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Assez ! - Yann Bisiou, blog "Le Sup en maintenance", 14 juin 2014

dimanche 15 juin 2014, par Elisabeth Báthory

Terra Nova, le think-tank social-libéral proche du parti socialiste vient de sortir une nouvelle note sur l’enseignement supérieur, note servilement relayée, comme à l’habitude, par Mme Brafmann sur son blog du journal Le Monde. Mme Brafmann qui participait encore au mois d’octobre dernier à une conférence avec Yves Lichtenberger, l’un des auteurs de la note de Terra Nova.

A lire sur le blog de Yann Bisiou.

On retrouve dans ce texte tous les poncifs de Terra Nova, le prêt-à-penser pseudo scientifique mâtiné de technocratisme, les formules toutes faites, le nombrilisme et l’entre-soi d’un petit groupe de copains qui signent leurs articles scientifiques ensemble et décident ensemble que ce qui est bon pour eux est nécessairement bon pour les autres, et surtout son passéisme.

Pourtant la note contiendrait des idées « originales » si l’on en croit Mme Brafmann ! La ficelle journalistique est un peu grosse. C’est un peu comme pour les raviolis en boite, il faut écrire en gros dessus « NOUVELLE RECETTE » pour espérer attirer le gogo. Je ne pousserai pas l’espièglerie jusqu’à rappeler à Mme Brafmann qu’en 2011 le Monde titrait déjà « Terra Nova brise plusieurs Tabous » lorsque le Think Tank proposait d’augmenter les droits d’inscription. C’était il y a 3 ans et il n’y a vraiment rien d’original dans les 9 propositions actuelles et pas d’idées nouvelles chez Terra Nova. Toujours les mêmes poncifs ressassés en boucle depuis des années, les mêmes recettes et les mêmes affirmations péremptoires jamais argumentées.

« Réguler davantage par l’évaluation » (proposition 5) ? Mme Paradeise, une des co-signataires de la note, explique depuis des années tout le bien qu’elle pense de l’AERES, pour laquelle elle travaillait, et encore récemment dans le n°481 de La Recherche (nov. 2013, p.70).

« Accepter l’expérimentation de nouvelles formes de gouvernance… » (proposition 6) ? Mais cela fait des années aussi que la même Mme Paradeise et son compère Yves Litchenberger fantasment sur les « Board of trustees » et le soi-disant « modèle américain » dont ils oublient de signaler qu’il conduit à un endettement critique des étudiants américains.

Augmenter les droits d’inscription, pardon, « Innover aussi pour le financement » (proposition 9) ? Là aussi cela fait des années que Terra Nova considère cette augmentation comme « inéluctable » pour permettre le financement des universités. Mon université compte 48% de boursiers pour lesquels l’État ne lui donne quasiment rien. Augmenter les droits d’inscription c’est augmenter le manque à gagner des universités, pas leur financement.

Et toutes les propositions sont de cet acabit. Il y a la fierté de M. Korolistski pour le LMD et le processus de Bologne dans lequel il s’est investi quand il travaillait avec Claude Allègre, il y a l’obsession de l’utilitarisme de l’éducation au profit des entreprises de Daniel Bloch, l’inventeur du Bac pro et d’une grande partie des problèmes de la première année de licence… et l’on pourrait continuer longtemps cet inventaire.

Terra Nova radote et vit dans l’illusion du passé idéalisé - on ne sait pourquoi d’ailleurs – du gouvernement de Lionel Jospin et de Claude Allègre. Lionel Jospin et Claude Allègre dont le principal fait d’arme aura tout de même été de se couper des électeurs de gauche avant de les forcer à voter pour Jacques Chirac afin de faire échec au Front National !

Difficile de trouver une proposition de Terra Nova qui ait fait progresser la politique de gauche en France. Depuis sa création en 2008, le think-tank aura réussi l’exploit de se tromper dans presque toutes ses propositions et ses auteurs auront, au gré de leurs différentes sinécures, fait montre d’un zèle proprement incroyable à promouvoir des échecs. Fan de la RGPP, de la LOLF, du LMD, du processus de Bologne et autres barbarismes technocratiques qui ont conduit l’État à gérer par « indicateurs de performance » au lieu de construire un projet de société humaniste et sociale, Terra Nova porte une responsabilité certaine dans la vacuité de la pensée socialiste actuelle.

Pourtant on ne trouvera pas de mea culpa chez Terra Nova ! Terra Nova ne se trompe jamais ! Maitrisant à la perfection la novlangue, les auteurs de Terra Nova réutilisent en boucle la recette des communicants du gouvernement Ayrault : « ce n’est pas la réforme qui est mauvaise, c’est qu’elle est mal expliquée ; il faut maintenir la mesure et la réexpliquer » !

Chez Terra Nova cela donne « ce n’est pas la réforme qui est mauvaise, il faut que les acteurs se l’approprient ». Ainsi, une réforme, une proposition de Terra Nova n’est jamais mauvaise, elle n’est jamais un échec, elle doit toujours réussir et il suffit pour cela que « les acteurs se l’approprient ». Et si la réforme échoue et bien ce n’est pas la faute de Terra Nova, ce n’est pas la faute du parti socialiste, c’est la faute des « acteurs » qui ne se sont pas assez appropriés la réforme !

Les propositions de Terra Nova fonctionnent comme un système autopoïétique pour reprendre la notion développée par Maturana et Varela et que Gunther Teubner, avec qui Mme Paradeise a cosigné un article, a développé dans le domaine juridique. L’autopoeïse est un néologisme grec qui désigne un système circulaire qui trouve en lui-même sa propre légitimité. Dans ce système, une loi n’a pas besoin d’être efficace pour être légitime, il suffit qu’elle existe. La loi tire de sa simple existence sa propre nécessité. Et si la loi est inefficace ce n’est pas que le projet est mauvais, c’est qu’il faut encore plus de cette loi.

Cette formule idiote, Terra Nova nous la sert depuis des années à toutes les sauces. En 2009 Terra Nova expliquait ainsi à propos de la réforme de l’État : « Il faut, comme pour la LOLF, que les agents publics, et leurs représentants syndicaux, s’approprient la réforme de l’Etat ». En 2011, M. Korolistki déclarait : « Les établissements n’utilisent pas encore à plein les potentialités du LMD ». Cette fois l’expression retenue est qu’il faut « retrouver l’esprit du LMD » (proposition 2).

Oser écrire sans plaisanter ni s’excuser « Neuf idées pour redonner confiance aux universités et aux universitaires » quand on a soutenu avec fierté le processus de Bologne et la masterisation comme M. Korolitski, le modèle universitaire américain comme Mme Paradeise ou M. Lichtenberger, la création des Bac pro comme M. Bloch c’est indécent. Indécent et insultant pour les universités, pour tous les universitaires et les étudiants qui subissent depuis bientôt 15 ans les conséquences des géniales certitudes des experts de Terra Nova.

Alors Mme Paradeise, MM. Lichtenberger, Bloch, Korolitski ayez pitié pour la Gauche où ce qu’il en reste depuis votre passage. Prenez votre retraite, l’éducation nationale, la recherche et l’enseignement supérieur l’ont bien mérité.