Accueil > Université (problèmes et débats) > Amiante : le grand absent de l’ « inaugauration » du campus Jussieu par le (...)

Amiante : le grand absent de l’ « inaugauration » du campus Jussieu par le président de la république - Communiqué de presse du Comité Anti-Amiante Jussieu, 29 septembre 2016

jeudi 29 septembre 2016, par PCS (Puissante Cellule Site !)

Au terme de 20 ans de travaux, le campus Jussieu enfin désamianté est inauguré ce vendredi et des festivités sont prévues. On attend même la visite de François Hollande ce jeudi. Mais on cherche en vain dans le programme des festivités annoncées dans le cadre de cette inauguration, la moindre mention du mot « amiante » ! Tout un symbole, celui du combat qu’a dû mener pied à pied le Comité anti-amiante Jussieu pour obtenir le désamiantage du plus grand bâtiment amianté du monde (200 000m2 de flocages) contre le déni et la mauvaise volonté des responsables.

Le copieux programme de l’ « inauguration du campus Jussieu » comporte plus de 2000 mots. Mais étrangement le mot « amiante » n’y figure pas. Tout le programme est à l’aune de son introduction :

« Le jour J comme Jussieu ! Après 20 ans de travaux, le campus Jussieu révèle son nouveau visage. Des bâtiments refaits à neuf, des installations de pointe, des oeuvres d’art revalorisées, un parvis végétalisé... Venez célébrer la métamorphose de votre campus le vendredi 30 septembre 2016, de 13h à 19h. »

Mais cette rénovation n’était-elle pas d’abord un « désamiantage » ? Pourquoi ce déni ? Comment expliquer que la plus grande université scientifique de France se livre à une telle déformation de la réalité ?

Un petit retour en arrière permet de comprendre. Jussieu a été le fer de lance du combat contre l’amiante en France et le symbole de la plus grande catastrophe sanitaire que la France ait connue (plus de 3000 décès par an en France actuellement).

Les risques liés à la présence d’amiante à Jussieu ont été une première fois dénoncés en … 1974 par un collectif de personnels qui a mené une campagne nationale. Un début de traitement du problème avait même été esquissé. Mais la question a été très vite mise sous le boisseau. Au niveau national, les industriels mirent en place un organisme de lobbying particulièrement efficace, le Comité permanent amiante (CPA), qui parvint à tout contrôler, y compris l’action des pouvoirs publics. Au point même qu’à Jussieu, la surveillance médicale des personnels s’effectuait sous la responsabilité de médecins participant à cet organisme de lobbying !

Ce n’est qu’en septembre 1994 que nous avons appris un peu par hasard l’existence de cas de maladies professionnelles liées à l’amiante sur le campus, une information qui n’avait pas été diffusée (il y avait 8 cas à l’époque). Nous avons alors immédiatement créé une association, le Comité Anti-Amiante Jussieu, et lancé la bataille pour obtenir le désamiantage des bâtiments. La bataille ne fut pas simple. Le Comité Anti-Amiante Jussieu était à l’époque la seule association en France dédiée à la question de l’amiante.

La situation était alors entièrement contrôlée par l’organisme de lobbying précédemment cité, le CPA, dans lequel les industriels avaient réussi à enrôler toutes les personnes et organismes susceptibles d’agir sur la question de l’amiante : pouvoirs publics (ministères), organismes de veille sanitaire, scientifiques et même … les confédérations syndicales !

C’est donc une bataille nationale qu’à dû mener le Comité Anti-Amiante Jussieu à l’époque. Cette bataille a abouti à la disparition du CPA et aux décisions essentielles des pouvoirs publics en 1996 : décrets d’interdiction de l’amiante, de repérage et traitement de l’amiante dans les bâtiments, de protection des travailleurs exposés à l’amiante et … décision de désamiantage de Jussieu, annoncée par le président de la République lui-même le 14 juillet 1996.

Mais entre la décision de désamiantage et sa mise en œuvre effective, le chemin fut long et tortueux, et il a fallu mener un combat pied à pied. Si le « chantier » a duré 20 ans , ce n’est pas pour des raisons de complexité technique, mais à cause de la mauvaise volonté des responsables, qui a provoqué des remises en cause successives et … provoqué des dépenses aussi faramineuses qu’inutiles dénoncées par la Cour des Comptes et qui se chiffrent en centaines de millions d’euros.

Pour ne citer qu’un exemple, nous rappellerons que nous avons eu comme ministre de tutelle en 1997 … Claude Allègre, qui s’était prononcé avec violence contre le désamiantage de Jussieu et avait même développé son point de vue sur une page du Figaro sous le titre on ne peut plus explicite « le refus du risque, voilà l’ennemi  ».

Le programme de l’ « inauguration » dont a été gommé le mot « amiante » s’inscrit dans la continuité de cette histoire : des responsables refusant de prendre au sérieux le problème de santé publique que posait l’amiante à Jussieu et nettement plus motivés par des opérations immobilières, permettant de faire de belles inaugurations.

Cela est d’autant plus choquant que le risque est maintenant avéré et que chaque année amène son nouveau lot de nouvelles victimes : on compte actuellement 169 cas de maladies professionnelles dues à l’amiante et plus de 40 personnes en sont décédées. Encore faut-il préciser que ce sont les chiffres non exhaustifs des seuls cas recensés par le Comité anti-amiante Jussieu. Car l’université ne fournit plus aucun chiffre !

Cela est aussi choquant sur un plan plus général : cela montre aussi qu’on n’a pas vraiment tiré les leçons de la catastrophe sanitaire de l’amiante. La justice elle-même ne le souhaite pas. Il y a 20 ans que le Comité anti-amiante Jussieu et des victimes de Jussieu ont porté plainte pour que toutes les leçons soient tirées de l’affaire de l’amiante à Jussieu, en particulier pour que l’on examine les raisons des retards considérables pris dans le traitement d’une question de santé publique connue de tous dès 1974. C’est dans cette procédure qu’a été instruite le volet national des responsabilités : celle des ministères, des organismes de veille sanitaire et des industriels. Mais le procès pénal n’a pas encore eu lieu, et rien ne permet de penser qu’il se tiendra un jour proche. On attend paisiblement que tous les responsables aient disparu !

Tant qu’un procès pénal n’aura pas eu lieu, mettant en lumière l’ensemble des responsabilités, le déni pourra continuer et les leçons ne seront pas tirées.