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Où va le train des réformes de l’université ? - Edith Galy et Bruno Dauvier, blog d’Edith Galy sur Médiapart, 12 mai 2018

samedi 12 mai 2018, par Elie

Edith GALY, Enseignante-Chercheure à l’Université Nice Sophia-Antipolis et Bruno DAUVIER, Enseignant-Chercheur à Aix-Marseille Université vous livrent leur analyse concernant la mutation importante que subit le paysage universitaire depuis quelques mois, participant d’un changement radical de vision de l’université.

Pour lire cet article sur le site de Médiapart.

Alors même qu’aucune nouvelle loi n’a été votée récemment concernant une réforme en profondeur des universités (la dernière datant de 2013, loi Fioraso), les grandes universités françaises entament pourtant depuis quelques mois un vaste chantier de restructuration sans qu’aucun cadre national ne soit donné publiquement, laissant les acteurs universitaires dans un flou total concernant les buts et finalités des nouvelles structures. Il semble pourtant que tout ceci participe d’une cohérence implacable relevant d’un changement radical de vision de l’université.

Après la recherche, le train de l’excellence s’attaque à la formation

L’histoire commence avec l’appel d’offre lancé par l’ANR en juin 2017 pour la constitution d’EUR [1] (Ecoles Universitaires de Recherche). Les EUR sont présentées ainsi dans cet appel à projet :

« Il s’agit de financer en France le modèle reconnu internationalement des Graduate Schools, en veillant à ce que les projets associent pleinement les organismes de recherche, comportent une forte dimension internationale et entretiennent dans la mesure du possible des liens étroits avec les acteurs économiques.

Cette action revêt un caractère structurant pour le système français d’enseignement supérieur et de recherche. Elle vise en effet à :

- lier fortement au meilleur niveau formation et recherche ;
- valoriser les points forts thématiques des établissements et des sites sur l’ensemble du territoire, quelles que soient leur taille et les disciplines concernées ;
- concourir au rayonnement international et à l’attractivité du pays en mobilisant un instrument internationalement reconnu (graduate schools), en construisant des partenariats internationaux stratégiques et en attirant les meilleurs étudiants et post-doctorants ;
- offrir un cadre d’intégration et, le cas échéant, des perspectives de plus long terme à des actions financées dans le cadre du PIA ou à des projets labellisés et financés dans d’autres contextes.

Les projets retenus seront financés pour une durée de 10 ans maximum. L’action est dotée de 300 M€ de dotations décennales. »

Pour attirer les meilleurs étudiants, 300 M€ sont mis sur la table, mais il n’y en aura pas pour tout le monde, c’est le principe.

La course aux millions est ouverte

Tout ceci aurait dû, il y a un an, nous mettre la puce à l’oreille. Au lieu de cela, la majorité des universitaires s’est jetée aveuglement dans cette course aux millions d’€ que promettait l’appel d’offre. Les délais de réponse étant tellement contraints, aucun temps de réflexion n’a été permis et, parmi les collègues se lançant à l’assaut des EUR, peu ont dû réellement lire les éléments sus-cités. Il fallait surtout ne pas rater ce train et quand on se précipite dans un train, on oublie de regarder où il va.

Pourtant tout est dit de ce que vont devenir les universités françaises. En effet, il s’agit d’introduire au sein des universités des « graduate schools ». Qu’est-ce qu’une « graduate school » ? C’est comme cela que l’on désigne aux Etats-Unis, Grande-Bretagne, ou encore Japon, les structures universitaires qui organisent les formations de niveau master et doctorat (graduate degree). Dans ces pays, les enseignements de licences (ou bachelor) sont délivrés par des structures dissociées (undergraduate colleges). Ces « graduate schools » ou « undergraduate colleges » peuvent être des structures indépendantes ou des entités d’universités, mais quoiqu’il en soit le principe est d’introduire une distinction nette entre les études de licence et celles de master et doctorat. En particulier, alors que l’université française est censée délivrer un enseignement à et par la recherche dès la première année licence, cela pourrait bien être remis en cause par le fait que les laboratoires de recherche seront rattachés aux EUR (nos graduate schools à la française), EUR ne comportant que des formations de niveau master ou doctorat. Nous n’en sommes pas là, me direz-vous, les EUR étant pour l’instant des entités thématiques rassemblant certains laboratoires, masters et écoles doctorales au sein d’une université. Rien de plus.

L’Université Nice Sophia-Antipolis ouvre la voie vers le nouveau monde, elle disparait

Cet appel à projet EUR se veut « structurant » et ayant des « perspectives à long terme » . Commençons par le côté structurant. Ces structures ont donc pour but d’être reconnues et de servir d’organisation future. Cela vous parait loin de la réalité, c’est pourtant ce qui a été décidé par le CA de l’Université Côte d’Azur. L’Université Nice Sophia-Antipolis – UNS (dont l’ancienne présidente jusqu’en Juin 2017 n’était autre que notre actuelle ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Mme Frédérique Vidal) ne sera plus qu’un vieux souvenir d’ici quelques mois, phagocytée par l’Université Côte d’Azur – UCA (nom donné à la COMUE créée en 2016) accueillant également en son sein des écoles privées. L’UCA sera structurée en Collèges Universitaires Préparatoires, abritant les formations de licence, et en EUR (que ces EUR aient reçu un financement de l’ANR ou non) regroupant les laboratoires de recherche, les écoles doctorales et les formations de master.

Dans cette nouvelle structuration, les UFR (unités de formation et de recherche) n’existeront plus. Ainsi, il est relativement explicite que la recherche n’aura plus sa place dans les formations de licence, la seule entité faisant le lien entre formation et recherche étant l’EUR qui ne comportera que les formations de master. Dans une telle configuration, aurons-nous toujours besoin d’enseignant.e.s-chercheur.e.s dans les collèges universitaires ? Des enseignant.e.s, sans la dimension recherche, suffiront certainement. Et le terme « enseignant.e de l’université », introduit dans l’avant-projet préliminaire de cadrage des EUR de l’UCA, prend alors tout son sens. Certes, il existe déjà des collègues qui n’assurent qu’une fonction d’enseignement au sein des universités, il s’agit des PRCE et des PRAG, professeur.e.s certifié.e.s et agrégé.e.s détaché.e.s du secondaire. Mais dès à présent, ce sont des enseignant.e.s sans ce statut de PRCE ou PRAG qui sont recruté.e.s à l’UCA pour enseigner exclusivement en licence [2].

Vers la recherche « intensive »

Cet appel à projet EUR revêt également des perspectives à long terme visant à donner aux universités candidates un cadre d’intégration à des projets labellisés. Ainsi, dans plusieurs documents relayés par les présidences d’universités, deux termes apparaissent systématiquement : « grand établissement » et « label d’université intensive de recherche ». C’est le cas notamment à l’UNS (document d’information de la présidence du 22 décembre 2017 et avant-projet préliminaire de cadrage des EUR) ou à l’Université de Lyon (document présentant les principes incontournables de l’université-cible datant d’octobre 2017). Il est important de s’arrêter sur ces deux termes car ils semblent représenter la finalité des restructurations imposées.

Université intensive de recherche, cette appellation ne vous dit probablement rien mais il n’est pourtant pas nouveau, puisqu’introduit en 2008, date de création de la CURIF [3], Coordination des Universités de Recherche Intensive Françaises. Cette coordination, devenue association en 2013, regroupe 18 universités françaises s’étant auto-proclamées de recherche intensive et a pour but de promouvoir ses « valeurs de formation de haut niveau dans un environnement de recherche de niveau international » auprès des décideurs politiques, afin, notamment, que « l’attribution des moyens aux universités, financiers, en ressources humaines et en investissement scientifique » prenne « en compte en proportion suffisante, sous réserve de bonnes performances, le volume de leurs activités de recherche ». Il s’agit donc d’une association de lobbying qui œuvre pour l’excellence, au risque d’accroitre les inégalités territoriales en matière d’enseignement supérieur et de recherche. Estimant qu’ayant une activité de recherche plus importante, les universités en question devraient bénéficier de moyens plus importants également. Mme Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, a été vice-présidente puis trésorière de cette association depuis sa création.

Nous savons maintenant d’où vient ce terme « université de recherche intensive ». L’objectif du ministère serait, qu’en 2020, une vingtaine d’universités soit labellisée ainsi. En effectuant quelques recherches, la seule labellisation que l’on trouve associée à « université de recherche intensive » est une labellisation HRS4R (Human Resources Strategy for Researchers [4]) de la commission européenne. Ainsi, l’université Paris Diderot a obtenu en 2017 le label HRS4R et « confirme sa position d’université de recherche intensive majeure en Europe » [5]. Serait-ce donc après ce label que les grandes universités françaises courent actuellement à grand coup de restructuration ? Si tel est le cas, les universités labellisées, reconnues donc comme des acteurs majeurs de la recherche européenne, seront signataires de la « charte européenne des chercheurs » et du « code de conduite de recrutement des chercheurs » [6], textes qui feront l’objet d’une analyse future. Concernant ces 20 universités qui devraient être à termes labellisées, il y a fort à parier que l’on connaisse déjà le nom des heureuses élues en allant jeter un coup d’œil aux universités membres de la CURIF. Les dés sont probablement pipés mais rien de mieux que de faire miroiter un label, incontournable à la survie de son université, exigeant une restructuration particulière (en collèges et EUR par exemple) pour que tous les universitaires collaborent à cette entreprise, se l’approprient ou oublient de mettre en œuvre la qualité essentielle à un.e bon.n.e (oserais-je dire excellent.e ?!) chercheur.e, l’esprit critique.

Les « grands établissements » : les premiers de cordée de l’enseignement supérieur

Revenons maintenant sur le terme « grand établissement ». Les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel regroupent les universités et les grands établissements. Pourquoi vouloir transformer les universités en grands établissements ? Le premier élément à souligner est la différence du mode de gouvernance. Pour les universités, le code de l’éducation mentionne que le.la président.e de l’université est élu.e par un conseil [7]. Or, même si ce mode de désignation du.de la président.e est possible pour un grand établissement, il s’agit d’une disposition dérogatoire. Le code de l’éducation prévoit pour ce type d’établissements que « les dirigeants des grands établissements so(ie)nt choisis après appel public à candidatures et examen de ces candidatures, selon des modalités fixées par les statuts de l’établissement ».

A priori, nous changeons radicalement de mode de gouvernance, remettant en cause le caractère collégial et démocratique de la gestion des universités. Quel intérêt pour le ministère d’imposer un tel changement de statut ? La réponse vient peut-être d’un certain Robert Gary-Bobo (conseiller d’E. Macron lors de la campagne présidentielle concernant l’enseignement supérieur et la recherche), comme en témoignent certains échanges révélés par les Macron Leaks [8] dont voici un extrait très explicite : « Il faudrait des vrais conseils d’administration (CA) représentant les tutelles (et l’intérêt public), aux effectifs limités, composés pour l’essentiel de membres extérieurs rémunérés, avec un président qui est un manager professionnel de l’enseignement supérieur (pas forcément choisi parmi les professeurs de l’université) ». Nous pouvons également savourer la phrase suivante qui commence pourtant bien : « Mais il faut contrebalancer ce pouvoir exécutif : il faut donc un vrai sénat académique réunissant les professeurs titulaires (et eux seuls : car il faut désyndicaliser les universités) ». Nos collègues Maître.sse.s de Conférences apprécieront.

Si parmi les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, nous retrouvons des universités et des grands établissements c’est certainement parce que la structuration de ces deux types d’établissement n’est pas la même. Ainsi, l’article L717-1 du code de l’éducation [9] nous indique que peuvent prétendre à la qualification de grand établissement soit « des établissements de fondation ancienne et présentant des spécificités liées à leur histoire, soit des établissements dont l’offre de formation ne comporte pas la délivrance de diplômes pour les trois cycles de l’enseignement supérieur ». Ainsi, il se pourrait bien que vouloir dissocier les formations de licence et de master et les associer à des entités différentes (collèges et EUR ou instituts selon les universités) soit un préalable à la qualification de grand établissement des 20 universités françaises qui auront été labellisées « université de recherche intensive ». Les universités non labellisées continueront-elles à délivrer les grades de licence et master, ou bien seront-elles cantonnées à délivrer des licences et à devenir des collèges universitaires ? Il parait assez probable que la seconde solution soit la bonne. Ainsi, le niveau licence sera accessible sur l’ensemble du territoire alors que les niveaux master et doctorat ne seront présents que dans 20 grandes villes françaises, creusant ainsi les inégalités territoriales. Inégalités exacerbées par le fait que les présidences d’université poussent à la création de diplômes d’établissements de niveau master dans le cadre des EUR et des instituts. Ces diplômes d’établissement échappent ainsi au cadrage national des diplômes et en particulier à l’encadrement des frais d’inscription. C’est ainsi que les premiers masters payants (4000 € l’année) ouvriront à Nice à la rentrée prochaine [10]. Bien sûr, localement il existe des résistances à ces restructurations et, surtout à la fusion d’universités qui pourront prétendre à devenir de « grands établissements », comme c’est le cas notamment à Toulouse. Heureusement Mme la ministre a tout prévu et le projet de loi « pour un état au service d’une société de confiance » adopté par le Sénat en Mars dernier mentionne dans son article 28 [11] que le gouvernement pourra prendre par ordonnance « les mesures relevant du domaine de la loi destinées à expérimenter de nouvelles formes de rapprochement, de regroupement ou de fusion d’établissements d’enseignement supérieur et de recherche » [12].

Un TGV vers le modèle britannique

Il y a encore peu de temps, pour modifier la structure des universités en profondeur on passait par des réformes. Ces réformes étaient alors discutées à l’assemblée nationale. Le projet de ces réformes était connu de la communauté universitaire qui pouvait s’en saisir, réagir, réfléchir, demander des réajustements, des justifications etc. Cette manière de faire apparait aujourd’hui totalement démodée. Nous sommes ainsi en train de vivre la transformation la plus profonde de l’université française depuis des décennies sans que cela ne soit débattu dans quelque instance démocratique que ce soit.

En France, les frais d’inscriptions très bas et réglementés ainsi que le statut de fonctionnaires des enseignant.e.s chercheur.e.s sont deux marqueurs d’une volonté de maintenir un service public de l’enseignement supérieur. Le fait que ces deux marqueurs soient remis en cause dans l’université Nice Sophia-Antipolis qui sert d’éclaireur ne laisse malheureusement aucun doute sur la direction que prennent ces réformes, il s’agit bien d’un pas de plus dans le sens du processus de Bologne.

L’Angleterre a choisi dans les années 90 de s’engager dans cette voie. Comme dans le domaine ferroviaire, le modèle britannique de l’enseignement supérieur prône la concurrence à tous les niveaux, entre les universités comme entre les candidat.e.s à leur accès. En quelques années, les frais d’inscriptions ont explosés, la dette étudiante est devenue insoutenable, le salaire et les retraites des enseignant.e.s chercheur.e.s ont baissé alors que celui des dirigeant.e.s des universités, lui, a augmenté. La question qui nous est posée aujourd’hui est : « voulons-nous une université française sur le modèle des universités britanniques ? ». Pour vous aider dans la réponse, voici le lien vers un documentaire « Etudiants : l’avenir à crédit » [13] et une vidéo envoyée par des étudiants britanniques en soutien aux étudiant.e.s français.es mobilisé.e.s contre la loi ORE [14].