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Pourquoi nous refusons le dispositif « Parcoursup », et ce que nous proposons - Tribune collective sur le blog JSermon de Médiapart, 27 avril 2018

vendredi 27 avril 2018, par Elie

Tandis qu’un certain nombre de voix s’élèvent pour dénoncer la sélection à l’Université, d’autres en font appel au "principe de réalité". Or, que l’on soit totalement, en partie ou pas du tout favorable à la réforme de l’accès à l’enseignement supérieur, le certain est que la plateforme Parcoursup ne saurait en aucune manière répondre au principe d’une orientation "réussie" des étudiant.e.s.

Pour lire ce texte sur Médiapart avec la liste des signataires.

Rappel du contexte

La plateforme Parcoursup a été mise en œuvre dans la plus grande précipitation (entre octobre et décembre 2017), sans aucune concertation avec les établissements du secondaire et du supérieur, et sans même attendre que la loi « relative à l’Orientation et à la Réussite des Étudiants » soit votée par le Parlement : tout le monde a donc été placé devant le fait accompli, bien que hors cadre légal (pour mémoire : la loi ORE a été promulguée le 8 mars 2018, alors que le calendrier de la saisie des vœux par les lycéen.ne.s s’échelonnait du 20 janvier au 13 mars).

En février, après que les enseignant.e.s du secondaire ont dû répondre à l’injonction d’évaluer l’ « autonomie », la « capacité à s’investir », la « capacité à réussir » ou la « cohérence » du projet de formation des lycéen.ne.s, en prenant éventuellement en compte leurs loisirs ou leurs activités extra-scolaires afin de les valoriser (la totalité de l’existence de ces jeunes gens, y compris ce qui est censé échapper à la scolarité, tendant du même coup à devenir une valeur d’échange sur le marché de l’enseignement supérieur), il a été annoncé que des commissions d’examen des vœux seraient mises en place au sein des universités, lesquelles auraient vocation à examiner des milliers de dossiers avant de les classer un à un (les ex-aequo ne seraient pas tolérés).

Conscient qu’il serait humainement impossible de procéder à tel classement (que l’on soit complètement, moyennement ou pas du tout favorable à un telle procédure, quel cerveau pourrait comparer puis hiérarchiser, aussi rationnellement qu’équitablement, 3000 voire 5000 dossiers selon les filières ?), le Ministère a mis à la disposition des équipes pédagogiques un outil informatique dit d’« aide à la décision ».

En découvrant cet outil (une formation express a été organisée à Paris les 19-21 mars ; le 9 avril, la version définitive de l’outil n’était toutefois toujours pas accessible), les enseignant.e.s-chercheur.e.s ont compris qu’il leur incomberait d’attribuer, comme bon leur semble, si ce n’est au petit bonheur la chance, d’une part des notes et d’autre part des coefficients aux différents items constitutifs des pièces déposées sur Parcoursup (bulletins de note, « fiches avenir », projets de formation).

Ainsi, on pourrait au choix décider de privilégier les notes obtenues en philosophie, en biologie ou en sport, accorder des bonus à l’ « esprit d’initiative » ou à la « méthode de travail » des lycéen.ne.s, donner un grand poids ou pas de poids du tout aux avis émis par les professeurs principaux ou les chefs d’établissement – le tout pouvant de surcroît être paramétré différemment selon les séries de bac, ce qui crée de facto une discrimination entre les diplômes censés légalement garantir l’accès à l’université.

Notre diagnostic

Au cours de ces dernières semaines, nous n’avons cessé de nous interroger, individuellement et collectivement, sur la conduite à adopter vis-à-vis de cette réforme « en marche forcée », de débattre de la façon dont nous pourrions nous approprier cet outil le plus démocratiquement possible, de peser le pire et le « moins pire ».

Au bout du compte, nous sommes nombreux et nombreuses à avoir pris la décision de ne pas constituer les commissions d’examen de vœux, parce que :

- nous considérons qu’un « paramétrage » statistique dont nous ne maîtrisons ni les logiques ni les effets ne saurait en aucune manière répondre à une orientation « réussie », et encore moins résoudre les véritables problèmes auxquels les étudiant.e.s de première année de Licence sont confrontés ;

- nous contestons le principe de quantification de données essentiellement qualitatives, de surcroît sujettes à des variations locales impossibles à pondérer, et refusons de déguiser l’arbitraire en mesures objectives ;

- nous estimons que la préférence accordée par les lycéen.ne.s à telle ou telle formation, le désir et/ ou la nécessité qu’ils et elles ont de s’inscrire dans tel ou tel établissement, est un élément primordial pour décider de leur accueil dans l’enseignement supérieur, et que l’absence de prise en compte de ces données dans Parcoursup (où les vœux ne sont plus classés) rend cette procédure d’autant plus injuste et inappropriée au regard des problèmes qu’elle prétend résoudre.

La question des chiffres communiqués par le Ministère

Il nous paraît par ailleurs capital de revenir sur deux données chiffrées brandies par le Ministère.

- Le premier de ces chiffres concerne les 3000 candidat.e.s qui, à la rentrée 2017, se sont retrouvé.e.s sans affectation dans l’enseignement supérieur.

Ce sont là autant de cas malheureux, injustes, que l’on ne saurait tolérer, mais que l’on oublie de rapporter :

* d’une part, au nombre total des demandes d’accès (plus de 850 000) – ce qui veut dire que le gouvernement légitime et institutionnalise la sélection à l’université au nom des 0,35% de demandes restées non pourvues ;
* d’autre part, à l’augmentation générale des demandes de vœux (en 2017, on notait déjà une augmentation de 4,9% par rapport à 2016), augmentation liée à l’arrivée dans l’enseignement supérieur des enfants du « baby-boom » de l’an 2000. En conséquence de quoi le véritable problème qui se pose et va se poser de manière accrue au cours des dix années à venir est le manque de personnels et de locaux à même d’accueillir les néo-bachelier.e.s.

Les gouvernements qui se sont succédé depuis 30 ans ne peuvent en effet pas prétendre conduire 80% d’une classe d’âge au bac pour ensuite brutalement déclarer que l’obtention de ce titre ne suffit pas pour accéder à l’université, laquelle est le seul espace de formation supérieure accessible à tou.te.s, sans sélection économique (contrairement aux filières privées) ni prérequis d’excellence dès l’obtention du baccalauréat (contrairement aux classes prépas, que l’on sait aujourd’hui être majoritairement composées de jeunes gens issus des milieux les plus favorisés, et dont on peut au passage noter que les taux d’échec à l’issue de la première année sont pour le moins comparables à ceux de n’importe quelle première année de licence).

- Le second chiffre est celui du milliard d’euros que le 4 avril, via le compte Twitter de Madame Frédérique Vidal, le Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a rappelé avoir accordé à la « refonte du 1er cycle ».

Outre que l’on peut s’étonner de voir soudainement débloquer des fonds dont les universités manquent assurément et cruellement depuis plusieurs années, le procédé de culpabilisation à laquelle se livre la Ministre (interpellant les équipes pédagogiques en se demandant comment « ceux qui refuseront de répondre « oui si » […] regarderont en face leurs étudiants et leur expliqueront comment ils ont pu refuser de mettre en place des parcours pour les aider ») est proprement scandaleux.

Madame la Ministre doit en effet savoir que l’on ne met pas en place une nouvelle offre de formation digne de ce nom en quelques semaines : en général, les maquettes d’enseignements, sanctionnées par des contrats quinquennaux, sont le fruit d’échanges entre les équipes pédagogiques, les services centraux des universités et le Ministère, qui s’échelonnent sur presque deux ans.

Par ailleurs, au vu du sous-encadrement chronique dont souffrent un certain nombre de départements universitaires (entre 2009 et 2015, plus de 7 000 postes de titulaires ont été supprimés, tandis que les flux d’étudiant..e.s étaient en augmentation croissante, obligeant du même coup les équipes pédagogiques à recourir massivement à l’embauche d’enseignant.e.s vacataires), comment serait-il possible de créer de nouveaux parcours (année propédeutique ou autres dispositifs d’accompagnement), alors même qu’il devient toujours plus difficile, d’une année sur l’autre, de simplement parvenir à pourvoir les cours inscrits dans nos maquettes d’enseignements ?

Nos demandes et propositions

Au contact quotidien des étudiant.e.s, nous sommes les premiers et les premières soucieux/ses de leur réussite et conscient.e.s des problèmes qu’ils et elles peuvent avoir à affronter. Or, pour avoir accompagné dans leur parcours de très nombreux et nombreuses étudiant.e.s, nous avons pu constater qu’un facteur essentiel de la réussite à l’université, loin devant les résultats scolaires, le type de baccalauréat obtenu ou l’expérience préalable de stages, est le désir de suivre la formation où ils ou elles se trouvent. C’est ce désir qui retient les étudiant.e.s dans une formation, leur donne la motivation nécessaire pour travailler, et est le seul à même de limiter le phénomène d’ « évaporation » des étudiant.es que toutes les filières constatent au cours des premières semaines de la première année, phénomène qui gonfle très artificiellement les chiffres de l’échec aux examens. Pour faire réussir les étudiant.e.s, nous avons d’abord besoin qu’ils et elles aient le désir de suivre la formation proposée. C’est pourquoi il nous semble incompréhensible et contre-productif que, sur une plateforme supposément conçue pour optimiser l’orientation des étudiant.e.s, on se prive du seul critère véritablement déterminant pour leur entrée à l’université : le classement par l’étudiant.e de ses candidatures, par ordre de préférence.

Nous demandons donc que soit immédiatement rétabli dans Parcoursup un principe de hiérarchisation des vœux, seul à même de renseigner les universités qui auraient décidé de procéder à l’examen des dossiers sur la réalité de l’envie et/ou de la possibilité qu’ont les étudiant.e.s de s’inscrire dans tel ou tel établissement (dans l’application, il semblerait qu’il existe un onglet « préférences », mais seuls les rectorats y ayant accès, nous sommes dans l’incapacité de savoir quelle forme elles prennent et en quoi elles consistent exactement). Nous demandons en outre que l’ensemble des réponses positives soient communiquées simultanément aux étudiant.e.s, et non pas deux par deux comme cela est a priori prévu (et sans même que l’on sache selon quels critères ces paires seront définies), afin d’éviter des acceptations de pis-aller motivées par la crainte de ne pas avoir par la suite d’autres propositions.

Si ces demandes ont vocation à remettre le choix des étudiant-e-s au cœur de l’accès à l’enseignement supérieur, elles sont loin de résoudre l’ensemble des questions soulevées par le dispositif Parcoursup, volet apparemment technique d’une réforme dont les enjeux engagent, beaucoup plus profondément, une vision de l’enseignement supérieur et de la place que lui accorde la société.

Ce sont là des questions qui ne sauraient seulement concerner les premiers usagers de l’université (étudiant.e.s et personnels), ni être réglées de manière unilatérale en l’espace de quelques mois. Cela est affaire, non pas d’algorithmes, mais de moyens humains et matériels, de choix économiques et politiques, et donc de réflexions et de propositions collectives. Nous sommes prêts et prêtes à y œuvrer, en concertation avec tou.te.s ceux et celles attaché.es à leur mission de service public.

Dès à présent, et puisqu’en tant que professionnel.le.s de l’enseignement supérieur, nous sommes particulièrement bien placé.e.s pour prendre la mesure de ce qui ne va pas à l’université, mais aussi de tout ce qui s’y invente ou pourrait s’y inventer, nous appelons le gouvernement à organiser une consultation des représentant.e.s s de toutes les universités et de toutes les disciplines, afin d’évaluer et de réfléchir ensemble aux missions, aux besoins et aux réformes structurels de l’enseignement supérieur.

Texte rédigé le 9 avril, et soumis à la signature entre le 10 et le 13 avril 2018.

Les signataires de ce texte sont rattaché.e.s aux 19 établissements suivants :

Université d’Artois, Université d’Aix-Marseille, Université Bordeaux-Montaigne, Université de Caen-Normandie, Université de Grenoble, Université de Lille, Université Lyon 2, Université de Nice - Côte d’Azur, Université Paris 1-Panthéon Sorbonne, Université Paris 3-Sorbonne Nouvelle, Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis, Université Paris Ouest Nanterre, Université Paul-Valéry Montpellier 3, Université de Picardie Jules Verne (Amiens), Université Rennes 2, Université Toulouse 2 - Jean Jaurès, Université de Strasbourg, Institut National Universitaire Champollion (Albi), Université de technologie de Compiègne.

Ils et elles enseignent dans des départements de :

Arts plastiques et Design, Arts du spectacle, Arts Visuels, Histoire de l’art et Archéologie, Histoire et Géographie, Lettres, Langues, Philosophie, Sciences Humaines et Sociales, Sciences du langage, Sciences de l’Information et de la Communication, Technologies et Sciences de l’Homme.