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Classement Pisa : quand nous aimons tester l’éducation, par Nathalie Mons, Maître de conférences en sociologie à l’université de Paris-Est - Libération, 24 décembre 2010

dimanche 26 décembre 2010

L’information s’est diffusée de façon foudroyante sur Internet, mardi 7 décembre. Deux heures après la conférence de presse organisée par l’OCDE pour présenter Pisa - l’enquête internationale sur les acquis des élèves de 15 ans -, plus de 150 articles de langue française présentaient ce palmarès mondial des systèmes éducatifs sur le réseau. Dans la foulée, l’information était reprise au JT des chaînes de télévision et dans les titres de la grande presse.

Qu’est-ce qui explique le succès médiatique planétaire de cet outil de comparaison international des systèmes éducatifs ? Est-ce la nouveauté de ce benchmarking éducatif, comme disent les spécialistes, qui séduit médias, politiques et opinions publiques ? Non, les évaluations internationales des élèves existent depuis un demi-siècle. Dès la fin des années 50, des chercheurs s’étaient réunis sous l’égide de l’Unesco pour développer le premier test international de comparaison des acquis des élèves, laboratoire mondial géant qui devait permettre de mieux comprendre les apprentissages scolaires. Finalement, le lancement du satellite Spoutnik par les Soviétiques en 1957 permit à l’ancêtre de Pisa de trouver un financement américain. Doublés par les Soviétiques dans la course à l’espace, les Etats-Unis traversaient alors une crise de confiance aiguë dans la qualité de leur éducation, notamment scientifique. Ces tests internationaux ont donc toujours présenté deux visages : un instrument scientifique qui vise à mieux comprendre les apprentissages des élèves et un benchmark de politique nationale et de compétition internationale.

Si cette compétition internationale a toujours existé, comment alors expliquer que ces évaluations internationales, hier étudiées dans des cénacles de spécialistes, aujourd’hui fassent la une des grands médias ? Ce qui est nouveau, c’est que ces outils internationaux ont changé de nature : tests techniques au mieux utilisés par les décideurs pour évaluer le « capital humain » des pays dans une concurrence internationale, ils sont devenus désormais des instruments majeurs d’une nouvelle action publique qui joue davantage sur la comparaison, régionale ou internationale, moins sur la prescription réglementaire et donne une place nouvelle à l’opinion publique.

Quatre phénomènes expliquent le recours de plus en plus fréquent au benchmarking. Tout d’abord l’influence croissante du mouvement intellectuel du New Public Management à la base de nombreuses réformes des administrations publiques dans les pays de l’OCDE. Les principales orientations de ce courant pragmatique sont les suivantes : les productions des services publics doivent être évaluées quantitativement pour que les fonctionnaires puissent rendre des comptes à l’usager et au citoyen. L’évaluation est censée aussi susciter stimulation et compétition entre les acteurs, les écoles par exemple, et permettre ainsi d’améliorer la production de service finale. Deuxième mouvement qui explique le développement du benchmarking : ce que les politologues appellent l’avènement de la « démocratie du public », nouvelle étape de la vie démocratique qui accorde une place plus importante aux opinions publiques censées participer aux décisions et donc être informées des résultats de l’action publique. Troisième facteur confortant le benchmarking : la perte de légitimité du politique le pousse de plus en plus à justifier ses interventions par les résultats de recherches quantitatives, les statistiques rassurant sur le sérieux de l’argumentation.

Un test comme Pisa sert ces objectifs multiples : un objectif de mesure de la « production » en éducation (les systèmes éducatifs nationaux sont notés et classés sur une échelle de performances) ; un objectif de reddition des comptes aux citoyens (l’opinion publique est informée des performances de son école nationale) ; un objectif de mise en concurrence des pays, censés se réformer pour s’améliorer, et enfin un objectif de légitimation de l’action publique par les résultats de la recherche.

A noter que ce dernier objectif n’empêche pas, au-delà des déclarations de principe gouvernementales, des décrochages nets entre les préconisations politiques de l’OCDE et les réformes réellement décidées dans les pays, car le lien entre expertise et décision publique est complexe. Au total, c’est la capacité de Pisa à remplir ces missions variées qui explique que cette évaluation planétaire soit devenue la success story de l’OCDE.


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