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Réformer la formation des enseignants du secondaire : un désastre annoncé - Collectif, juin 2021

samedi 12 juin 2021, par Mariannick

L’actuelle réforme du master MEEF (Métiers de l’Enseignement, de l’Éducation et de la Formation) et du CAPES-CAFEP dessinée par le décret du 25 janvier 2021 aura des conséquences néfastes, dénoncées par tous les professionnels du métier (enseignants du secondaire et leurs représentants, sociétés savantes, préparateurs au concours dans les Universités). Il importe d’en informer les étudiants, les parents d’élèves, les établissements d’enseignement.
Si ce désastre concerne toutes les disciplines, il est encore amplifié concernant la formation en histoire- géographie par la décision qui vise à décorréler les programmes du CAPES et de l’agrégation d’histoire.

De nombreuses tribunes et prises de position publiques ont alerté le Ministre de l’Éducation Nationale mais sans effet ; l’entretien des présidents des universités avec les représentants du Ministère de l’Éducation Nationale (MEN) et du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, s’est soldé à son tour par un échec.
Ces réformes se font sans l’Université, voire contre elle. Le MEN avance à marche forcée sans répondre aux questions de fond sur l’attractivité du métier d’enseignant, sur le socle scientifique des futurs professeurs, et sur tout ce qui les prépare authentiquement aux réalités d’un métier difficile et en perpétuelle adaptation. La réponse ministérielle n’est pas à la hauteur de ces enjeux de société, elle va même à leur encontre.

Pourquoi dénoncer ces réformes ? Quelles sont leurs conséquences inévitables ?

1) Une formation scientifique appauvrie :
- dans les CAPES-CAFEP à plusieurs disciplines, comme histoire-géographie, parmi
les épreuves orales d’admission au concours, seule une des deux disciplines sera évaluée ; la seconde portera sur un oral professionnel. Il est pourtant logique et nécessaire que la validation, à l’écrit et à l’oral, concerne toutes les compétences disciplinaires.
- Il est prévu que les questions d’histoire mises au concours soient, à très brève
échéance, calquées étroitement sur celles qui sont enseignées dans le secondaire : comment faire croire que les enseignants seront meilleurs s’ils connaissent uniquement les programmes de l’enseignement secondaire ? C’est un leurre. Que feront-ils si les programmes changent ? Auront-ils une leçon d’avance sur les élèves ?

2) Une absurdité sociale :

Le CAPES-CAFEP d’histoire-géographie n’aura plus le même programme que celui de l’agrégation d’histoire :
- les candidats ne pourront plus préparer à la fois le CAPES et l’agrégation
d’histoire, ce qui réduira considérablement leurs chances de réussite et limitera le recrutement nécessaire au bon fonctionnement de l’Éducation Nationale.
- l’impact social sera particulièrement catastrophique sur les étudiants les plus défavorisés : s’ils échouent à l’agrégation (sans pouvoir dorénavant passer le CAPES-CAFEP), ils n’auront d’autre solution que de recommencer une année de préparation ; ce qui les obligera à prolonger le financement de leurs études ou à devenir des contractuels sans qualification.

3) Une formation pédagogique dégradée :
Les étudiants auront 12 semaines de stage dans le cadre du MEEF. S’ils réussissent au concours du CAPES et obtiennent le master MEEF, ils devront enseigner à temps plein, sans l’allègement normalement attendu pour de jeunes fonctionnaires stagiaires : la brutalité du traitement infligé aux jeunes enseignants contraste avec l’ancienne situation (jusqu’en 2019) qui leur proposait une année entière de stage à temps partiel au sortir de leurs années d’études.
Les enseignants risquent d’être dépourvus des armes intellectuelles et pédagogiques qui leur sont nécessaires, notamment dans des contextes scolaires de plus en plus complexes, et face aux violences grandissantes qui traversent notre société.

4) Le gaspillage budgétaire :
- les universités qui voudront continuer de préparer à ces concours seront obligées
de mettre en place deux préparations au lieu d’une seule, actuellement commune aux deux concours ! Des formes de mutualisation et de collaboration existent déjà entre établissements, mais ces stratégies d’économie seront désormais insuffisantes pour affronter le doublement du « budget concours ». Nombre d’universités vont cesser d’assurer la double préparation.
- la réforme du MEEF est elle-même très « gourmande » en heures, plus coûteuse
que la formation qu’elle doit remplacer. Le Ministère de l’Éducation Nationale entend faire payer sa réforme par les universités.
Or, les universités sont obligées d’agir à moyens constants. Si elles veulent suivre ces injonctions contradictoires, elles devront diminuer très sensiblement l’effort consenti en licence pour former correctement les jeunes étudiants.
Ces décisions sont prises sans aucune considération des capacités financières de plus en plus limitées des universités qu’il n’est pas prévu d’augmenter : elles sont donc inapplicables.

5) La « caporalisation » des enseignants :
Parmi les deux épreuves orales d’admission, un nouvel oral est prévu, à fort coefficient : il s’agira d’un entretien professionnel d’embauche fondé sur la présentation d’un CV (!) et sur la récitation d’un texte énonçant les « valeurs de la laïcité ».
Pour être recrutés, les étudiants devront montrer leur conformité à ce texte standard. Le probable résultat sera une hypocrisie généralisée.
6) Le mépris des étudiants et des jeunes enseignants :
La préparation des épreuves écrites du CAPES-CAFEP au moment même où les étudiants seront en stage, en responsabilité pour la plupart, face à des élèves, voue les candidats à l’échec : la plupart seront diplômés du MEEF, mais sans avoir pu obtenir le statut de fonctionnaire garanti par le concours ; cette situation les condamne ainsi à la contractualisation, c’est-à-dire à la précarisation.
Conscients de ces impasses, les étudiants de licence les plus capables et les plus motivés se détourneront de l’enseignement.
Qui nous fera croire que ces réformes sont un bien pour le pays ? Elles organisent la mise au pas des enseignants du secondaire, aggravent les inégalités entre étudiants qui peuvent financer ou non des années d’études supplémentaires, elles font payer la facture par les Universités qui, pour l’essentiel des années de cursus, forment les futurs professeurs.

Est-ce bien de tels professeurs que nous voulons pour nos enfants ?

Sylvie Aprile, directrice du Département d’Histoire à l’Université Paris-Nanterre.
François Avisseau, directeur de la Faculté des Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Limoges. Pierre-Yves Beaurepaire, directeur du Département d’Histoire à l’Université Côte d’Azur.
Albrecht Burkardt, directeur du Département d’Histoire à la Faculté de Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Limoges.
Philippe Cadène, directeur de l’UFR GHES (Géographie, Histoire, Économie et Sociétés) de l’Université de Paris.
Olivier Chaline, directeur-adjoint de l’UFR d’Histoire et responsable des préparations aux concours de l’enseignement à Sorbonne Université, Faculté des Lettres.
Franck Collard, directeur de l’UFR Sciences humaines et sociales à l’Université Paris-Nanterre. Michèle Coltelloni Trannoy, directrice de l’UFR d’Histoire à Sorbonne Université, Faculté des Lettres. Gabriel de Bruyn, directeur adjoint de l’UFR d’Histoire et Sciences Humaines à l’Université de Caen Normandie.
Esther Dehoux, directrice du Département d’Histoire à l’Université Lille 3 Sciences humaines et sociales.
Edith Fagnoni, directrice de l’UFR de Géographie et d’Aménagement à Sorbonne Université, Faculté des Lettres.
Nathalie Fau, Responsable du Master MEEF Histoire-Géographie de l’Université de Paris.
Naïma Ghermani, directrice du Département d’Histoire à l’Université de Grenoble Alpes.
Lydie Gianella-Goeldner, directrice de l’UFR de géographe à Paris I–Panthéon-Sorbonne.
Philippe Hamon directeur de l’UFR d’histoire à l’université Rennes 2.
Xavier Helary, co-directeur du Département d’Histoire à l’Université Lyon III-Jean Moulin.
Bernard Legras, directeur de l’UFR d’Histoire à Paris I-Panthéon-Sorbonne.
Eric Perrin-Saminadayar, directeur-adjoint de l’UFR3, Université de Montpellier 3 Paul-Valéry. Géraud Poumarède, directeur du Département d’Histoire à l’Université Bordeaux Montaigne.
Alain Tallon, Doyen de la Faculté des lettres, Sorbonne Université.
Laure Verdon, Professeur des Universités, directrice du département d’Histoire de l’université d’Aix- Marseille.
Stéphanie Wyler, directrice adjointe de l’UFR GHES (Géographie, Histoire, Économie et Sociétés) de l’Université de Paris.
François Zanetti, Responsable du Master MEEF Histoire-Géographie de l’Université de Paris.

✍︎ Contacts : edith.fagnoni@sorbonne-universite.fr Bernard.Legras@univ-paris1.fr Sylvie.Pittia@univ-paris1.fr michèle.trannoy@sorbonne-universite.fr

Avec le soutien de Jean Chambaz, Président de Sorbonne Université Christine Neau-Leduc, Présidente de Paris I Panthéon-Sorbonne