement adapté à un niveau de classe et la connaissance du service public de l’éducation. Belles paroles, mais nous allons voir que cela implique des transformations qui sont loin d’être innocentes ; en outre, cela doit s’organiser dans des conditions telles qu’aucune des trois impératifs n’est acquis.

3) Plusieurs autres principes directeurs guident la réforme des concours : séparer ce qui relève de l’université (formation des étudiants jusqu’au master) et de l’Education Nationale (insertion dans la vie professionnelle, en gros) ; passer d’une logique de confirmation du savoir universitaire à une logique de recrutement conforme aux besoins de l’employer (l’Education Nationale, si encore il était besoin de le préciser) ; harmoniser les concours par l’intermédiaire des épreuves (mêmes types, mêmes nombres) ; assurer la prépondérance des épreuves d’admission (orale) avec une finalité entièrement pédagogique ; impliquer dans le recrutement des membres de l’Education Nationale et d’autres personnes de la société civile. Quand on lit le document, on a l’impression de faire face à une entreprise qui recherche l’optimum de rendement...

4) Il est prévu que les épreuves d’admissibilité se déroulent à la fin du premier semestre universitaire, soit en décembre/janvier alors que le CAPES par exemple voit ses épreuves d’admissibilité de
début mars... on se demande bien ce que les étudiants pourront apprendre dans ce très court laps de temps (trois mois après la rentrée normale !).

5) Un référentiel de compétences professionnelles de l’enseignant est pris en compte dans la conception des nouveaux concours.

Voilà l’argumentation générale. Voyons ce que cela donne dans le détail pour le CAPES.

On garde les deux épreuves à l’écrit, mais l’une d’entre elles concerne les programmes de l’enseignement secondaire, autrement dit ce que l’on enseigne au collège et au lycée. Il est précisé qu’une question épistémologique pourra concerner l’une des épreuves. Les deux épreuves durent 5h et ont un coefficient 2. Autrement dit, on passe d’une logique de confirmation du savoir disciplinaire à une logique de "connaissance exclusive" du métier, ce qui rompt totalement l’équilibre savant du concours existant aujourd’hui. Il n’y a plus aucun contenu disciplinaire dans les épreuves écrites de la nouvelle forme des concours : c’est comme si l’on faisait son cursus jusqu’à la licence, puis que l’on passait à autre chose en se rabattant sur les programmes des manuels d’histoire et de géographie du secondaire ! A peine garde-t-on une dimension épistémologique qui était jusqu’alors affirmée dans l’Epreuve sur Dossier (ESD). C’est une grave atteinte à la cohérence de la progression de l’étudiant dans sa discipline...

Mais le pire est à venir avec les épreuves orales. La première épreuve est une épreuve pédagogique où le candidat est censé mettre en pratique une séquence pédagogique devant le jury à partir d’un exemple des programmes de l’enseignement secondaire. Préparée en 3h, avec un passage et une reprise d’une heure, elle est à coefficient 3. Hors ce genre d’exercice n’a rien à voir avec ce qui se pratique dans le cursus universitaire ! Comment les professeurs d’université, souvent passés depuis longtemps dans le supérieur après le secondaire, pourraient-ils encore former les étudiants à enseigner comme en classe de collège ou de lycée ? Là encore, on perd tout un contenu disciplinaire propre à chacune des sections (histoire et géographie dans mon cas). On peut craindre aussi un pur exercice rhétorique où le candidat n’aurait qu’à faire preuve de maestria dans sa prestation orale pour être considéré comme apte à enseigner. Mais quelle épreuve sanctionnerait alors ses acquis disciplinaires, qui demeurent vitaux dans l’exercice de son métier ?
Aucune, a priori. La deuxième épreuve est un entretien avec le jury portant sur le fonctionnement du système éducatif, avec les mêmes horaires et coefficients que l’épreuve précédente. Autrement dit, c’est du par coeur avec analyse d’un dossier documentaire. Comme me le disait un professeur, "cela consistera à savoir où se situent les toilettes sur le plan d’un établissement scolaire, ou bien à connaître le décret qui vous empêche de baffer un élève qui vous aurait craché dessus". Mais quid de l’appréhension des compétences universitaires, disciplinaires du candidat ? Là encore, on est loin du compte et le recul en termes de recherche sur les personnes est manifeste.

Concernant l’agrégation, le programme est bloqué pendant deux ans et le concours en lui-même n’est modifié que dans sa partie orale : l’une des épreuves sera infléchie dans le sens de l’épreuve pédagogique, tandis qu’on introduit l’entretien avec le jury sur le système éducatif. Reste que ce concours, lui aussi, est concerné par cette nouvelle orientation préjudiciable vers une forme de sélection sur "compétences pédagogiques" -un contenu qui semble bien creux- pour les nouveaux concours de l’enseignement.

Voilà une présentation quelque peu succincte de la question, faute de temps. Si jamais vous voulez creuser, je vous donne quelques liens intéressants :

- Appel CAPES histoire-géographie, lieu de débat sur la réforme des concours.

- Signature d’une charte relative à la réforme du recrutement et de la formation des enseignants, par Valérie Pécresse et Xavier Darcos, le 30 septembre 2008.

- Sauvons l’université ! (merci à Mme Giavarini)

Stéphane Mantoux

http://stephanemantoux.unblog.fr/2008/12/06/reforme-des-concours-de-lenseignement-la-grogne-monte-monte/

Le 6 décembre 2008.