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Communiqués de presse : CNRS (17 février), SNCS (17 février), alliance Athena (18 février), présidentes et présidents d’instances du CoNRS (18 février), CS du CNRS (19 février)

vendredi 19 février 2021, par Laurence

1 - L’alliance thématique nationale des sciences humaines et sociales (Athéna) est un lieu de concertation et de coopération stratégique entre les universités et les organismes de recherche. Elle a pour mission d’organiser le dialogue entre les acteurs majeurs de la recherche en sciences humaines et sociales, sur des questions stratégiques pour leur développement et leurs relations avec les autres grands domaines scientifiques. L’alliance porte les positions partagées qui émergent de ce dialogue auprès des instances de décision et de financement de la recherche, de niveau national et européen notamment. L’alliance Athéna consacre ainsi exclusivement ses réflexions aux questions de recherche avec pour objectif constant de servir le débat scientifique, de préserver les espaces de controverses et de favoriser la diversité des questions et des méthodes. A cet égard, il n’est pas du ressort de l’alliance Athéna de conduire des études qui ne reposeraient pas sur le respect des règles fondatrices de la pratique scientifique, qui conduiraient à remettre en question la pertinence ou la légitimité de certains champs de recherche, ou à mettre en doute l’intégrité scientifique de certains collègues.

2 - Frédérique Vidal fait injonction à la recherche publique de procéder à une enquête sur l’« islamo-gauchisme » à l’Université : le SNCS-FSU et le SNESUP-FSU dénoncent cette nouvelle atteinte aux libertés académiques

Depuis bientôt six mois, les universités en France vivent sous la menace de mesures contre un prétendu « islamo-gauchisme  » qui les aurait « gangrénées  ». L’« islamo-gauchisme » n’existe ni dans les universités, ni au CNRS, ni ailleurs dans le monde scientifique. En revanche, la menace de censure est désormais réelle. L’«  islamo-gauchisme » n’est pas un concept scientifique : il ne correspond à aucun travail de recherche ou d’enseignement. C’est le nom qu’une poignée de militants «  identitaires  » souffle à l’oreille des ministres pour disqualifier des travaux de recherche à visée émancipatrice. Sont visées entre autres les études sur le genre, les sexualités, les migrations, les formes de domination et les effets à long terme de la colonisation dans les sociétés contemporaines. Ces travaux sont aujourd’hui stigmatisés par le pouvoir politique, dans un contexte de surenchère entre le Rassemblement National et le gouvernement. Cela signifie que le pouvoir politique s’arroge un droit de regard sur des recherches qui sont menées dans les universités et les laboratoires en France, non pas de manière isolée mais en lien avec la recherche internationale.

Le Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche a fait savoir le mardi 16 février qu’il entendait confier une « étude » sur ces sujets à l’Alliance ATHENA, qui coordonne les recherches en sciences humaines et sociales. La veille, la Ministre avait souhaité que le CNRS lui-même soit chargé de cette mission. Ce recul, si c’en est un, n’est encore que microscopique. C’est l’idée même d’une nouvelle « chasse aux sorcières » qui doit être abandonnée. Les libertés académiques sont en cause, comme rarement elles l’ont été.

Car contrairement à ce qu’a déclaré la Ministre, le pouvoir politique n’a pas à ordonner des enquêtes pour « distinguer ce qui relève de la recherche académique et de ce qui relève du militantisme et de l’opinion  ». La communauté scientifique elle-même évalue en permanence, ce qui, dans la production de ses membres, constitue un travail scientifique valable. Elle le fait tous les jours, sans attendre les enquêtes, injonctions ou oukazes des Ministères et des groupes de pression. Et surtout, une fois la production scientifique dûment validée, elle ne se soucie pas de savoir quelles opinions, éventuellement militantes, ses membres peuvent professer librement par ailleurs.

Les propos de la Ministre, en remettant en question cette liberté fondamentale, ont soulevé une intense émotion dans toute la communauté scientifique et universitaire. Ils révèlent un dangereux climat de défiance contre les chercheurs, qui se répand aussi dans certains médias, et une volonté de pilotage politique de la recherche. Les sciences humaines et sociales ne sont pas seules visées. Quelles seront les prochaines recherches attaquées, par quels ministres et par quels lobbys comme cela a été le cas des cellules souches, ou de la question des substances toxiques dans l’alimentation ou l’environnement, ou des questions climatiques ?

Le SNCS-FSU et le SNESUP-FSU dénoncent les récents propos de Frédérique Vidal. Ils appellent la Ministre à se ressaisir et à se concentrer sur ce à quoi elle a failli depuis sa prise de fonction : le soutien de l’État aux organismes de recherche et aux universités ; la réhabilitation du service public de l’enseignement supérieur et de la recherche ; la démocratisation du savoir et l’aide aux étudiants en détresse en temps de pandémie ; et, plus que jamais, les libertés académiques.

3 - L’« islamogauchisme » n’est pas une réalité scientifique - Communiqué du CNRS, 17 février

« L’islamogauchisme », slogan politique utilisé dans le débat public, ne correspond à aucune réalité scientifique. Ce terme aux contours mal définis, fait l’objet de nombreuses prises de positions publiques, tribunes ou pétitions, souvent passionnées. Le CNRS condamne avec fermeté celles et ceux qui tentent d’en profiter pour remettre en cause la liberté académique, indispensable à la démarche scientifique et à l’avancée des connaissances, ou stigmatiser certaines communautés scientifiques. Le CNRS condamne, en particulier, les tentatives de délégitimation de différents champs de la recherche, comme les études postcoloniales, les études intersectionnelles ou les travaux sur le terme de « race », ou tout autre champ de la connaissance.

Concernant les questions sociales, le rôle du CNRS, et plus généralement de la recherche publique, est d’apporter un éclairage scientifique, une expertise collective, s’appuyant sur les résultats de recherches fondamentales, pour permettre à chacun et chacune de se faire une opinion ou de prendre une décision. Cet éclairage doit faire état d’éventuelles controverses scientifiques car elles sont utiles et permettent de progresser, lorsqu’elles sont conduites dans un esprit ouvert et respectueux.

La polémique actuelle autour de l’ « islamogauchisme », et l’exploitation politique qui en est faite, est emblématique d’une regrettable instrumentalisation de la science. Elle n’est ni la première ni la dernière, elle concerne bien des secteurs au-delà des sciences humaines et des sciences sociales. Or, il y a des voies pour avancer autrement, au fil de l’approfondissement des recherches, de l’explicitation des méthodologies et de la mise à disposition des résultats de recherche. C’est là aussi la mission du CNRS.

C’est dans cet esprit que le CNRS pourra participer à la production de l’étude souhaitée par la Ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation visant à apporter un éclairage scientifique sur les champs de recherche concernés. Ce travail s’inscrirait dans la continuité de travaux d’expertise déjà menés sur le modèle du rapport « Recherches sur les radicalisations, les formes de violence qui en résultent et la manière dont les sociétés les préviennent et s’en protègent » réalisé en 2016 par l’alliance Athena, qui regroupe l’ensemble des forces académiques en sciences humaines et sociales dans les universités, les écoles et les organismes de recherche, ou du rapport « Les sciences humaines et sociales face à la première vague de la pandémie de Covid-19 – Enjeux et formes de la recherche », réalisé par le CNRS en 2020.

4 - Communiqué des présidentes et présidents d’instances du Comité national de la recherche scientifique à la suite des déclarations de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation sur la chaine C-News le 14 février dernier.

Nous avons pris connaissance avec une très grande préoccupation des propos tenus par la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation lors de l’émission Repères sur la chaîne C-News le 14 février dernier.

La ministre y a repris à son compte les propos d’un journal de la presse nationale affirmant que « l’islamogauchisme gangrène l’université  » et a indiqué son intention de « demander notamment au CNRS de faire une enquête sur l’ensemble des courants de recherche sur ces sujets dans l’Université de manière à ce qu’on puisse distinguer ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève justement du militantisme, ce qui relève de l’opinion  ».

Ces propos s’inscrivent dans une continuité inquiétante. En juin 2020, le chef de l’État lui- même avait cru utile d’évoquer les « ambivalences » des discours racisés ou sur l’intersectionnalité et était allé jusqu’à dire que « le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. Cela revient à casser la République en deux  » (Le Monde du 10 juin 2020). En octobre, le ministre de l’Education nationale a dénoncé « les ravages de l’islamo-gauchisme à l’université » (Europe 1, 22 octobre 2020). Et fin novembre, deux parlementaires Les Républicains (Damien Abad et Julien Aubert) ont demandé l’ouverture d’une mission d’information de l’Assemblée nationale sur « les dérives idéologiques dans les milieux universitaires ».

Nous, présidentes et présidents des instances du Comité national de la recherche scientifique, condamnons avec la plus grande fermeté ces déclarations qui vont à l’encontre du principe constitutionnel de garantie des libertés académiques et dénonçons, comme l’a fait la direction du CNRS dans un communiqué rendu public le 17 février, la « regrettable instrumentalisation de la science  » à l’œuvre dans le débat politique en cours.

Signataires :

• La présidente du conseil scientifique du CNRS
• Les présidentes et présidents des conseils scientifiques des instituts du CNRS
• Les présidentes et présidents des sections et commissions interdisciplinaires du comité national de la recherche scientifique

5 - Communiqué du Conseil scientifique du CNRS,

Suite aux déclarations télévisées de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation le 14 février 2021 sur l’antenne CNews et le 16 février sur celle de l’Assemblée nationale.

Le CS du CNRS réprouve les propos de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation affirmant que « l’islamo-gauchisme gangrène l’université » et annonçant qu’elle va confier une enquête au CNRS puis à l’Alliance Athéna. Quelles que soient les compétences des instances auxquelles elle s’adresse, une telle demande n’est pas acceptable car elle relève davantage d’une visée politique dont l’objectif serait de « distinguer ce qui relève de la recherche académique de ce qui relève du militantisme et de l’opinion » que d’un réel questionnement scientifique.

Le CS exprime avec la plus grande fermeté son opposition à ces déclarations qui jettent l’opprobre sur le monde universitaire et vont à l’encontre du principe constitutionnel de garantie des libertés académiques et dénonce, comme l’a fait la direction du CNRS dans un communiqué rendu public le 17 février, la « regrettable instrumentalisation de la science » à l’œuvre dans le débat politique en cours.

Adopté à l’unanimité.

Déclarations de la ministre sur l’« islamo-gauchisme » à l’université :
la rupture est consommée entre le gouvernement et la communauté universitaire et de recherche - Communiqué de la CGT FERC sup, 18 février 2021

La CGT FERC Sup a appris avec consternation les propos de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (ESR) concernant la pseudo notion « d’islamo-gauchisme » à l’université sur le plateau de CNews dimanche 14 février.

La ministre a affirmé : « Moi, je pense que l’islamo-gauchisme gangrène la société dans son ensemble et que l’université n’est pas imperméable et fait partie de la société », et plus loin : « Ce qu’on observe à l’université, c’est que des gens peuvent utiliser leurs titres et l’aura qu’ils ont. Ils sont minoritaires et certains le font pour porter des idées radicales ou des idées militantes de l’islamo-gauchisme en regardant toujours tout par le prisme de leur volonté de diviser, de fracturer, de désigner l’ennemi, etc.  ». Pour finir elle donne raison au présentateur qui prétend (en toute impartialité) : « Il y a une sorte d’alliance, si je puis dire, entre Mao Zedong et l’Ayatollah Khomeini ».

Les collègues apprécieront le niveau du débat et des références.

Lors du CT-MESR du 26 octobre, la FERC CGT avait déjà dénoncé “avec la plus vive fermeté les déclarations publiques du ministre de l’Éducation nationale, selon qui « Ce qu’on appelle l’islamo-gauchisme fait des ravages […] à l’université »”. Elle déclarait également “Une fois n’est pas coutume, nous sommes d’accord avec la CPU pour dire que l’Université est un « lieu de débats et de construction de l’esprit critique », et nous ajoutons que c’est un lieu de socialisation et d’émancipation, un service public indispensable.

À présent, c’est donc au tour de la ministre de l’ESR, qui a décidé d’instrumentaliser le CNRS, puis l’Alliance Athena (qui n’est pas une inspection mais une institution qui coordonne des travaux et recherche en sciences sociales), pour mettre en œuvre un agenda bassement politique. Cette enquête, qui devrait « distinguer ce qui relève de la recherche académique et de ce qui relève du militantisme et de l’opinion », est à l’opposé des traditions universitaires de débats et des libertés académiques, elle veut opérer un tri —politique— entre “bonnes recherches” et “mauvaises recherches”. C’est aussi clairement une mise en garde à peine déguisée, voire un appel à la chasse aux sorcières, visant à remettre au pas les universitaires récalcitrants, qui se rebellent contre les mesures politiques du gouvernement.

Pour la CGT FERC Sup, cela marque l’achèvement d’un processus de rupture entre ce gouvernement et la communauté universitaire et de recherche.

Après la loi ORE et ParcourSup introduisant la sélection à l’entrée à l’université, les augmentations des frais d’inscriptions pour les étudiant·es étrangers et des écoles d’ingénieur publiques, la loi Fonction publique d’août 2019 qui casse les statuts de fonctionnaires, la loi LPR de décembre 2020 qui précarise les financements de la recherche et qui attaque les statuts des personnels, l’urgence pour la ministre est bien de faire des vagues médiatiques, de cultiver la suspicion publique et d’encourager la diffamation contre l’ensemble des personnels de son propre ministère (« Danger, vigilance et action  »).

Alors que ces personnels maintiennent leurs activités de service public dans des conditions très difficiles, alors que les étudiant·es se débattent dans des conditions impossibles (entre extrême précarité et cours à distance), alors que le manque de moyens humains, de locaux... —criant en temps normal, et catastrophique en cette période de crise—, la réponse du gouvernement, c’est la LPR, la diversion-menace sur l’“islamo-gauchisme”.

Il y a le feu à l’université, le premier semestre 2020 a été catastrophique, des dizaines de milliers de postes, l’équivalent de 2 universités manquent... Réponse de la ministre : 60 postes d’assistantes sociales...

La CGT FERC Sup, deux fois ne font pas coutume, est entièrement d’accord avec la CPU quand elle “appelle à élever le débat. Si le gouvernement a besoin d’analyses, de contradictions, de discours scientifiques étayés pour l’aider à sortir des représentations caricaturales et des arguties de café du commerce, les universités se tiennent à sa disposition. Le débat politique n’est par principe pas un débat scientifique : il ne doit pas pour autant conduire à raconter n’importe quoi.”

Pour la CGT FERC Sup, la coupe est pleine. La ministre doit retirer ses déclarations et présenter ses excuses aux personnels, annuler ses velléités d’inspection politique de la recherche. Il est urgent de changer l’orientation politique de l’ESR.

La CGT FERC Sup continue à exiger l’abrogation de la loi LPR. Afin de rouvrir les campus aux étudiant·es en toute sécurité sanitaire, elle revendique encore et toujours un plan d’urgence, avec notamment le recrutement immédiat de titulaires et la construction / réquisition de locaux. La CGT FERC Sup exige la satisfaction des revendications en termes de salaires, emploi, retraite et conditions de travail pour l’ensemble des personnels.

Communiqué des associations des historiens de l’enseignement supérieur - 22 février 2021

La société des professeurs d’histoire ancienne de l’université (SoPHAU), la société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public (SHMESP), l’association des historiens modernistes des universités françaises (AHMUF) et l’association des historiens contemporanéistes de l’enseignement supérieur et de la recherche (AHCESR) expriment leurs plus vives préoccupations face aux propos tenus par Madame Frédérique Vidal, ministre chargée de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, évoquant un supposé "islamo-gauchisme" qui "gangrène[rait] la société dans son ensemble" et auquel "l’université [ne serait] pas imperméable". La SoPHAU, la SHMESP, l’AHMUF et l’AHCESR se joignent fermement à de nombreuses autres associations et instances (CP-CNU, CNRS, Alliance Athéna) pour rappeler le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs et que, particulièrement en sciences humaines, le choix de leurs objets de recherche et de leurs méthodes de travail ne doit faire l’objet d’aucune forme de pression ou d’intimidation de la part du pouvoir politique. Enfin, elles déplorent cette instrumentalisation politicienne, signe d’une marque de défiance envers la communauté des enseignants et chercheurs. Les libertés académiques ne sont pas négociables et ne le seront jamais.