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La démocratie universitaire bafouée - Pascal Maillard, blog de Mediapart, 15 février 2016

lundi 15 février 2016, par Tournesol, Pr.

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Le président du CNRS, Alain Fuchs, vient de commettre un acte d’ingérence inadmissible dans le processus électoral qui doit conduire au renouvellement des conseils de l’université Paris 6 (UPMC) et à l’élection du nouveau président. En arrière-plan de cette faute grave, qui pourrait porter atteinte à la sincérité du scrutin : le projet de fusion entre Paris 6 et Paris 4.

Les élections dans les conseils centraux de l’Université Pierre et Marie Curie doivent se tenir demain, mardi 16 février. L’enjeu est considérable : l’actuel président, Jean Chambaz, est candidat pour un second mandat. Il soutient le projet de fusion avec Paris 4. Rappelons que le 15 septembre 2015 les présidents de Paris 4 et Paris 6 prenaient de court les personnels et les élus des deux établissements en annonçant, par voie de presse, la fusion de la Sorbonne historique, symbole de l’Université française, avec l’université Pierre et Marie Curie, la plus grande université de France en sciences, médecine et ingénierie. La création de ce nouveau mastodonte suscite les plus grandes réserves des personnels et des organisations syndicales.

L’une des listes d’opposition à celle du président Chambaz pourrait mettre ce dernier en difficulté. Sous la belle appellation de « Nous sommes l’université », elle présente une candidate crédible et un programme solide, élaboré collégialement par des personnels syndiqués et sans appartenance.«  Il est temps, écrivent-ils, de tourner la page d’un système présidentiel qui, à coup d’injonctions, transforme notre université d’enseignement et de recherche en une entreprise de formation et d’innovation sous l’empire d’une bureaucratie de plus en plus étouffante. »

C’est dans ce contexte que les personnels du CNRS associés à Paris 6, qui forment une part importante du corps électoral, ont été les destinataires, vendredi 12 février, d’un message singulier, expédié par voie hiérarchique. Je le restitue intégralement en soulignant les passages importants :

MESSAGE A JEAN CHAMBAZ

Monsieur le Président,

L’Université Pierre et Marie Curie est un partenaire très important du CNRS en matière de recherche et je me félicite de la qualité de nos relations et de nos réalisations communes tout au long de votre mandat présidentiel. Nous avons certes encore des progrès à accomplir en matière de concertation sur nos politiques de recherche et aussi de gestion conjointe des UMR, mais j’ai très bon espoir que la dynamique en cours se poursuivra, et s’amplifiera encore avec la création de la nouvelle Université réunissant l’UPMC et Paris-Sorbonne.

Le CNRS soutient la liste « Réunis  » que vous portez pour les élections prochaines et forme des voeux pour votre ré-élection à la Présidence de l’Université Pierre et Marie Curie dans les conditions les meilleures pour vous et l’ensemble de vos colistiers dans les trois conseils.

Bien cordialement à vous,

Alain Fuchs
Président
Centre National de la Recherche Scientifique
3, rue Michel Ange
75794 Paris Cedex 16

Ainsi, le Président en titre du CNRS, ancien professeur de Paris 6, apporte non seulement un soutien direct au président Chambaz, mais encore un appui explicite à ses listes de candidats « dans les trois conseils ». Au passage il se prononce en faveur de la fusion des deux établissements. La faute est grave. Face à une ingérence caractérisée dans un processus électoral, qui plus est par un haut fonctionnaire de l’Etat nommé en conseil des ministres et soumis à un devoir de réserve, les réactions ont été vives. Une pétition adressée à Thierry Mandon et Najat Vallaud-Belkacem a été lancée hier et plusieurs organisations syndicales dénoncent ce jour « une scandaleuse ingérence du président du CNRS dans des élections universitaires ». Le comité électoral consultatif a été alerté.

Questions :

  • Le président Chambaz a-t-il si peur que sa réélection soit compromise qu’il aurait été conduit à appeler au secours le président du CNRS ?
  • L’impunité de l’oligarchie qui gouverne la recherche et l’université est-elle devenue telle qu’elle se dispense aujourd’hui des règles les plus élémentaires dans les processus électoraux ?
  • Ou bien encore, de façon plus retorse, le président du CNRS – qui est un homme intelligent –n’a-t-il pas volontairement produit un acte d’ingérence dont il sait qu’il constitue un motif d’annulation d’une élection, laquelle est bien mal engagée pour les listes qu’il soutient ? Il arrive souvent que les annulations d’élections, qui créent toujours de la confusion, produisent un réflexe légitimiste et confortent un pouvoir en place…

Dans tous les cas, nous ne pouvons que constater, une fois de plus, que la démocratie universitaire est bafouée dans ses fondements. Que les premiers agents de sa destruction soient de hauts fonctionnaires liés au pouvoir ne nous étonne plus, mais ne laisse pas de nous inquiéter. Les présidents des universités et des organismes de recherche, ne devraient-ils pas être en effet les premiers garants des principes de collégialité et de démocratie, les premiers garants du respect du Droit ? Or, depuis le loi LRU de 2007, et plus encore depuis la loi Fioraso de 2013, l’enseignement supérieur et la recherche sont devenus le laboratoire d’un néolibéralisme autoritaire et d’un basculement massif d’un Service public d’Etat vers les intérêts du secteur privé et du monde de l’entreprise. On ne s’embarasse plus avec le droit et les règlements quand ils ne servent pas le pouvoir et les intérêts particuliers.

La meilleure réponse à l’incurie du président du CNRS serait que la liste "Nous sommes l’université" remporte les élections !

Oui, nous sommes l’université, et ça ils ne nous l’enlèveront pas !

Pascal Maillard