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Le boom des cours gratuits sur Internet à l’université, Marie-Estelle Pech, Le Figaro, 12 février 2012

mercredi 15 février 2012

Retraités, salariés… Plus besoin d’aller sur les bancs de la fac pour s’instruire.

Toutes les universités ont désormais un site Web dédié à l’enseignement (www.universites-numeriques.fr). La plupart ont décidé de faire en sorte que leurs ressources pédagogiques soient de plus en plus souvent rendues publiques. Selon le ministère de l’Enseignement supérieur, qui a financé la formation de deux mille enseignants en la matière, le volume de cours disponibles en fichiers podcast numérisés, vidéo ou audio, a triplé entre 2009 et 2010, passant de 12.000 à 30.000 heures. « Ce chiffre a sans doute encore doublé depuis », assure le responsable des nouvelles technologies d’une université parisienne. Au point que les enseignants sont régulièrement contactés par des passionnés… qui ne sont plus étudiants depuis longtemps. « Le profil classique, c’est le retraité ou l’ingénieur qui souhaite accéder à des contenus scientifiques très pointus », confie un professeur d’économie de l’université Toulouse-I. À Paris-I, ce sont les cours de droit de Michel Verpeaux, adaptés et enregistrés en studio, qui génèrent le plus de téléchargements. À Rennes-II, les cours en vogue sont des vidéos sur les arts du spectacle et des cours de « narratologie dans le cinéma » ainsi que les cours sur le tsunami d’Hervé Régnauld, professeur de géographie physique. « Les sujets d’actualité attirent beaucoup de curieux en quête d’explications approfondies », explique-t-on.

Cette pratique de la mise à disposition des contenus pour tous est inspirée de la célèbre université américaine Massachusetts Institute of Technology (MIT), pionnier, il y a plus de vingt ans. « On part du principe que plus les ressources sont diffusées et plus les enseignants vont proposer des cours de meilleure qualité », souligne Benoît Roques, directeur adjoint des nouvelles technologies (Tice) de l’université Paris-I. Les documents de cours sont de plus améliorables régulièrement par leurs auteurs. Autre avantage, l’image de l’institution profite de cette ouverture. L’École centrale de Lyon a récemment décidé de mettre en valeur les travaux de ses professeurs et chercheurs en s’inspirant du modèle des conférences californiennes TED diffusées sur Internet. D’excellente qualité, chacune est regardée par des millions d’internautes. « Une conférence podcastée peut rapporter une visibilité internationale à nos enseignants, elle ouvre sur un lectorat qu’ils n’auraient peut-être jamais atteint, mais aussi sur une forme de notoriété personnelle », confie Carole Nocéra, responsable des Tice pour le pôle de recherche et d’enseignement supérieur de Bretagne occidentale.

Marché noir
Aujourd’hui plus de 1000 enseignants de Paris-I utilisent les services Internet de leur université, essentiellement pour fournir des éléments en complément de l’enseignement classique en TD, contre 150 en 2006. La proportion de réticents s’amenuise. Les arguments sont les mêmes depuis la généralisation des nouvelles technologies : les professeurs craignent le risque du plagiat de leurs travaux ou de leurs cours. D’autres s’inquiètent aussi de ce que les étudiants désertent leurs cours magistraux en amphithéâtres… En réalité, affirme Benoît Roques, la mise à disposition gratuite des travaux permet de se prémunir d’un marché au noir qui tend à se développer de plus en plus : celui des cours payants disponibles sur certains sites et vendus aux étudiants par les étudiants. Les disciplines juridiques et médicales sont particulièrement touchées par ce phénomène. « La mise en ligne ne vide pas les amphis puisqu’elle se présente sous forme de complément », assure-t-il. Elle rend en revanche de grands services aux étudiants handicapés ou salariés qui n’auraient de toute façon pas pu assister à tous les cours.

Les leçons rendues accessibles au grand public sont généralement adaptés. « On ne peut rendre public un cours de deux heures d’anglais, car il s’agit d’un enseignement dans le cadre d’une progression annuelle », explique Benoît Roques, qui estime qu’Internet finira par influer sur la pédagogie universitaire : « On peut imaginer davantage de cours en petits groupes avec plus d’interactions et moins de cours magistraux. »

« L’idée de partager mes cours me plaît »
À l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris-VI), Claude Aslangul fait partie de ces professeurs qui diffusent une grande partie de leurs cours sur Internet depuis maintenant quinze ans. Régulièrement, il se voit contacté par mail par des curieux qui lui posent des questions sur tel ou tel point ou le félicitent. « Ce sont des scientifiques, bien sûr, des ingénieurs de tous les âges, mais aussi souvent simplement des gens curieux qui ont gardé une passion pour leurs études scientifiques et qui veulent progresser pour le plaisir, explique ce professeur qui partira bientôt à la retraite. L’idée de partager mes cours me plaît, car je trouve que l’université ne fait pas encore suffisamment de choses en direction du grand public. » Les « mentalités évoluent », estime-t-il, mais certains de ces collègues sont encore un peu réticents en raison du travail supplémentaire que demande une mise en ligne : « La présentation doit être soignée, attrayante, régulièrement mise à jour, etc. C’est beaucoup de travail », détaille-t-il.

« Une aventure positive »
Claude Aslangul n’a « jamais eu de stratégie de notoriété » en diffusant ses cours, même si, remarqués par un éditeur, ces derniers lui ont permis d’être publié et d’écrire trois livres sur les mathématiques et la mécanique quantique. « Cette aventure a été très positive pour moi », reconnaît-il. Mais son but reste de « permettre à qui veut d’en profiter. J’ai avant tout le souci du service public, car c’est selon moi l’une des tâches premières des universités. »

Économiste financier dans une banque parisienne, Philippe Trazit, 35 ans, s’est pris de passion pour les cours du physicien en surfant sur Internet : « Je cherchais un cours de mathématiques appliquées pour me perfectionner dans ce domaine et je suis tombé sur son cours, remarquablement bien fait, de mathématiques pour physiciens. » Ancien lettré, l’auteur écrit à « la manière des traités mathématiques du XIXe siècle », explique-t-il : « C’est très littéraire, très plaisant à lire avec beaucoup de volonté d’explications par rapport à un cours standard. » Après avoir échangé quelques messages avec le professeur pour le remercier et lui poser des questions sur son parcours, il a fini par acheter l’un de ses livres, qui trône désormais en bonne place dans sa bibliothèque scientifique…

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