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Pour l’accueil des réfugiés dans les universités - Libération, 12 septembre 2015

samedi 12 septembre 2015, par Chris

Il y a urgence : les universités doivent accueillir et former, comme c’est leur mission, les demandeurs d’asile et réfugiés. Voilà pour commencer quelques actions concrètes à mettre en place.

  • Par Valérie Robert, Etudes germaniques, Sorbonne Nouvelle-Paris 3
    Stéphanie Hennette-Vauchez, Droit public, Paris Ouest Nanterre La Défense
    Serge Slama, Droit public, Paris Ouest Nanterre La Défense
    Mathieu Brunet, Lettres modernes, Aix-Marseille Université
    Pierre Brunet, Droit public, Paris 1 Panthéon-Sorbonne
    Marie-Laure Basilien-Gainche, Droit public, Lyon 3 / IUF
    Serge Weber, Géographie, Paris-Est Marne-la-Vallée
    Antoine Vauchez, Science politique, CNRS
    Diane Roman, Droit public, Francois-Rabelais, Tours
    Nikos Smyrnaios, Sciences de l’Information et de la Communication, Toulouse 3
    Laurence Dumoulin, Science politique, CNRS IEP Grenoble.

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La vague de solidarité face à la crise migratoire serait, donc, finalement arrivée en France – sans pour autant que son ampleur rejoigne celle de nos voisins allemands. Mais la réponse institutionnelle reste, elle, assez floue et timorée. Nous souhaitons appeler ici les universités à prendre part à la mobilisation ; il nous paraît urgent et important de se pencher sur ce qu’elles peuvent faire concrètement, en tant qu’institutions, pour accueillir et former, comme c’est leur mission, les demandeurs d’asile et réfugiés, quel que soit leur pays d’origine.

Les universités allemandes ont d’ores et déjà mis en place des dispositifs qui tiennent compte de la situation et des besoins spécifiques des étudiants réfugiés. Au contraire, les premières propositions faites la par la Conférence des présidents d’université sont trop limitées puisqu’elles se contentent de reprendre des dispositifs qui existent déjà : les demandeurs d’asile ont en effet déjà le droit de s’inscrire dans les universités sans procédures préalables et de demander l’exonération des frais d’inscription. Les présidents d’université devraient faire pression sur un autre point : que les demandeurs d’asile puissent, comme tout étudiant étranger, pouvoir travailler pour subvenir à leurs besoins. Or la loi française ne donne pas ce droit – y compris après neuf mois de procédure devant l’Ofpra, et en violation du droit de l’Union européenne.

Mais quid d’un vrai projet d’accueil qui prendrait au sérieux la dimension pédagogique ? Celle-ci est essentielle pour permettre à des personnes traumatisées, sans ressources, sans contacts et souvent sans connaissance suffisante du français, d’étudier dans de bonnes conditions, dans la perspective de trouver des débouchés professionnels en France et de s’intégrer dans notre société. Au-delà, il s’agit d’affirmer le savoir et le partage des connaissances comme des valeurs universelles ; il s’agit de faire de l’université un acteur social de premier rang face à une crise migratoire sans précédent depuis la Seconde guerre mondiale.

Pour ce faire, il faut limiter au maximum la bureaucratie et faire preuve de souplesse dans les démarches administratives, notamment dans la validation des acquis. Comme le prévoient les textes, l’Ofpra a un rôle central à jouer pour attester l’équivalence des diplômes. L’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), devenu le pivot de l’accueil des demandeurs d’asile, doit aussi les accompagner dans leurs démarches, en aidant les instances universitaires à tenir compte de leur vulnérabilité particulière. Il est impératif qu’ils bénéficient d’un accompagnement spécifique et individualisé, avec interlocuteur unique, fourni par l’université ; la mise en place de tandems ou tutorats d’étudiants ne saurait que compléter cet engagement institutionnel. On pourrait aussi proposer à ceux qui le souhaitent la possibilité d’une première inscription semblable à celle des étudiants étrangers en séjour d’échange, mais gratuite, qui donnerait accès à une année d’études permettant de se familiariser avec le système universitaire français, d’apprendre suffisamment le français mais aussi de développer des relations avec les autres étudiants, et d’assister aux cours de leur choix (voire de les valider) dans ce premier temps d’orientation qui précéderait, pour celles et ceux qui le souhaitent, l’inscription finale dans une filière spécifique.

Les demandeurs d’asile qui en ont besoin devront bénéficier de cours de français intensifs – bien au-delà des prestations de l’OFII. Les universités devront donc développer l’offre existante, ce qui demande bien sûr un financement supplémentaire de la part du Ministère ou de l’Union européenne. Tout ceci devra être rendu visible et accessible par le biais de pages spécifiques, également traduites en anglais et en arabe, sur les sites internet des universités.

Autre niveau d’action : les universités pourraient soutenir et valoriser les actions de solidarité développées par les étudiants. Celles-ci peuvent être nombreuses et diverses : tandems, cours de langue dans les centres d’accueil de demandeurs d’asile, baby-sitting, aide à la recherche de logement, activités culturelles et de temps libre, conseils juridiques par des étudiants en droit (Cliniques du droit spécialisé en droit des réfugiés, comme il en existe en Allemagne ou aux Etats-Unis), consultations médicales par des étudiants en médecine comme à Munich… Elles doivent être encouragées et soutenues.

Enfin, les universités devraient saisir la chance que représente l’accueil de ces étudiants réfugiés pour penser l’enrichissement de leur offre de formation et de la vie étudiante. Le thème des migrations pourrait recevoir une place accrue dans la recherche et dans l’enseignement. Des formations spécifiques au droit d’asile et au droit des étrangers permettraient de former nos étudiants à une réalité sociale, tout comme une formation à l’interculturel et à la situation des étrangers des futurs professionnels juristes, médecins, enseignants : pourquoi ne pas développer pour eux les stages dans des centres d’accueil ? De telles initiatives pourraient en outre constituer un moyen d’impliquer activement les demandeurs d’asile dans la vie de l’établissement, en leur confiant l’organisation et l’animation de conférences ou de « dialogues interculturels ».

On insiste : la réponse des universités doit aujourd’hui être institutionnelle et ne pas seulement reposer sur le bénévolat ou le – traditionnel – bricolage et système D en urgence. C’est bel et bien une action publique de long terme et l’affirmation d’une responsabilité sociale des universités qui est commandée par l’acuité de la situation présente, et il est plus que temps que soit lancée parmi les acteurs universitaires une réflexion collective qui fédère les idées et les initiatives.