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Les statistiques de l’Education nationale sont-elles un secret d’Etat ? - Libération, 5 avril 2012

jeudi 5 avril 2012

Leur nom : « les déchiffreurs de l’éducation ». Ce collectif, soutenu par les syndicats, se bat pour que les études statistiques sur l’école sortent des tiroirs du ministre.
Par M.P.

Sur le bureau du ministre de l’Éducation, six ou sept études sont empilées, en attente de publication. Le seront-elles ? Quand ? A moins qu’elles ne passent à la trappe... Le bataillon des statisticiens de l’Éducation nationale est un peu découragé. « Au premier trimestre, une seule de nos enquêtes, pourtant commandées officiellement, a été rendue publique... alors qu’on en produit une cinquantaine par an environ », affirmait mardi un fonctionnaire de la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (la Depp). Hier, deux études, sur le brevet et le bac, ont été mises en ligne.

Le problème n’est pas nouveau. En novembre, une forte mobilisation, relayée dans les médias, avait forcé le ministère à vider les tiroirs. Une quinzaine d’études avaient été publiées en l’espace de quelques jours. « Aujourd’hui, statisticiens, chercheurs, syndicalistes, journalistes, professeurs... Nous partageons tous le même constat : le ministère bloque certaines publications et en détourne d’autres pour servir sa communication », dénonce Jean-Claude Emin. Ce jeune retraité, ancien de la Depp, vient de lancer avec des anciens collègues le collectif « les déchiffreurs de l’éducation », et un blog du même nom. L’initiative est soutenue par toute une panoplie de syndicats et organisations (CGT éducation, Unsa, Snuipp, Sud éducation, ligue de l’enseignement, FCPE...).
Les fuites, denrée rare

L’objectif du collectif est double. D’abord lancer un appel pour que cesse cette manipulation de la statistique publique. « Il faut que les études servent à nourrir le débat sur le système éducatif. L’utilisation politique faite aujourd’hui des chiffres dévalorise le travail des services du ministère, jette le discrédit sur la façon de travailler des agents et fausse le débat public », dénoncent Jean-Claude Emin et Daniel Blondet, ancien de la Dgesco, direction générale de l’enseignement scolaire. « Il faut une logique dépolitisée de la statistique. On a besoin de thermomètre et pas que le ministre fasse ainsi de la rétention d’information, renchérit Luc Bentz de Unsa-éducation.

En justiciers de la stat, les déchiffreurs comptent rétablir eux-mêmes la vérité sur les chiffres. Leur blog, hébergé par les Cahiers pédagogiques, ne contient pour le moment que quelques notes dont une intéressante sur les décrocheurs, ces jeunes qui sortent chaque année du système éducatif sans diplôme. Selon eux, leur nombre serait largement surévalué par le cabinet du ministre. [Démonstration à lire ici].

Autres dossiers bientôt passés au scanner, promettent-ils : la carte scolaire, l’insertion des étudiants et les fameuses évaluations des CE1 et des CM2. Sébastien Sihr, du Snuipp, le principal syndicat du primaire : « Les évaluations doivent se faire au service des élèves et non de la communication du ministère. L’éducation est gangrenée par cette dictature du chiffre, qui a pris le pas sur le pilotage de la classe. »

Les déchiffreurs espèrent aussi publier tous ces rapports et études coincés dans le cabinet du ministre parce qu’ils gênent le message politique. Pas évident en pratique. Un agent de la direction générale pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle témoigne : « Si on fait fuiter une étude, l’administration nous identifie immédiatement. Avec les suppressions de postes, on se retrouve de plus en plus souvent seul en charge d’une enquête. Il est donc très facile de nous repérer. On risque gros, j’ai des collègues qui sont en procédure de radiation. »

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