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La recherche et l’enseignement supérieur : une "industrie" de "main d’œuvre "

jeudi 24 avril 2014, par Hélène

Les universités étaient déjà appelées à devenir des centres de coûts et de profits par l’alors ministre, Le Monde voit leurs personnels comme une industrie de main-d’œuvre…

Geneviève Fioraso « désespère Billancourt »

Maryline Baumard - Le Monde - 23.04.2014 -
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Elle n’a mis personne dans la rue. Le président François Hollande l’en a félicitée. Geneviève Fioraso a certes été rétrogradée du rang de ministre à celui de secrétaire d’Etat à l’enseignement supérieur et à la recherche, mais elle reste au gouvernement. Bravo, Mme Fioraso ? Quelque 10 000 universitaires crient plutôt haro sur ce maintien en fonctions et demandent dans une pétition qu’elle reparte vers ses chères études.

Que se passe-t-il donc ? Pour le Groupe Jean-Pierre Vernant, une des coordinations de mécontents de la politique de Mme Fioraso, « les enseignants-chercheurs sont au bord du désespoir. Ils ont beaucoup attendu de l’arrivée de la gauche au pouvoir en 2012, mais s’estiment aujourd’hui à peine mieux traités que sous la droite ». «  En 2012, la communauté a espéré ; les Assises de l’enseignement supérieur organisées dans la foulée ont créé une attente. Puis tout s’est refermé, s’est verrouillé », regrette de son côté Laurent Bouvet, professeur à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et chercheur au centre de recherche Versailles Saint-Quentin institutions publiques. Il est un des rares à exprimer son mécontentement à visage découvert.

Quelque 11 % des 91 000 universitaires ont signé en quelques jours. C’est massif et dangereux du point de vue politique comme du point de vue économique. Dans une industrie de main-d’œuvre comme le sont l’enseignement et la recherche, il est essentiel que le climat soit bon et que la confiance règne.

Le fait que Mme Fioraso ait « désespéré Billancourt », pour reprendre l’expression, est bien plus contre-productif, quoi qu’en pense le chef de l’Etat, que quelques manifestations de rue… Dans une économie de la connaissance, tirée par les labos et les amphis, il est contre-productif de gâcher le capital humain, ces enseignants-chercheurs qui créent la richesse actuelle du pays et construisent la France de demain.

Après la contestation de la loi d’autonomie des universités en 2009, on peut se demander si la secrétaire d’Etat qui contentera les enseignants-chercheurs est née… Et pourtant, parmi les contestataires 2014, certains ont réfléchi à ce que pourrait être une « véritable » politique de gauche de l’enseignement supérieur, à l’heure où l’argent public est rare et où la mondialisation de l’intelligence a ouvert les campus à la loi de la concurrence.

Le Groupe Jean-Pierre Vernant, essentiellement ancré en Ile-de-France, est né contre le regroupement des universités en région parisienne, estimant que le découpage étouffe les bonnes pratiques de coopération entre établissements. Le groupe s’insurge contre la création de l’étage supplémentaire qui vient contrôler les regroupements et va ôter aux universitaires le pouvoir de décider.

En cela, les « Vernant » rejoignent l’analyse de Patrick Hetzel, aujourd’hui député UMP et hier collaborateur de Valérie Pécresse, ex-ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche entre 2007 et 2011, qui qualifie cette mesure de « grave dérive liberticide »…

COUARDISE DES DÉCIDEURS

Outre ce sujet qui a été à l’origine de la création de leur regroupement, ces derniers estiment que la ministre se trompe de combat et manque de courage politique. « N’allez pas dire qu’on veut seulement plus de moyens. Ce serait faux. Il y a à nos yeux une multitude de mesures à prendre qui ne coûtent rien. Pourquoi ne contraint-on pas les entreprises bénéficiant du crédit d’impôt recherche à embaucher des doctorants par exemple… ? », se demande le groupe.

Selon Laurent Bouvet, « on peut reprocher à l’équipe au pouvoir de ne pas oser choisir entre deux modèles. Elle est restée sur le principe d’autonomie des établissements enclenché en 2007 mais bloque l’expression pleine de cette autonomie en laissant un contrôle bureaucratique sur toutes les décisions prises », regrette le chercheur. « On nous dit de participer à la course mondiale à l’excellence, mais on nous lie les mains… Si j’ajoute qu’ailleurs dans le monde les universités sélectionnent leurs étudiants, on comprend qu’on a non seulement les mains, mais aussi les pieds liés… »

Pour Laurent Bouvet, l’université française mourra de la couardise des décideurs à choisir clairement un modèle et à aller au bout de la logique qu’il sous-tend. « Une politique de gauche se doit de défendre les universités publiques et d’aller honnêtement et explicitement au bout des implications. Il faut arrêter avec le non-dit ! » Utopiste, M. Bouvet ? Pas vraiment…

« Je vous parlerais bien de mon modèle qui est l’écosystème créé sur la Côte ouest des Etats-Unis au XXe siècle. Mais comme on ne créera rien ex nihilo, aussi j’estime qu’il faut aujourd’hui aller au bout de cette autonomie en rendant les universités capables d’aller chercher leurs ressources et en les laissant ensuite les gérer comme elles l’entendent. Pour les enseignants, je préconise un accès progressif au métier, un peu sur le principe de la tenure aux Etats-Unis. Ce changement allant de pair avec une rémunération plus digne », pose le chercheur en sciences politiques.

L’avis n’est pas partagé par tous les anti-Fioraso, bien sûr, et n’a de toute façon aucune chance de se réaliser.

Reconduite pour avoir laissé les enseignants dans les amphis, on imagine mal comment Mme Fioraso oserait aujourd’hui se saisir des dossiers qu’elle n’a pas ouverts les deux premières années. De quoi désespérer un peu plus l’Université française… Mais laisser de marbre des élites politiques qui n’ont de toute façon jamais mis un orteil à l’université.