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Sarkozy et le monde enseignant : de l’ignorance et de l’approximation comme méthode de gouvernement, par Samuel Kuhn (Mediapart, 24 février 2009)

mercredi 25 février 2009

« L’ignorance du passé ne se borne pas à nuire à la connaissance du présent : elle compromet, dans le présent, l’action même », écrivait l’historien Marc Bloch dans son Apologie pour l’histoire (publié à titre posthume en 1949).

Nicolas Sarkozy, qui se pique d’histoire, devrait de temps en temps réviser les classiques. Juste pour éviter ce qui devient malheureusement une habitude : l’approximation pour toute rigueur, la proclamation de contre-vérité en guise d’effet d’annonce. En témoigne le désormais célèbre discours du 22 janvier 2009 sur la recherche.

Or, voilà qu’on apprend aujourd’hui dans Le Monde (édition électronique du 24 février ; édition papier du 25 février) que « L’Elysée envisage d’affecter à l’université des professeurs du secondaire ».

Moi-même enseignant dans le secondaire et chercheur-doctorant, ayant exercé à l’université comme chargé de cours et comme attaché temporaire d’enseignement et de recherche (ATER), me voilà plus qu’intrigué. Je lis donc que l’idée d’affecter (à temps complet ou partiel) à l’université des enseignants exerçant dans le secondaire fut au menu des conversations lors d’un déjeuner à l’Elysée lundi dernier ; déjeuner auquel furent conviés, en compagnie de Xavier Darcos et Richard Descoings, onze enseignants du primaire et du secondaire.

Bonne idée ? En tout cas, comme c’est trop souvent le cas pour tout ce qui touche à l’éducation, redécouverte de l’eau chaude… Car les passerelles entre secondaire et supérieur existent déjà !

On peut ainsi évoquer :

- les chargés de cours : des « vacataires » qui sont pour l’essentiel des enseignants du secondaire venant à l’université assurer quelques heures (en général 48h sur un semestre) en plus de leur service habituel (ces chargés de cours, cherchent ainsi à mettre un pied à l’université sur leur temps libre car ils ne bénéficient d’aucune décharge d’enseignement dans leur établissement de rattachement et pour un simple dédommagement en guise de salaire).

- les PRAG (professeurs agrégés aux universités) et PRCE (professeurs certifiés affectés dans l’enseignement supérieur : université, IUFM, IUT) auxquels s’ajoutent quelques professeurs de l’enseignement professionnel et d’EPS pour un service à temps complet d’enseignement (384 heures). Précisons qu’un professeur agrégé affecté à l’université ne dispose pas du statut d’enseignant-chercheur bien que parfois rattaché aux équipes de recherche.

On pourrait simplement s’amuser ou s’agacer de cette ignorance des réalités actuelles. On peut aussi légitimement s’inquiéter. Que cache ce nouvel effet d’annonce ? Une nouvelle atteinte, déguisée, au statut des enseignants-chercheurs par l’introduction à l’université d’enseignants non chercheurs qu’on imagine donc sans peine moins bien rémunérés ? Que dire également des non-dits de ce projet, de l’ignorance qu’il révèle sur la situation de nombre de jeunes chercheurs doctorants qui sont enseignants dans le secondaire et essaient, tant bien que mal, de concilier les exigences d’un travail de thèse de doctorat (aux contraintes alourdies par la réforme du LMD) avec celles de leur métier d’enseignant ? Si Nicolas Sarkozy souhaite réellement faire entrer des enseignants du secondaire à l’université, il suffirait sans doute d’augmenter le nombre de postes dans la dite université. Les doctorants, les jeunes docteurs sont nombreux à frapper à une porte close.

Valérie Pécresse était ce matin sur France Inter. A la question de Nicolas Demorand qui lui demandait si la réduction des postes à l’université signifiait un sur-effectif elle n’a tout simplement rien répondu…


Voir en ligne : http://www.mediapart.fr/club/editio...