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La dette étudiante : une bombe à retardement ? - Eric Berr, Blog des économistes atterrés, "Marianne", 18 Novembre 2014

mercredi 19 novembre 2014, par Hélène

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Tandis que nous sommes toujours éclaboussés par les conséquences de l’éclatement de la bulle immobilière (la désormais célèbre crise des subprimes), une note de la Banque de France (1) nous signale que de nombreux risques pèsent sur le marché du crédit étudiant aux États-Unis. Nous y apprenons en effet qu’en 2012, 70 % des étudiants diplômés avaient contracté ce type de crédit. Au total, 40 millions d’Américains ont un prêt étudiant, qui s’élève en moyenne à 30 000 dollars. L’encours total de ces prêts atteint 1 100 milliards de dollars début 2014. Le fait que 85 % de ceux-ci sont des prêts fédéraux à taux d’intérêt fixe et garantis par l’État amène l’auteur de cette note à conclure que, s’il existe bel et bien un risque pour les finances publiques en raison d’un nombre croissant de défauts, la faible titrisation de ces prêts (l’encours de la dette étudiante titrisée est de 225 milliards de dollars en 2014 tandis que celui des subprimes au moment de l’éclatement de la bulle immobilière était de 1 300 milliards de dollars en 2007) fait que la dette étudiante ne constitue pas un risque du même ordre que les prêts subprimes.

Les raisons de s’inquiéter sont pourtant nombreuses. En période d’augmentation du chômage, l’entrée sur le marché du travail est retardée et l’on prolonge souvent ses études afin d’accroître ses chances de décrocher un emploi conforme à ses attentes. Or, les droits d’inscription dans les universités américaines ont augmenté de près de 30 % entre 2006 et 2012 afin de compenser la chute de 85 % des revenus financiers des universités sur la même période (qui correspondent aux revenus du patrimoine mobilier des fondations) et le désengagement des États, autant de dommages collatéraux de la crise des subprimes. Aujourd’hui, le risque de faillite de certaines universités n’est d’ailleurs pas à exclure.

L’accroissement du chômage et l’augmentation des droits d’inscription conduisent inévitablement à la hausse du crédit étudiant qui, à son tour, impacte négativement la consommation (celle des étudiants car les remboursements grèvent largement leur budget, mais aussi celle de leur famille car les étudiants endettés restent plus longtemps chez leurs parents). En outre, avec un système de retraite par capitalisation, les jeunes actifs américains ont également plus de mal à épargner en vue de leur retraite.

Il n’est donc pas étonnant de constater que les défauts de paiement ont plus que doublé depuis 2008. En effet, près de 30 % des titulaires de prêts étudiants accusent un retard de paiement de plus de 30 jours en 2014. Dès lors que la situation sur le marché de l’emploi se dégrade et que les salaires sont revus à la baisse, le crédit étudiant devient une bombe à retardement.

Afin d’enrayer cette spirale négative, le président Obama a décidé en juin 2014 d’étendre le programme d’aide au remboursement des prêts étudiants (programme pay as you earn) afin de permettre aux jeunes diplômés de plafonner à 10 % de leur revenu mensuel le remboursement de leurs prêts étudiants fédéraux. Si une telle mesure peut redonner un peu d’air à court terme, elle contraint toutefois les jeunes diplômés à demeurer endettés sur une longue période. Le fait que le risque de défaut soit principalement supporté par le gouvernement (le montant total de la garantie fédérale sur la dette étudiante avoisine les 950 milliards de dollars, soit 6 % du PIB) fait de surcroît planer une épée de Damoclès sur le budget fédéral. L’avenir ne s’annonce pas sous les meilleurs auspices pour la jeunesse américaine.


(1) Céline Mistretta-Belna, « L’accroissement de la dette étudiante aux États-Unis, source de fragilité économique ? », Bulletin de la Banque de France N° 197, 3e trimestre 2014.