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Interview de Frédérique Vidal - Marie Piquemal, Libération, 19 mars 2018

lundi 19 mars 2018, par Mariannick

Vous avez aimé la "concertation sur Parcoursup , qui a enchaîné un nombre astronomique de réunions, avec onze groupes de travail" ? Vous adorerez sans nul doute "le dialogue social sur le métier d’enseignant-chercheur" qui va être lancé par la ministre le 29 mars ! Mais avant cela, sachez que le mot de "tri" l’exaspère.

À lire là.


La ministre de l’Enseignement supérieur répond aux inquiétudes autour de la nouvelle plateforme Parcoursup. Elle garantit l’intégration au système de toutes les formations reconnues par l’Etat avant 2020 et assure la bonne tenue des « parcours personnalisés » dans chaque faculté.
Biochimiste de formation, ex-présidente de l’université Nice-Sophia-Antipolis, Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, fait le point pour la première fois sur le lancement de Parcoursup, le logiciel qui remplace APB et permet l’affectation des étudiants après le bac.


Avez-vous des premières remontées sur Parcoursup ?
Il est encore trop tôt pour analyser les résultats. Les élèves ont entré leurs vœux la semaine dernière, mais ils ont jusqu’au 31 mars pour finir leur dossier. On enregistre une augmentation d’environ 5 % du nombre d’inscrits. C’est bien sûr lié à la hausse démographique que connaît en ce moment l’enseignement supérieur, mais c’est aussi le signe que la plateforme fonctionne bien. Les élèves ont formulé en moyenne 7,9 vœux chacun, ce qui fait un peu plus de 7 millions au total.

Ces 7 millions de vœux, qui va les trier ? Dans les universités, les enseignants-chercheurs sont nombreux à dire que ce sera techniquement impossible d’ouvrir tous les dossiers…
Je suis beaucoup allée sur le terrain. Evidemment que les équipes auront à cœur de prendre connaissance des dossiers des élèves. Je n’ai aucun doute sur le fait qu’ils liront les projets de formation motivés. Il faut bien comprendre que lorsqu’on est enseignant-chercheur, on a l’habitude de regarder des dossiers, on le fait pour l’accueil des étudiants étrangers en première année, par exemple. Ensuite, nous faisons en sorte d’aider les équipes au mieux. Il existe par exemple des outils d’aide à la décision, qui sont intégrés dans Parcoursup.

Ces outils d’aide à la décision que vous évoquez se traduisent en pratique par un tri des dossiers à partir des notes…

Non, on ne regarde pas la même chose dans tous les dossiers. Il y a des dossiers sur lesquels les notes ne vont pas être déterminantes, et pour lesquels on regarde plus la motivation. D’autres où c’est l’inverse. Des méthodologies existent et ont montré leur efficacité.

Dans les objectifs de votre texte, il y avait le souci de transparence, pour en finir avec l’opacité d’APB. Mais à lire la loi, les élèves ne connaîtront pas les critères utilisés pour trier les dossiers…

Ce mot « trier » m’exaspère, il n’est pas approprié. Cela laisse entendre que des élèves seront refusés à l’entrée de l’enseignement supérieur. Or, ce n’est pas le cas. C’est tout l’inverse ! Je rappelle que l’objectif de cette réforme n’est en aucun cas d’écarter des étudiants, mais tout au contraire de les accompagner. Par ailleurs, il est inscrit dans le droit en France que les commissions d’enseignants-chercheurs sont souveraines dans leur prise de décision, et il n’était pas concevable de remettre ce principe en cause. Pour autant, les éléments pris en compte par chaque équipe pédagogique ont été explicités sur la plateforme ; et pour que le système soit le plus transparent possible, nous avons fait inscrire dans la loi un droit à l’information pour ceux qui en feraient la demande. Enfin, je rappelle que le code et le logiciel de la plateforme seront complètement transparents et publics et qu’un comité éthique et scientifique suivra la mise en œuvre à chaque étape.

La loi prévoit des « parcours personnalisés » mais les universités sont nombreuses à dire qu’elles n’ont pas les moyens de mettre en œuvre cet accompagnement…

J’ai fait le tour de toutes les universités. Toutes m’ont présenté des dispositifs d’accompagnement, de différentes formes : des cours de TD [travaux dirigés, ndlr]supplémentaires sur une matière où l’étudiant présente une fragilité, des modules pour travailler l’estime et la confiance en soi. Ou bien encore un cours pour maîtriser la prise de note. Cela ne veut pas dire que toutes les filières proposeront ces dispositifs, mais ils existeront dans toutes les universités dès la rentrée. Je n’ai jamais entendu un collègue dire que des modules d’accompagnement pour aider leurs élèves à réussir n’étaient pas une bonne idée. Jamais. La seule crainte, c’est le coût financier. J’ai entendu cette crainte : le Premier ministre vient de débloquer 10 millions d’euros supplémentaires pour répondre à ces attentes. Huit millions seront fléchés pour ces modules d’accompagnement et les deux autres viendront s’ajouter aux six déjà débloqués pour mieux indemniser les enseignants-chercheurs.

Indemniser les enseignants-chercheurs mis à contribution avec Parcoursup ?

Oui, il y a ce volet indemnisation, que je viens d’évoquer, mais je veux aller plus loin. Le 29 mars, je lance le dialogue social sur le métier d’enseignant-chercheur, pour que soit prise en compte dans leur évolution de carrière leur fonction d’enseignant justement. Aujourd’hui, c’est d’abord leur activité de chercheur qui compte, car le nombre de publications est considéré comme la principale donnée objectivable. Or, à mon sens, l’enseignant-chercheur doit pouvoir marcher sur ses deux jambes, les deux fonctions doivent être reconnues. C’est un sujet que je connais bien…

Parmi les critiques, il y a ces fameuses lettres de motivation que l’élève doit rédiger pour justifier chaque vœu : une source d’inégalité entre ceux qui peuvent se faire aider et les autres…

L’objectif, ce n’est bien évidemment pas de rédiger des lettres comme le font les adultes, cela n’aurait pas de sens, mais d’exprimer avec leurs mots simples les raisons qui amènent un élève à demander telle ou telle filière. Cette idée est née de notre expérience avec APB l’été dernier, quand on s’est retrouvés avec des élèves acceptés à leur 4e ou 5e vœu mais qui en fin de compte ne voulaient pas y aller. Ecrire quelques mots oblige à se poser pour réfléchir, se demander pourquoi.

Des professeurs de lycée racontent comment certains élèves, souvent issus des classes moyennes ou populaires, se découragent, en se disant « l’université, ce n’est pas pour moi, en fait ». Que leur dites-vous ?

Le nombre des inscriptions sur Parcoursup montre que personne n’a été découragé. Je leur dis que si c’est à l’université qu’ils souhaitent étudier, il faut croire en eux. Et s’ils sentent qu’ils ont besoin d’être accompagnés, ça tombe bien : cette réforme va désormais permettre de créer un accompagnement personnalisé pour les aider à réussir.
Ne craignez-vous pas que les familles qui le peuvent financièrement optent pour des formations privées ?
Cela existe déjà. La meilleure réponse de l’Etat est de garantir une offre très fortement subventionnée par l’Etat et de grande qualité dans toutes les disciplines. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous voulons que toutes les formations reconnues par le ministère de l’Enseignement supérieur, sans exception, soient dans Parcoursup. Ce sera obligatoire à la rentrée 2019, quelques dérogations pourront être accordées mais jusqu’en 2020 seulement. A cette date, toutes seront dans Parcoursup.

Les réponses vont tomber tardivement, cela risque d’inciter les familles à se tourner vers le privé de crainte de ne rien avoir…

Je rappelle que des propositions vont tomber tous les jours à partir du 22 mai. Avant le bac, une large majorité des candidats auront une affectation. A la différence d’APB, où les élèves n’avaient qu’un choix accepté, là, ils seront amenés à choisir entre leurs vœux acceptés et, à chaque fois, cela va libérer des places. Et je rappelle, encore une fois, qu’aucun candidat à l’université ne recevra un « non ». Il aura un « oui » ou un « oui si » [à condition de suivre un module d’accompagnement].

Mais une fois les capacités d’accueil dans les universités atteintes, que vont devenir les candidats en attente ?

J’ai déjà ouvert 19 000 nouvelles places dans les filières où j’ai la quasi-certitude qu’elles seront très demandées. Par exemple, en Staps [sport], nous avons déjà ouvert plus de 3 000 nouvelles places. Je me réserve la possibilité d’en ouvrir d’autres, en fonction des situations de tension qui vont se présenter et des possibilités restantes dans les universités qui ont déjà fait des efforts importants. Il y a une partie que nous ne pouvons pas anticiper avant le mois de mai, en fonction des choix des élèves.

Vous dites donc qu’il y aura une place pour chaque élève qui le souhaite ?

Oui. C’est l’objectif que l’on poursuit. Nous travaillons tous les jours pour ça.

Les étudiants porteurs de handicap ont le sentiment d’avoir été oubliés. Dans APB, ils pouvaient cocher une case leur donnant accès à une commission médicale, elle a disparu de Parcoursup…

Ce n’est pas du tout cela ! L’accompagnement dont vous parlez n’existait que dans cinq académies. Et rien pour les autres. A la place, nous avons inscrit dans la loi que tout étudiant porteur de handicap pourrait être inscrit dans l’établissement qui lui convient. Nous avons donné aux recteurs les pouvoirs nécessaires pour le garantir. Nous allons construire le décret d’application avec les associations dans les prochaines semaines. Mais s’entendre dire que nous avons oublié les étudiants handicapés, c’est absolument faux.

Ne regrettez-vous pas d’être allés aussi vite sur une réforme adoptée en procédure accélérée au Parlement, sans qu’il n’y ait eu de débat de société sur le rôle de l’université ?
Avec le fiasco d’APB l’an dernier, je me suis senti une forme d’obligation à trouver une solution pour qu’on ne retire pas au sort à la rentrée 2018. Nous avons démarré la concertation le 17 juillet et, jusqu’à fin septembre, nous avons enchaîné un nombre astronomique de réunions, avec onze groupes de travail. A chacune des réunions, les acteurs étaient là. La preuve que tout le monde était dans une dynamique de changement, voulait avancer. La procédure accélérée au Parlement n’a rien changé sur le débat de fond. On a pris le temps pour débattre, il y a eu un vote sur tous les amendements. La procédure accélérée a simplement fait passer l’examen du texte avant les autres, c’est tout. Quant au rôle fondamental de l’université, il ne change pas. Toujours les quatre mêmes missions : créer des connaissances, les transmettre, veiller à l’insertion professionnelle et diffuser la culture scientifique.