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Téléthon : l’analyse de Jean-Michel Bader, journaliste au service "Sciences et Médecine" du "Figaro"

Vendredi 7 décembre

lundi 10 décembre 2007, par Laurence

Téléthon : l’analyse de Jean-Michel Bader

Selon Jean-Michel Bader, journaliste au service Sciences et Médecine du Figaro, l’argent du Téléthon oriente la recherche dans une direction contestée par les scientifiques.

Le marathon télévisuel qui mobilise France Télévision pendant trente heures a démarré hier soir à 19 heures. Les Français sont invités à déclarer des promesses de don. Sans décourager la générosité du public, l’espoir des malades, ni faire fi de la douleur morale de leurs familles, il faut cependant temporiser l’enthousiasme médiatique qui accompagne comme chaque année cette spectaculaire cérémonie du Téléthon.

Cette 21e édition d’un phénomène qui, depuis 1988, a déjà récolté 778 M€ pour la recherche et 473 M€ pour l’aide aux malades va en effet servir une fois de plus de chiffon rouge aux yeux des chercheurs en colère.

Les conflits durs sur la réforme de l’université, le fléchage massif et les déficits profonds de financements de projets par l’Agence nationale de la recherche (ANR), la politique de valorisation tous azimuts imposée aux doctorants et directeurs d’unité teintent l’avenir de couleurs sombres. Un communiqué du SNTRS-CGT résume bien l’attitude de nombre de membres de la communauté scientifique, il est titré : « Malentendu, promesses inconsidérées, pouvoir d’achat en baisse… L’avenir est incertain ».

Le malentendu – pour certains le danger –, c’est le financement de la recherche par les associations de malades. Alors qu’aux États-Unis, le Téléthon confie la répartition des dons aux organismes de recherche, en France, c’est l’Association française contre les myopathies qui dirige et qui décide.

Bernard Barataud, dont le génie fut de fédérer les associations et de se lancer dans l’appel à la générosité du public, a décidé en 1993 de tout miser sur la thérapie génique. « La grande initiative » vers laquelle ont été réorientés la majorité des financements du Téléthon devait permettre, une fois élucidé la séquence ADN des chromosomes humains, de trouver les gènes, détecter les mutations à l’origine des pathologies et aboutir à l’ADN médicament sur mesure, maladie par maladie.

L’essentiel des moyens financiers est attribué à l’ANR

Cette « vision particulièrement réductrice de la biologie » est dénoncée par des chercheurs comme Michel Pierre ou Gilles Mercier (Unité Inserm 854, Bicêtre), mais elle avait l’intérêt de la rapidité de mise en œuvre en misant tout sur l’introduction dans la cellule d’un gène normal censé compenser le défaut responsable de la maladie. Étaient donc écartés d’emblée des « fonds Téléthon » les recherches sur les mécanismes de régulation de la cellule, d’insertion d’un gène dans l’ADN, les questions sur la prolifération et les cellules souches.

Certes, quelques « bébés bulle », atteints de déficit immunitaire combine sévère (SCID-X1), ont reçu avec succès une thérapie génique. « Oui, mais les complications apparues dans le traitement relativisent ce succès en mettant le doigt sur les limites de la thérapie génique », selon le Syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique.

Des « poids lourds » de la biologie française partagent l’analyse. Le Pr Arnold Munnich, qui a participé à plusieurs comités scientifiques de l’AFM, expliquait récemment lors d’une réunion de l’office parlementaire des choix scientifiques et techniques : « On a eu un discours grandiloquent sur la thérapie génique. Vingt ans après la découverte du gène de la myopathie de Duchenne, nous ne sommes guère avancés. Il faut sortir de l’idéologie et du dogmatisme, et ceci sera vrai aussi pour la thérapie cellulaire. »

Bertrand Jordan, directeur de recherche en biologie moléculaire au CNRS, avait dénoncé dans son ouvrage Thérapie génique : la grande illusion les mirages et les limites de la méthode. Les accusations « d’hégémonie, de toute-puissance, d’impérialisme scientifique » sont d’autant plus marquées que les financements publics sont préoccupants (en 2002 et 2003, deux baisses de 10% du budget de l’Inserm ont été décidées).

Avec le pacte pour la recherche, l’essentiel des moyens financiers est attribué à l’ANR, et avec la création d’une agence d’évaluation (AERES) pilotée directement par le ministère de la Recherche, le contrôle de la recherche est sous la coupe du pouvoir politique. Or les commissions spécialisées des instituts de recherche seraient le mieux placées pour évaluer en toute indépendance les projets : un rapprochement du conseil scientifique de l’AFM avec ses homologues de l’Inserm et du CNRS serait donc la meilleure solution pour éviter les dérives actuelles.

Autre malentendu : l’association prétend lutter contre toutes les maladies orphelines, rares, génétiques. Mais en finançant surtout des recherches sur les maladies neuromusculaires, elle écarte de facto l’atrésie de l’œsophage, l’ataxie de Friedrich, la polykystose rénale… Et en affichant les enfants malades à la télévision, en privilégiant les pathologies de l’enfant, l’AFM écarte le handicap et les maladies musculaires de l’adulte et des personnes âgées, moins « antennables » sans doute mais tout aussi dignes d’attention.

Rappelons que, par contraste, la Ligue nationale contre le cancer, malgré les sommes considérables dont elle dispose, n’a jamais voulu peser sur les choix de la recherche dans son domaine.