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Sélection à l’université : la prudence règne - Faïza Zerouala, Médiapart, 20 octobre 2017

mardi 24 octobre 2017

Daniel Filâtre, rapporteur de la concertation chargée de réfléchir à une réforme de l’accès à l’université, a rendu jeudi les recommandations des groupes de travail à la ministre Frédérique Vidal. Le rapport livre des pistes à confirmer début novembre. Les prérequis restent au centre de toutes les attentions.

La ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, marche sur des œufs avec sa réforme de l’accès à l’université. De fait, une précaution excessive a transparu lors de la restitution du rapport des groupes de travail constitués sur cette question, le jeudi 19 octobre. Le rapporteur de la concertation, Daniel Filâtre, s’est livré à un bel exercice d’équilibriste devant la presse : livrer quelques pistes de réflexion sans jamais les commenter ou même s’engager en livrant des détails précis. Tout juste s’est-il autorisé à expliquer que tous les termes du débat ont été posés et que les questions ont été abordées avec « profondeur  ». Mais jamais il ne s’est départi de sa prudence. C’est d’ailleurs ce que la ministre a elle-même dit dans son propos liminaire devant les acteurs de la concertation : «  Ce rapport général n’a bien sûr pas vocation à trancher l’ensemble des questions et à proposer une solution clés en main. »

En effet, dans ce document de 34 pages (à lire en intégralité ici), baptisé Réformer le premier cycle de l’enseignement supérieur et améliorer la réussite des étudiants, eu égard à la sensibilité du sujet, il n’y a rien de définitif. Seulement un résumé des points de blocage et de convergence des différentes parties de la communauté universitaire. Les arbitrages devraient arriver dans une quinzaine de jours, début novembre, se borne à répéter l’entourage de la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal. Le temps de revoir encore une fois toutes les parties lors de réunions bilatérales et d’avoir, bien entendu, l’aval de Matignon et de l’Élysée pour entériner la réforme. Ainsi, impossible d’accuser la ministre et l’exécutif de n’avoir pas écouté et consulté la communauté universitaire malgré des délais très contraints.

Tous les acteurs s’accordent toutefois à dire que le rapport a restitué avec fidélité la teneur des discussions et qu’il reflète bien les échanges entre les uns et les autres. Certaines positions ont même pu évoluer au rythme des échanges. En préambule, le rapporteur général Daniel Filâtre, recteur de l’académie de Versailles, souligne la qualité des débats et aussi leur « vivacité  ». C’est en effet un euphémisme de dire que les points abordés sont sensibles.

Ces discussions entamées le 11 septembre dans onze groupes de travail avaient débuté dans la fébrilité. Plusieurs responsables syndicaux avaient prévenu qu’il ne s’agissait pas pour eux d’entériner l’instauration d’une sélection pure et dure. Il faut dire que le sujet est hautement explosif et toute décision trop radicale pourrait précipiter la jeunesse dans la rue. Ce que l’exécutif cherche à éviter à tout prix. De fait, selon plusieurs acteurs présents, cette option semble écartée.

Sur le fond, ce rapport se décompose en quatre parties : l’accès à l’enseignement supérieur, l’ingénierie de l’offre de formation, le renouvellement de la pédagogie et la vie étudiante.

Avant même le démarrage de la concertation, tous les acteurs dressaient un constat similaire : il faut proposer une orientation plus efficace, la penser plus tôt, tout au long du lycée par exemple et associer les équipes pédagogiques en amont. Ensuite, la possibilité d’introduire des « prérequis  » à l’entrée de l’université a émergé. Puis un débat sémantico-politique a agité les cercles éducatifs qui voyaient derrière cette notion la mise en place d’une sélection déguisée.

Dans le rapport, la discussion est posée en ces termes : « La prise en compte du profil de l’élève avant son entrée dans l’enseignement supérieur a suscité le débat le plus vif au sein de la consultation, à la fois sur le fond et sur les formes que pourrait prendre une affectation éclairée à la lumière de ce profil. Sur ce sujet, les discussions autour des notions de prérequis ou d’attendus ont été vives et au centre de tous les débats, à un moment ou à un autre de ces cinq semaines de consultation. En effet, si tous les membres des groupes considèrent indispensable que ces prérequis soient affichés ayant alors une vocation informative, voire distributive, la question est hautement plus sensible lorsque ces prérequis pourraient devenir prescriptifs.  »

Il n’y a pas eu de discorde sur le premier point. La plupart des acteurs s’accordent à dire que la prise en compte du profil de l’élève dans son orientation est utile. Mais la suite est bien moins consensuelle. D’abord, les différentes parties se sont interrogées sur la marge de manœuvre accordée aux lycéens dans le choix de leur orientation. L’Unef, par exemple, s’est toujours cramponnée à l’idée de laisser le « dernier mot  » au futur étudiant jusqu’à en faire un casus belli. La Fage, la première organisation étudiante, se place peu ou prou sur la même ligne. Le rapport ne tranche rien mais ouvre quatre options : un « accès libre sans avis ni recommandation », un « accès libre mais avec avis et recommandation  », un « accès sous condition" et un «  accès sélectif  ».

C’est dans le cadre de la troisième option que pourraient s’insérer les prérequis. Mais là encore, le document ne donne aucune indication précise sur le contenu de ces attendus comme une filière du bac précise, par exemple avoir un bac scientifique pour intégrer un cursus médical, ou encore une sélection basée sur le dossier scolaire de l’élève. Daniel Filâtre a toutefois concédé lors de son échange avec la presse qu’un étudiant ne recevra «  jamais un non sec  ». Le rapporteur a aussi évoqué, lors de son échange avec la presse, la possibilité de mettre en place des modules de mise à niveau au cours du semestre pour ceux qui en auraient besoin. Mais encore une fois, rien n’est tranché, tout est encore ouvert. La question se complexifie un peu plus pour les filières dites en tension comme la psychologie, le droit, les Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives) ou la médecine.

Dans ces cas précis, l’idée d’une sélection est mieux acceptée tant la situation actuelle est intenable et se règle parfois grâce au tirage au sort, injuste par essence. Les participants à la concertation proposent par exemple d’augmenter les capacités d’accueil en Staps en créant des antennes ou des départements dans les académies déficitaires. La création d’un BTS « métiers du sport » a aussi été évoquée. Les aspirants médecins pourraient pour leur part devoir valider des prérequis par le biais d’un Mooc, un cours en ligne gratuit baptisé « préparation à l’entrée dans les études de santé ».

Lilâ Le Bas, présidente de l’Unef, reste dubitative à l’issue de cette série de discussions et refuse encore et toujours l’instauration de toute forme de prérequis. « Ce rapport ne nous ôte aucune inquiétude. Nous ne sommes pas dupes, cette réforme ne peut pas aller dans le bon sens car il n’y a pas l’investissement financier nécessaire pour la porter et la mener à terme.  » Jimmy Losfeld, de la Fage, la première force étudiante, se dit favorable « à une logique d’attendus disciplinaires, qui participeraient à la conscientisation de l’étudiant sur l’exigence de la formation choisie. J’insiste sur le fait que cette décision doit être de la responsabilité de l’étudiant uniquement. C’est pour cette raison que nous rejetons la notion de prérequis synonyme de coercition et de fermeture de l’université ».

La FIDL, qui représente les lycéens, a pour sa part boycotté le rendez-vous et s’agace dans un communiqué de l’orientation prise par la ministre : « Le gouvernement, en plus de rester très vague sur ses intentions concrètes, maintient sa volonté d’instaurer la sélection à l’entrée des universités par le biais d’un système de prérequis, allant à l’encontre du droit des lycéens à accéder à la filière universitaire de leur choix.  »

Sur un plan moins polémique, le rapport consacre aussi une large part aux défaillances de l’orientation. Souvent, les moins bien dotés en capital culturel et social ou ceux qui habitent dans les territoires les plus défavorisés, scolarisés dans des établissements ségrégés, sont désarmés vis-à-vis de l’éventail de choix qui s’ouvre à eux dans l’enseignement supérieur. « Ces inégalités économiques, sociales et culturelles entre les élèves et les familles doivent donc être compensées dans l’accompagnement vers l’information et l’orientation. C’est un devoir de justice  », résume le rapporteur.

La Cour des comptes enterre un peu plus le logiciel APB

Pour remédier à cela, plusieurs pistes sont envisagées, et en premier lieu un accompagnement numérique et humain renforcé. Ce, notamment, en formant les enseignants à appuyer de manière efficace leurs élèves durant leur scolarité avant le bac. Charge au ministère de l’éducation nationale de dégager des plages horaires dans les emplois du temps afin de mettre en œuvre ces moments de réflexion sur l’avenir. Une articulation plus poussée entre les « structures et acteurs de l’enseignement secondaire et de l’enseignement supérieur » est aussi réclamée. Afin de dissiper le brouillard de l’orientation, y compris pour les parents, il faudrait aussi, ont réclamé les participants de la concertation, mettre en place des tutorats, des réunions d’information, voire des rencontres avec des anciens élèves, qu’ils soient étudiants ou tout juste insérés dans la vie professionnelle.

Il n’y a là rien de très problématique, ou même original. Le seul point d’inquiétude porte sur la question des avis des conseils de classe. Ceux-ci devraient être mieux pris en compte. Mais des divergences subsistent sur le pouvoir accordé aux professeurs de terminale. Doivent-ils édicter « un positionnement du conseil de classe aboutissant à une information à l’intention du jeune lycéen  » ou «  un avis officiel transmis à l’établissement d’enseignement supérieur auprès duquel le jeune lycéen a déposé une candidature  » ?

Là encore, aucun éclairage supplémentaire n’a été donné. À la sortie de la réunion, la secrétaire générale du SNES, Frédérique Rolet, a expliqué qu’il fallait veiller à ne pas mettre en cause le travail des enseignants du second degré en pointant avec autant de vigueur les manquements de l’orientation des lycéens. « On insinue qu’on n’accompagne pas assez nos élèves  », relève-t-elle. La responsable syndicale reste aussi dubitative face à cette volonté de dessiner plus tôt l’avenir des élèves : « Un jeune de 16 ou 17 ans n’a pas forcément une idée précise de ce qu’il veut faire plus tard. De toute façon, il ne faut pas enfermer les gens précocement dans un cursus. »

La ministre a largement distillé depuis des mois l’idée d’instaurer une année de propédeutique ou de remise à niveau. Cette option est écartée. Certains syndicats et des organisations étudiantes et lycéennes ont émis des réserves sur cette option, compte tenu du coût supplémentaire engendré pour les jeunes devant financer une année supplémentaire d’étude.

Dans cette somme de propositions, le versant social n’est pas oublié même si la question des moyens et de l’augmentation des effectifs – de l’ordre de 40 000 étudiants supplémentaires par an – est peu évoquée. Mais la création d’une allocation unique d’étude et d’aide aux étudiants a été discutée. Le rapport ne rejette pas cette idée mais note que « la mise en œuvre de cette réforme n’est pas aisée, techniquement, budgétairement et réglementairement, puisqu’il faudrait rapprocher les aides au logement (APL) et les bourses sur critères sociaux (BCS) ». Pour répondre à cette revendication, les membres des groupes de travail ont proposé qu’une mission interministérielle, portée par Frédérique Vidal, soit lancée sous peu. D’autres encore proposent la création d’un « observatoire national du logement étudiant ».

L’autre grand casse-tête à résoudre concerne les procédures d’admission. Elles ont aussi été évoquées dans les groupes de travail puisque le feuilleton de l’admission post-bac a polarisé les débats ces derniers mois. Il faut dire que la plateforme APB fait l’objet d’une somme de critiques sévères mais justifiées, au regard du cafouillage estival engendré et cette interminable litanie des naufragés, sans affectation. Cet été, près de 150 000 bacheliers s’étaient retrouvés, à l’issue du premier tour, sans proposition d’affectation pour la rentrée 2017. Certains ont dû être départagés par un tirage au sort dans les filières les plus engorgées. D’autres ont formulé des recours devant les tribunaux administratifs afin de contester les décisions d’affectation.

Cette situation se trouve narrée sous la plume de Daniel Filâtre : « Alors que l’actuelle procédure APB est menacée de toute part, les membres de la consultation ont confirmé, à la quasi-unanimité, l’intérêt d’un processus national d’affectation sous réserve d’amélioration et d’une plus grande transparence. Plusieurs propositions ont été faites par le groupe en charge de ces questions. »

Les pistes avancées ne sont pas surprenantes. Il s’agit par exemple de modifier le calendrier car, comme l’a déjà expliqué Frédérique Vidal, la période APB est trop longue – elle s’étend de fin janvier à septembre – et de fait très anxiogène. La concertation a abouti à la même conclusion. Même constat pour la nécessité de rendre le logiciel plus transparent : « Ensuite, le fonctionnement de la future procédure en remplacement du système APB doit être simple d’utilisation et explicite dans ses règles.  » Les participants à la concertation demandent enfin d’élargir l’éventail de formations présentes sur APB – 85 % des filières y sont répertoriées à l’heure actuelle. Les absents étant les écoles du social, du paramédical, de commerce, les écoles d’arts ou encore Sciences-Po ou les universités sélectives, comme Paris-Dauphine.

Avec un sens consommé du timing, la Cour des comptes a publié jeudi 19 octobre un rapport intitulé Admission post-bac et accès à l’enseignement supérieur. Un dispositif contesté à réformer. Ce document se veut équilibré et détaillé sur le décrié logiciel d’affectation Admission post-bac (APB). Même si, en définitive, la juridiction chargée de vérifier le bon usage de l’argent public enterre un peu plus ce logiciel en fin de vie destiné à laisser sa place à un remplaçant mieux adapté dès 2018. Les premiers clous sur le cercueil d’APB avaient déjà été plantés il y a un mois par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) qui avait mis en demeure le ministère au sujet de la plateforme admission post-bac (APB), à propos de laquelle elle signale « plusieurs manquements  ».

L’autorité s’alarmait par ailleurs du manque d’information sur le traitement des données ainsi que sur le mode de fonctionnement de l’algorithme qui répartit les bacheliers dans les différentes filières d’enseignement supérieur. La CNIL a notamment demandé au ministère de « cesser de prendre des décisions concernant des personnes sur le seul fondement d’un algorithme et de faire preuve de plus de transparence » dans l’utilisation de la plateforme.

Pour sa part, la Cour des comptes salue l’idée qui a présidé à la création du logiciel en 2009. Elle vante le caractère «  innovant  » du logiciel qui a cherché à simplifier les démarches et approuve son « coût modéré pour l’État », de l’ordre de 900 000 euros par an. Elle explique aussi les bénéfices de l’usage de l’algorithme qui permet d’« optimiser » l’affectation des candidats en mettant en adéquation les vœux et les formations. Pour illustrer son propos, une simulation montrant ce qu’aurait pu être la session 2016 d’APB « sans l’utilisation de l’algorithme d’affectation » a été réalisée dans ce rapport. 300 000 candidats n’auraient reçu aucune proposition au premier tour d’APB, en juin 2016, « contre la moitié avec l’algorithme » (148 000), démontre la Cour des comptes.

Mais ses défauts intrinsèques ne parviennent à compenser les quelques points positifs énoncés. La Cour des comptes met en évidence la « crise de légitimité  » qui traverse APB. Comme la CNIL, les magistrats de la rue Cambon s’alarment du manque de transparence du logiciel, dont le ministère n’a jamais voulu dévoiler l’intégralité du code source. Non seulement car cela génère du stress mais aussi parce que ce mystère laisse facilement la place aux fausses informations. Et de souligner que, de fait, « beaucoup de candidats attribuent au dispositif APB et à son algorithme d’affectation des décisions qui relèvent en réalité des établissements recrutant sur la plateforme  ». Cette opacité n’est pas le seul écueil du dispositif.

La Cour explique aussi que l’INP Toulouse, établissement d’enseignement supérieur et de recherche, n’a pas vocation à demeurer l’opérateur de la procédure APB. C’est à l’État qu’il revient de gérer directement l’ensemble de la procédure dans le cadre d’un service unifié. Ainsi la Cour des comptes préconise-t-elle de créer un service public. Lors de sa conférence de presse de rentrée, Frédérique Vidal avait déjà devancé cette demande et avait annoncé la mise en place «  d’un service à compétence nationale  » rattaché directement au ministère et chargé de piloter le futur dispositif.

Dans sa réponse jointe en annexe au rapport de la Cour des comptes, le ministère de l’enseignement supérieur souligne les « fragilités politiques et réglementaires » qui vont le conduire à revoir « profondément » l’assise juridique de la procédure d’entrée en premier cycle. L’exécutif se défend face à la Cour des comptes lorsqu’elle accuse la procédure complémentaire d’APB d’être « opaque, injuste et inefficace  » ou qu’elle incrimine le ministère en l’accusant de « dissimulation d’une partie des modalités de fonctionnement d’APB [qui aurait] contribué à l’opacité du système ». Ce jugement est « sévère et partiellement injustifié », écrit le ministère qui va devoir très vite prouver le contraire avec sa nouvelle mouture du logiciel dont la mise en service est en principe prévue pour la session 2018.

Pour l’article sur le site de Médiapart.