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La portée hautement symbolique du choix de Jean Tirole - Blog de Gabriel Colletis, Mediapart, 13 octobre 2014

mardi 14 octobre 2014, par Hélène

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L’équivalent du Prix Nobel d’Economie vient d’être décerné à Jean Tirole. Comme professeur d’économie dans l’Université où Jean Tirole exerce ses fonctions, je ne peux que me réjouir de cette distinction. Ancien élève de l’Ecole polytechnique, ancien Président de la société d’économétrie, Jean Tirole se situe dans la veine des économistes mathématiciens français comme Augustin Cournot, Florin Aftalion, Gérard Debreu ou Maurice Allais.

D’abord ingénieur, Jean Tirole conçoit la « science économique » comme une discipline où le rôle des mathématiques et de la quantification est central. Inscrit dans le courant actuel dominant de l’économie (le mainstream), Jean Tirole a largement participé à la renommée de la « Toulouse School of Economics » où les disciplines essentielles enseignées sont la microéconomie, la macroéconomie et l’économétrie.

Nous sommes donc loin de l’autre tradition française, d’Economie Politique qui, plutôt que de chercher à quantifier et modéliser, s’est ouverte aux autres sciences sociales comme les sciences politiques, la sociologie, l’histoire ou la philosophie. Pour autant, Jean Tirole ne dédaigne pas de s’ouvrir aux autres disciplines des sciences sociales, la psychologie en particulier. Dans un entretien accordé à la revue « La Recherche » (n°414, décembre 2007), il déclare que « que les choix des acteurs ne sont pas entièrement rationnels, qu’ils peuvent par exemple agir contre leur propre intérêt. Mais nous savons de mieux en mieux modéliser ces phénomènes grâce au dialogue, entamée il y a une vingtaine d’années, entre économie et psychologie ». S’intéressant de près aux choix effectués par les personnes en situation d’arbitrage, dans le même article, Jean Tirole fait appel cette fois aux neurosciences. Il indique qu’il « attend beaucoup des neurosciences, en particulier de l’imagerie cérébrale qui permet de voir les régions du cerveau activées lorsque l’on fait un choix ». L’objectif de Jean Tirole est donc bien « d’affiner » les modèles qu’il mobilise pour rendre compte des choix effectués.

Prenant le contre-pied de Keynes, Jean Tirole affirme que l’opposition entre micro et macroéconomie est « dépassée ». Selon lui, « un consensus s’est formé autour de l’idée que les phénomènes microéconomiques fondent les phénomènes macroéconomiques ». Et de considérer qu’ « une question globale, comme le taux d’épargne ou la politique de crédit publique, s’analyse à partir des comportements microéconomiques ». L’individualisme méthodologique des libéraux (ne considérer comme valides que les seules explications qui placent l’individu en leur centre) inspire largement cette conception.

Ayant travaillé sur de nombreux champs allant de la régulation des industries de réseau à la finance d’entreprise en passant par la taxe carbone, Jean Tirole s’est intéressé de près aux déficits publics et, surtout, aux moyens de les contrôler. Il a ainsi plaidé à maintes reprises en faveur de la mise en place d’ « un organisme extérieur et indépendant » chargé de surveiller la zone euro (Le Monde, 19 avril 2011). Selon lui, « les décideurs non soumis à la sanction électorale (juges, présidents des autorités de régulation…) agissent avec plus de liberté sur (les) questions complexes. Ils peuvent, plus que les élus, prendre le risque de froisser une partie de la population ». Et l’économiste de s’interroger : « Combien d’électeurs ont-ils les compétences pour appréhender les enjeux de la boucle locale ou l’impact d’un changement de tarification de l’électricité ? » (Le Monde, 20 janvier 2007).

Que l’on suive les propositions de Jean Tirole ou non, force est de constater qu’elles ont le mérite de la cohérence. Jean Tirole est un authentique producteur de doctrines. C’est ce rôle qui est aujourd’hui salué par la Banque de Suède.