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Pour le pluralisme en économie - Pétition, décembre 2019

lundi 9 décembre 2019, par Clèves, princesse(s)

Face aux défis futurs, l’économie a plus que jamais besoin de pluralisme

Le mardi 26 novembre 2019, le Ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation faisait paraître la liste des nominations pour le Conseil National des Universités. Ce conseil est composé pour 2/3 sur des représentants élus par les enseignants-chercheurs et pour 1/3 sur des nommés par le Ministère, et est crucial dans le recrutement et la carrière des Maîtres de conférences et Professeurs d’Université. Dans la section des Sciences économiques – la section 05 -, les nommés se conforment toutes et tous à un seul courant de pensée, celui dominant, ce qui n’est pas du tout représentatif du résultat des élections. Or, selon le décret relatif au CNU, « les nominations concourent à l’objectif de représentation équilibrée ». En effet, la section « a vocation à assurer la représentation équilibrée de la diversité du champ disciplinaire concerné […] » (article 3 du décret 92-70 du 16 janvier 1992). Et c’est sur ces nominations que l’équilibre au sein de la section a été profondément rompu. Ce manque de pluralisme nous semble mettre la discipline économique, et sa capacité à offrir des solutions pour les enjeux d’avenir, en danger, notamment face aux besoins sociaux, économiques et écologiques récents.

Ces nominations nous concernent toutes et tous, puisqu’elles vont influencer comment nos enfants apprendront l’économie dans nos Universités, et aussi comment la recherche va porter son regard sur les politiques publiques et sur le fonctionnement de l’économie en France. Par exemple, la crise de 2008 nous a montré que les économistes standards, favorisés par ces nominations, n’étaient pas capables d’en expliquer les causes. De même, ces économistes n’offrent pas d’alternatives probantes face au changement climatique, à la destruction de la biodiversité, mais aussi face aux autres crises sociales que notre pays connaît, notamment celle des gilets jaunes. Ces nominations doivent ainsi alerter la communauté scientifique dans son ensemble, au-delà de l’économie.
Ces nominations font la part belle à des travaux dont le raisonnement repose sur la capacité autorégulatrice des marchés et ayant pour finalité l’optimisation d’un critère unique, celui du surplus économique. Les approches méthodologiques employées, essentiellement mathématiques, aussi bien que le vaste panel de problématiques soulevées, présentent toutes un intérêt, mais l’analyse économique des questions sociétales ne peut être réduite à un critère unique, déconnecté de la multiplicité des formes institutionnelles, c’est-à-dire des normes et valeurs, influençant les comportements sociaux. Encore une fois, il ne s’agit pas de hiérarchiser les démarches mobilisées par l’économie, mais bien d’inviter à renforcer le pluralisme et la complémentarité des analyses qu’il permet.

La difficile cohabitation des approches dans la discipline économique n’est pas nouvelle. En effet, pour de nombreuses raisons, le champ disciplinaire de l’économie s’est historiquement construit autour d’approches diverses, de théories complémentaires ou opposées, de méthodes d’analyses s’inspirant des différentes sciences sociales ou des sciences naturelles amenant une pluralité motrice du dynamisme de ce champ de recherche. Ainsi, parallèlement à l’économie orthodoxe (dominante aujourd’hui) qui privilégie des approches micro-fondées, une formalisation du réel présentant un fort degré d’abstraction, reposant sur la rationalité des agents et prônant l’individualisme méthodologique, une économie hétérodoxe s’est développée. Celle-ci, malgré sa diversité, utilise des méthodes issues de l’histoire, de la sociologie, des sciences politiques, etc. et revendique une économie « ancrée dans les sciences sociales ».
Fort du constat d’une prédominance des approches orthodoxes dans le milieu universitaire, et face aux crises successives essuyées par notre système économique (Subprimes, dettes souveraines, etc.), l’AFEP (Association Française d’Économie Politique), créée en 2009 pour « défendre le pluralisme en économie », avait appelé en 2012 à la création d’une nouvelle section disciplinaire CNU « Économie et Société ». L’AFEP montrait notamment le faible pluralisme des recrutements de Professeurs des universités puisque entre 2000 et 2011, 84,2 % des 209 recrutements de professeurs appartiennent au courant dominant. Soutenue par un important collectif d’économistes, philosophes, sociologues, historiens, juristes, spécialistes des sciences de gestion ou des sciences politiques, cette section disciplinaire, la 78e, aurait eu vocation à renouveler la réflexion économique et sociale en donnant une plus grande place à la construction sociale des faits économiques, aux institutions et à l’histoire…si seulement de hautes personnalités de l’institution universitaire ne s’étaient ouvertement opposées à cette création en 2015, alors même que le décret avait été rédigé et n’attendait que sa signature. Face à leur pression, le Ministère de Najat Vallaud-Belkacem avait alors reculé, le projet d’une section « Économie et Société » avait été ajourné, faisant fi de la diversité de la pensée économique. Un équilibre temporaire avait été trouvé en proposant une liste de nommés reflétant la diversité de la discipline.

Le gouvernement d’Édouard Philippe semble bien avoir décidé de faire voler en éclat le difficile équilibre de la section de sciences économiques et ce en dépit de l’objectif de représentation équilibrée prévu par le décret de 1992. Dans un contexte de grande incertitude et face aux grands défis actuels et futurs tels que le changement climatique, l’instabilité des marchés financiers faisant peser le spectre de nouvelles crises financières et économiques globales, ou la recrudescence des inégalités, la réponse des sciences économiques doit être à la hauteur des enjeux. Cette réponse ne peut-être dictée par une école de pensée, une méthode ou une théorie unique et ne peut s’appuyer sur le mépris des théories ou méthodes alternatives. Au contraire, la complexité du monde et de son avenir nous contraint à faire force de nos différences conceptuelles pour mieux appréhender les défis de demain. Face aux enjeux immenses qui nous attendent et à l’incertitude forte associée, nous ne pouvons connaître les options qui nous permettront de relever ces défis, il serait donc infiniment préjudiciable que l’économie refoule la variété des solutions qu’elle a à proposer. En somme, nous revenons toujours à la question suivante : à quoi servent les économistes s’ils disent tous la même chose ?

Pour signer la pétition en ligne, c’est ici.