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De profundis clamavi – lettre d’A. Duclos, sur le blog de P. Maillard, club de Médiapart, 20 novembre 2020

vendredi 20 novembre 2020, par Camille Pucessi

Cette lettre est publiée par P. Maillard, et précédée par un "prologue" de celui-ci, que vous lirez ici.

Cher.e.s collègues, Monsieur l’Administrateur provisoire de l’Université,

De profundis clamavi,

Avec tout le respect que je dois à la querelle qui vous oppose à Mme Y et dont vous avez bien voulu nous faire part dans le mail auquel je réponds, je préfèrerais apprendre de vous ce qu’en ces temps chaotiques nous mettrons en place dès demain matin pour faire droit aux étudiant.e.s que le virage internet empêche de recevoir leur formation.

Cette querelle est afférente aux remontées des délégués de promotion. Quoi que l’on pense de ces délégués, que diront-ils que nous ne vivions déjà ? Que nous perdons nos étudiant.e.s de L1 par brassées entières parce que le basculement en téléprésence créé des ruptures d’égalité insupportables et injustifiables ? Que les réponses par trop bureaucratiques ne sauvent que les apparences ? Que la précarité des précaires ne va qu’en s’amplifiant ? Que le corps des précaires de l’université, toujours croissant, ne tient plus que par l’éventail des peurs qui les tenaillent ? Que les titulaires sont eux et elles aussi enferrés dans un magma de guerres picrocholines ou tragiques, et eux-mêmes précarisés ? Et s’ils le disent, l’entendrons-nous ? Et qu’en ferons nous, nous qui sommes désormais menacés de prison en cas de charivari, tradition pourtant millénaire dans le quartier latin ?

Pour sauver et restaurer le CNU, le bonheur de vivre, de penser, de travailler à l’université, le projet d’une université populaire, ouverte et démocratique il y aura besoin de tout le monde, étudiants, précaires, titulaires. Universitas magistrorum et scolarium s’il en est, que fera la Sorbonne - et nous qui faisons vivre la Sorbonne - pour répondre à notre effondrement non pas seulement planifié mais encore mis en œuvre ?

Modestement, on pourrait commencer par autoriser des captations vidéos des cours à l’université, en public, avec le droit pour les étudiant.e.s exclus par l’exil sur internet des cours de venir assister à leurs cours. Un peu de métis ne nuit point (au sens d’intelligence rusée) et cela permettrait de donner accès à leur formation à ceux et celles qui y ont droit. Plus ambitieux, on pourrait lancer depuis la cour de la Sorbonne, devant notre vieille Chapelle Sainte Ursule, des Assises nationales des universités (pas une CPU bis) pour démonter, partager, critiquer, remplacer la LPR. On pourrait, que sais-je encore, profiter du confinement pour élargir le champ du débat en invitant celles et ceux qui ont contribué à des entreprises parallèles (Université Libre de Tolbiac, La Volante, etc). Et puis, au lieu de nous terrer chacun dans nos bastions, partager le constat de la déréliction de l’outil commun et inventer la suite. On pourrait désobéir aux oukases ministérielles, ou pour le moins résister en tant qu’institution, en tant que corps, ou pour le moins exister car aujourd’hui (et je dis bien aujourd’hui), c’est l’exercice même de nos métiers qui devient impossible. Quand la moitié d’un effectif n’a pas accès, ou qu’un mauvais accès à une formation, on n’enseigne pas pour ces exclus. On fait semblant de tenir une promesse qu’on ne tient pas.

Prendre la mesure de ce marasme n’est pas une affaire de chiffres, vous avez ces chiffres et êtes en mesure de les produire. Je crois qu’il est plutôt temps de mettre en mots, entre nous et sur la place publique, le vrai résultat des politiques passées et actuelles. Nous mettre d’accord sur la réalité.

Ater puis chargé de cours depuis 2006, j’appartiens par le fait à plusieurs chapelles. Je vois, dans leurs réseaux, les précaires se construire une lutte qui étant données les situations de souffrance psychique, morale et souvent de précarité économique extrême de nombre d’entre eux, ne saurait être que légitime. J’enseigne depuis 14 ans à Tolbiac qui est une autre "chapelle", dont les étages ne tiennent que par le dévouement de personnels épuisés. Des locaux qui se précarisent en même temps que les personnes qui les occupent. Je vois des étudiant.e.s désorientés, pris dans une sélection de plus en plus violente, de moins en moins équitable et de moins en moins explicite. Membre d’un laboratoire de recherche, j’entends des collègues qui souffrent de plus en plus de n’avoir plus le temps de chercher, de penser, de partager le fruit des recherches, trop occupé.e.s à chercher des financements ou à se soumettre à des procédures administratives de plus en plus chronophages.

Bref, nous assistons à un naufrage prévisible, déjà engagé mais qui s’accélère dramatiquement tous azimuts, notamment pour les étudiant.e.s de première année et les enseignant.e.s. Que faisons-nous ? J’ai sous mes yeux la une du quotidien Le Monde en ligne. Il n’y est pas fait mention de la manifestation que les plus braves d’entre-nous ont mené hier. Il faut donc faire plus et pas seulement continuer. Que fait la Sorbonne pour survivre et tenir sa promesse ?

Salutations respectueuses,

Alexandre Duclos
Chargé de cours en sociologie à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
Docteur en sociologie
Docteur en philosophie
Diplômé de Sciences-Po Paris