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Avec le départ de Fioraso, l’université et la recherche espèrent un nouveau cap - Lucie Delaporte, 7 mars 2015.

dimanche 8 mars 2015, par Tournesol, Pr.

Le départ de Geneviève Fioraso pour raisons de santé intervient alors que les universités grondent. Depuis l’alternance, le divorce entre le monde universitaire et le gouvernement est largement consommé.

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Tout un symbole. Au moment où Geneviève Fioraso présentait sa démission à l’Élysée, des centaines d’enseignants-chercheurs et d’étudiants étaient rassemblés rue Descartes devant son ministère pour protester contre les effets de l’austérité dans l’enseignement supérieur, dans le cadre d’une mobilisation nationale prévue de longue date.

Son départ pour raisons de santé, acté depuis plusieurs semaines, aurait dû initialement avoir lieu au lendemain des élections départementales dans le cadre d’un remaniement plus large. Alors que les universités grondent et moins de deux semaines après nos révélations sur son diplôme usurpé d’économie, sa position à la tête d’un ministère en plein tangage était sans doute devenue intenable.

Nommée par François Hollande avec l’objectif d’apaiser une communauté universitaire à vif, après cinq ans de réformes qui ont profondément bousculé le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso, en poursuivant pour l’essentiel la politique engagée sous le précédent quinquennat, n’est jamais parvenue à convaincre ceux qui espéraient un réel changement de cap.

La loi sur l’enseignement supérieur et la recherche de mai 2013 est d’ailleurs dans le droit fil de la LRU et du pacte pour la recherche. Geneviève Fioraso avait d’ailleurs choisi, à son arrivée, comme directeur de cabinet l’ancien président de la conférence des présidents, Lionel Collet, artisan auprès de Valérie Pécresse de la mise en place de la si décriée LRU. La loi invite les universités, désormais autonomes, à rationaliser leur offre de formation et à se regrouper au sein de communautés universitaires. Un chantier encore balbutiant, mais qui inquiète bon nombre d’universitaires qui y voient des « mastodontes technocratiques »…

Sur le terrain, pour éviter la faillite, les universités sont contraintes à des économies drastiques : réduire la voilure de leurs formations, geler des postes, recourir à des personnels précaires et remettre à plus tard tout investissement.

En dépit de ces efforts, dans certains établissements la situation est devenue critique. À Lyon 2, les personnels vacataires n’ont pas été payés pendant plus de six mois, beaucoup travaillant d’ailleurs sans contrat. Après une longue mobilisation, la situation de ces personnels devrait mi-mars être enfin régularisée. À Paris-Sud, le gel des postes d’ATER – ces postes réservés aux doctorants qui terminent leur thèse – a provoqué la colère des enseignants-chercheurs dont une partie a décidé de faire la grève administrative en bloquant les notes des partiels de janvier. Selon la présidence de l’université, il manquait au budget de la fac 2,8 millions sur la masse salariale. À Nanterre, c’est le personnel administratif de catégorie C qui s’est lui mis en grève pour dénoncer ses conditions de travail. L’an dernier, c’était l’université Versailles Saint-Quentin qui était en quasi-faillite et placée sous la tutelle de l’État. À Montpellier, la présidente de l’université annonçait qu’elle devrait fermer son antenne de Béziers faute de moyens suffisants, tout en organisant un tirage au sort des étudiants…

Selon l’Unef, il manquerait aux universités 200 millions d’euros pour fonctionner normalement. Signe d’une crise sans précédent, trois mois après la date habituelle, les universités n’ont toujours pas à ce jour leurs dotations budgétaires. Bercy a, en effet, imposé au ministère de rendre 100 millions d’euros supplémentaires au titre du redressement des comptes publics. Comme personne ne voit encore précisément où trouver de nouvelles économies (puiser dans les fonds de roulement des universités ?), la situation est aujourd’hui totalement bloquée. « Cela fait un moment qu’on se demande s’il y a toujours un pilote dans l’avion », soupire le cosecrétaire général du Snesup, Marc Neveu, décrivant une secrétaire d’État aux abonnés absent et manquant de poids politique face aux appétits de Bercy.

Ces derniers mois, même la très prudente Conférence des présidents d’université (CPU) est sortie du bois pour rappeler la priorité à l’éducation et à la jeunesse après des années d’efforts demandés aux universités. Dans un édifiant Tumblr, intitulé « Ruines d’université », le collectif Sciences en marche avait par ailleurs donné à voir, au-delà des slogans de communication, la misère de nombre de bâtiments universitaires montrant ici les façades lépreuses à l’université Paul-Sabatier de Toulouse, ou là des sanitaires dans un état pitoyable à la fac de Strasbourg.

Sur la question du sous-financement de l’enseignement supérieur, Geneviève Fioraso n’aura jamais voulu rien entendre. Depuis son arrivée rue Descartes, elle n’a jamais cessé de répéter que les universités manquaient en réalité moins de moyens que de bons gestionnaires, appelant crûment les universités à un changement de mentalité pour se considérer, enfin, comme « des centres de coûts et de profits  », en développant, par exemple, leur offre en matière de formation professionnelle.

Déboussolée, la communauté universitaire a donc assisté sous un gouvernement de gauche à la levée progressive de certains tabous, que ce soit en matière de hausse des frais d’inscription, pour l’instant limités à certaines grandes écoles, ou en matière de financement privé de la recherche. À l’université, l’appel au mécénat d’entreprise est certes encore assez marginal – un récent rapport de l’inspection générale de l’administration de l’Éducation nationale et de la recherche (IGAENR) soulignait que la majorité des fondations ont un capital inférieur à 1 % du budget de fonctionnement de leur établissement – mais se développe à grande vitesse. La fondation de l’université de Strasbourg vient ainsi d’annoncer avoir levé 20 millions d’euros sur quatre ans. Un record dans le monde universitaire, mais qui inquiète un milieu universitaire encore très attaché à l’idée du service public.

Des universités "centres de coûts et de profits"

Trois ans après l’alternance, la situation de la recherche, elle aussi contrainte de courir après les financements, n’est guère plus reluisante. Malgré l’ampleur de leur mobilisation organisée à l’automne, le mouvement Sciences en marche, contre la précarité grandissante dans les laboratoires, n’a de l’aveu de son chef de file Patrick Lemaire, pratiquement rien obtenu. « En ayant mis une pression pendant le débat sur la loi de finances 2015 nous avons peut-être limité un peu les dégâts et la volonté de Bercy de réduire encore un peu plus le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche  », affirme-t-il. La question pourtant fondamentale du crédit impôt recherche (CIR), plus de cinq milliards d’euros distribués chaque année pratiquement sans aucun contrôle aux entreprises, n’a par exemple jamais été posée.

Les signes du divorce entre le gouvernement et le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche ne datent pas d’aujourd’hui. En avril dernier, alors qu’un remaniement s’annonçait, le succès de la pétition intitulée «  Le changement dans l’enseignement supérieur et la recherche, c’est maintenant ?  » avait ainsi reçu en quelques semaines plus de 11 000 signatures d’universitaires. Mais François Hollande avait à l’époque défendu mordicus Geneviève Fioraso, au motif qu’aucune grève d’ampleur n’avait pris dans les facs.

La stratégie gouvernementale consistant à soigner avant tout le dialogue avec les organisations étudiantes a peut-être, elle aussi, atteint ses limites. Du côté du ministère, on fait valoir en effet que de très importants efforts financiers ont été fournis pour améliorer les conditions d’études des étudiants, notamment à travers une politique de revalorisation des bourses qui a concerné depuis le début du quinquennat plus de 135 000 étudiants. Mais rappellent les organisations étudiantes, la dégradation de la situation budgétaire des universités pèse évidemment sur les étudiants confrontés à des TD surchargés, des locaux vétustes et une offre de formation menacée.

Au-delà des questions budgétaires, c’est surtout le manque de perspective clairement assumée pour l’enseignement supérieur comme pour la recherche qui marquera cette première partie de quinquennat. Les déclarations à l’emporte-pièce de la secrétaire d’État, assimilant purement et simplement les universités à des entreprises – immédiatement désamorcées par une communication rassurante – ont parfois laissé l’impression d’un double discours où les réformes, comme le poids grandissant des régions dans les facs, avançaient masquées.

Alors que le dialogue social est au point mort avec les personnels depuis des mois, les attentes d’un réel changement sont aujourd’hui immenses.

La personnalité controversée de Geneviève Fioraso, obsédée par la valorisation à destination industrielle et commerciale de la recherche, et méprisant ouvertement les sciences humaines et sociales, ou flirtant sur certains dossiers comme celui des nanotechnologies avec le conflit d’intérêts, n’a pas contribué à rétablir la confiance.

Avec son départ, certains veulent donc croire qu’une page, celle d’un rendez-vous manqué, se tourne enfin.