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60 000 postes dans l’éducation, vraiment ? Maryline Baumard, Le Monde, 5 novembre 2014

vendredi 7 novembre 2014, par Hélène

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François Hollande avait promis 60 000 postes pour l’école à l’horizon 2017. A la moitié du quinquennat, le ministère de l’éducation nationale reconnaît en avoir créé 3 856 dans l’enseignement public (2 906 dans le primaire et 950 en collèges et lycées).

Il s’agit là de vrais postes, d’emplois de titulaires, pérennes, à temps plein devant les élèves – quand l’essentiel des créations faites depuis 2012 concerne des stagiaires. Quelque 28 000 postes consacrés à la formation ont en effet bien vu le jour. Leur nombre autorise le gouvernement à afficher ses « créations massives » et à se féliciter qu’il est bien en route pour les emblématiques 60 000. Sauf qu’un stagiaire ne sera enseignant à temps plein que si un poste de titulaire est créé.

Or, depuis 2012, il n’y a pas de miracle. Le recrutement des stagiaires est savamment calibré pour compenser les départs en retraite des professeurs, à peine plus. La préoccupation n’est ni d’offrir des moyens d’enseignement sur le long terme aux 12,3 millions d’élèves ni de réellement transformer l’école primaire, comme promis. Il s’agit plus de jouer les artifices pour faire du chiffre sans grever les finances publiques que de réinventer une école capable d’enseigner à tous à lire, écrire et compter.

Jeu d’écriture et coupes massives

« Bien sûr qu’on peut créer des postes budgétaires sans créer de postes de titulaires. Ce sont des jeux d’écriture que tous les budgétaires maîtrisent, s’amuse un ex-fonctionnaire rodé aux ruses de Bercy. Depuis 2012, les enseignants en formation sont à nouveau comptés dans les effectifs fonctionnaires. C’est même là que se niche la plus grosse part des postes créés depuis le retour de la gauche. »

Le gouvernement socialiste n’a rien inventé. Il exécute la manœuvre inverse de celle menée par la droite durant le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Pour faire disparaître massivement des postes du budget, les étudiants en « formation » (ou ce qu’il en restait après la suppression des Instituts universitaires de formation des maîtres) avaient alors été soustraits des effectifs de fonctionnaires, même s’ils assuraient une mission d’enseignement.

Xavier Darcos et Luc Chatel, ministres de l’éducation entre 2007 et 2012, ont ainsi fait disparaître 80 000 postes. Certains par jeu d’écriture, beaucoup plus par coupes massives. La gauche, elle, fait l’exercice inverse : elle réintègre massivement les stagiaires dans le budget et crée à la marge quelques petits milliers de titulaires. Car quel que soit le nombre d’heures et la durée de présence dans les classes, chaque poste créé vaut « un » dans le grand décompte qui mène aux 60 000. Ce qui explique que l’on soit pour certains arrivés à moins de 4 000 postes créés, pour d’autres à 31 627.

Une démographie qui flambe

Le subterfuge permet quoi qu’il en soit à Valérie Rabault, rapporteur général du budget, comme à la ministre de l’éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem, de se féliciter de cette priorité présidentielle si bien servie et de s’autocongratuler de « dépenser 1,1 milliard d’euros supplémentaire pour l’éducation en 2015, notamment du fait des 9 421 postes supplémentaires dans l’enseignement scolaire ».

9 421 postes ? Qu’il y ait 9 421 visages nouveaux à la rentrée dans les classes, sans doute, mais ce seront massivement des stagiaires, que les élèves ne verront que quelques heures chaque semaine. Sur ce total, seuls 2 261 correspondent à des postes de titulaires (811 en école, 1 450 en collèges et lycées), les autres n’assureront qu’un temps partiel.

Sur le terrain, cela fera en moyens d’enseignement l’équivalent de 2 511 postes dans le primaire, de 2 555 dans le second degré et 668 dans l’enseignement privé. Juste de quoi maintenir le taux d’encadrement face à une démographie qui flambe et appliquer la réforme des zones d’éducation prioritaires.

Les commentaires du projet de loi de finances ne le cachent d’ailleurs pas et précisent que les moyens nouveaux du secondaire « seront consacrés à la couverture des besoins liés à l’augmentation prévisionnelle des effectifs des élèves et à la mise en œuvre du plan pour l’éducation prioritaire ». Dans le primaire, ils iront aussi « à la couverture des besoins liés à l’augmentation des effectifs d’élèves, à l’amélioration du dispositif de décharge des directeurs d’écoles et à la mise en œuvre du plan pour l’éducation prioritaire ».

Voilà qui permet mieux de comprendre pourquoi les enseignants estiment que la gauche n’a pas changé leur quotidien. Sur le terrain, le remplacement est souvent impossible. Le grand appel d’air promis n’est pas au rendez-vous. Il y aura encore moins d’enseignants dans les écoles maternelles et élémentaires à la rentrée 2015 qu’il n’y en avait lors du dernier exercice budgétaire mené par la droite, en 2011.

«  Il est difficile de s’engager »

Dans ce budget, qui arrive à la fin de 80 000 coupes de postes de la droite, 320 000 postes étaient affectés au primaire. Le budget 2015 en prévoit 318 000… En dépit des 2 906 postes de titulaires créés dans le premier degré depuis 2012, on est donc loin du compte. Et à des années-lumière des 14 000 postes promis dans la loi d’orientation de l’été 2013 pour que cette école primaire soit réellement érigée en priorité au sein de cette priorité présidentielle qu’est la jeunesse.

Dans l’entourage de la ministre de l’éducation, on n’exclut pas de créer les 11 094 postes de titulaires manquants pour refonder l’école, aux budgets 2016 et 2017, « même s’il est difficile de s’engager », convient-on prudemment Rue de Grenelle. Pourtant, la promesse paraît d’autant plus irréaliste que le nombre de stagiaires recrutés cette année ne permettra pas de créations massives de postes de titulaires au budget 2016. Il ne resterait donc que 2017 pour redresser la barre et assurer la promesse législative ?

Quoi qu’il en soit et vu la nature des 31 627 premières embauches, tout laisse penser que Bercy a eu raison de la Rue de Grenelle et a « habillé » le budget pour faire en sorte que les 54 000 postes dévolus à l’enseignement scolaire (sur les 60 000) restent ultra-majoritairement des postes de stagiaires. Après tout, le chef de l’Etat n’avait pas promis 60 000 postes pérennes… même si les acteurs de l’école, eux, l’avaient rêvé.