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L’avenir de l’Université française se trouve outre-manche ? Vraiment ? - 14 décembre 2013

samedi 14 décembre 2013, par Mariannick

« Nos étudiants croient qu’ils sont des clients » : Triste grève sur un campus anglais visant l’excellence (Pauline Angolin, Terrains de luttes, 12 décembre 2013)

5 étudiants de Sussex University suspendus pour avoir protesté contre la privatisation de certains services. (Lucy Sherriff Become, Huffingtonpost, 6 décembre 2013)

Sussex University Suspends Students For Protesting Against Privatisation.

Lucy Sherriff Become, Huffingtonpost, 6 décembre 2013

Five students at Sussex University have been suspended following "peaceful" protests over the privatisation of campus services, prompting demonstrations to have them reinstated.

The students, who have been dubbed "The Sussex Five", were suspended and excluded by the vice-chancellor from campus on Wednesday evening following what the university calls "repeated serious disruption of campus".

The students are accused of organising or leading occupations "which have been characterised by intimidating behaviour, theft, damage and violence".

But the move has been condemned by many, including Sussex Students’ Union (SSU) who told The Huffington Post UK : "The Students’ Union condemns the suspension and exclusion of all students involved, and believes that improper processes have been followed, and unjust reasons have been given for the Vice-Chancellor’s actions.

"We firmly believe in the right of students to peacefully protest against practices they deem unfair, and we condemn the intimidation of students undertaking peaceful protest action by University management."

The students, who were protesting as part of the Sussex Against Privatisation campaign, have already gained widespread solidarity, including from MPs.

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« Nos étudiants croient qu’ils sont des clients » : Triste grève sur un campus anglais visant l’excellence

Pauline Angolin, Terrains de luttes, 12 décembre 2013

En seulement quelques années, les campus anglais ont été profondément changés par l’introduction d’un système autonome de financement. La mise en place d’indicateurs et de systèmes de classement ont achevé de placer les établissements en concurrence sur un marché national voire international de l’enseignement supérieur. Ce système ne fait pas que produire une sélection sociale pour les étudiants. Il change aussi fondamentalement le sens de la relation pédagogique ainsi que les relations professionnelles au sein des établissements.

« Nous figurons dans le top ten de tous les classements universitaires nationaux » proclame fièrement les écrans publicitaires de l’entrée principale. Cela n’empêche visiblement pas le personnel de manifester ce matin du 3 décembre sur le campus anglais de Bath University. Une manifestation certes policée par les lois anti-grève de Thatcher. Ici les modalités d’occupation sont négociées avec le doyen, même si les banderoles restent visibles. « On occupe chaque entrée du campus mais on n’a pas le droit d’être plus de 5 à chaque entrée. Et on est suivi par le staff de sécurité de la fac avec ses oreillettes » sourit Phil, un des rares professeurs à se joindre au piquet. La manifestation contraste avec l’ambiance habituelle des lieux. Les frais d’inscription s’élèvent désormais pour les étudiants entre 2300£ et 14 000£ par an, tandis que l’université a triplé sa surface occupée en quelques années. « L’université a augmenté les frais d’inscription mais elle a aussi touché des fonds de la banque d’investissement européenne et d’entreprises. Elle a investi 100 millions d’euros dans les nouveaux buildings ces cinq dernières années » précise Alicia, enseignante en sciences dures.

Bibliothèque ouverte toute la nuit, supermarchés, restaurants, crèches, l’université de cette petite ville anglaise a désormais tous les attributs d’un grand campus américain. Il a même été construit un centre d’entraînement olympique accessible aux étudiants. Des sportifs de l’équipe olympique britannique de natation s’y sont entraînés avant de remporter plusieurs médailles. « Le campus a poussé comme une ville champignon sur la colline, ce qui est bon pour nous » confie un commerçant de la ville. Mais alors pourquoi cette grève si l’argent coule ainsi à flot ?

« C’est l’une des universités d’Angleterre où les inégalités sont les plus fortes »

La grève de ce matin concerne les salaires. Elle a été lancée à l’appel de trois syndicats représentants les trois principaux types de personnel de l’université. A côté de la division classique entre syndicats pour chercheurs et syndicats pour personnels administratifs, s’est également joint au mouvement le syndicat des personnels en charge du nettoyage, des travaux de services ou de manutention qui sont désormais organisés séparément. Leur nombre a sensiblement augmenté depuis que l’université a ouvert les portes à des franchises privées comme Starbucks coffee ou Tiki, autant d’enseignes qui ne fournissent que le matériel, l’université mettant à disposition une partie de son personnel. Pour ce type de personnels, le salaire moyen mensuel pour un contrat à temps complet (ce qui est rare) est de 1300 euros brut.

Victor, permanent syndical venu en renfort ce matin sur le campus, résume la situation « les choses ont changé très vite ici et c’est devenu une des universités les plus inégalitaires d’Angleterre pour les salaires ». Le secteur de l’enseignement supérieur anglais a dégagé ces deux dernières années plus de 2 milliards de bénéfices. Mais l’argent reste injecté dans des postes bien précis : recrutement de managers, de communicants, de professeurs connus ou susceptibles d’être de bons fundrisers (leveur de fonds). Chaque année, les contrats sont renégociés. Le vice-chancellor de l’université (équivalent du président d’université français) touche à Bath un salaire brut annuel de 471 000 euros soit près de 40 000 euros par mois. Un professeur ayant négocié convenablement son salaire touche environ 10 000 euros brut par mois. « Le président gagne plus de 10 fois ce que je gagne et il me refuse une augmentation de 2% ! » tonne Patricia, employée administrative. Ces inégalités sont perceptibles au quotidien dans les départements et créent le sentiment d’un univers professionnel fortement hiérarchisé. « Ici les doctorants trainent avec les doctorants, les post-doc avec les post-doc, les lecturers avec les lecturers et les professeurs avec les professeurs » regrettent Michal, un post-doctorant venant d’un pays de l’est qui espère être reconduit en juin.

Environ un tiers du staff de recherche (300 personnes) est embauché sur la base d’un contrat annuel. La course au projet commence dès le mois de décembre pour le mois de juin. Le turnover dans les équipes est dès lors important. Il s’agit de se rendre « indispensable » en décrochant un appel d’offres sur lequel on sera le plus qualifié, l’université n’ayant alors pas d’autres choix que de vous recruter. Avec de telles inégalités, les personnels administratifs sont sans surprise sur-représentés dans les piquets de grève et beaucoup de professeurs ont préféré ne pas venir aujourd’hui. De toute façon les grévistes n’ont un mandat que pour une journée de grève. «  Depuis Thatcher on n’a plus le droit de faire des grèves sauvages et en plus on n’a pas le droit d’arrêter les voitures » regrette Alicia qui a bien conscience du faible nombre de gens rassemblés. La plupart des étudiants sourient en voyant les piquets et le syndicat étudiant local est assez hostile à la manifestation : « on les a rencontrés hier soir pour leur expliquer mais c’est très dur de se faire comprendre car ils pensent qu’ils sont des clients ! »
Des étudiants clients ou patrons ?

L’an passé la direction de l’Université a mis en place un dispositif qui oblige les enseignants à corriger sous 15 jours toutes les épreuves. Phil s’étonne : « Les syndicats étudiants ont signé un texte qui place « l’étudiant » au centre des préoccupations. Tu te rends comptes ? L’étudiant pas « les étudiants ». Un syndicat qui annule les étudiants en tant que groupe et qui pense défendre des clients sur une base individualisée. L’autre jour un étudiant m’a dit « hey j’ai payé pour mon diplôme donc j’ai droit à ce service ». Je lui ai répondu « Non ce n’est pas la bonne métaphore. Tu es dans la position de quelqu’un qui paye pour passer son permis de conduire et je suis celui qui t’apprend et te dit si tu es ou non désormais capable de conduire sur les routes, si tu as un niveau convenable ».

Difficile d’instaurer un minimum de relation pédagogique quand le droit d’entrée premier sur le campus est devenu l’argent. La plupart des tests sont réduits à des questions de base pour pouvoir accélérer les corrections. Mais surtout, le contenu des enseignements en lui-même est devenu très secondaire dans la formation car il n’est qu’une petite part du « service rendu ». Le service de placement de l’université est lui à l’inverse débordé. Censé gérer les « carrières » des étudiants, il multiplie les initiatives.

Helen, assistant professor, résume bien la situation : « Tu sais on a un système de classement national avec toujours les mêmes trois ou quatre en premier Oxford, Cambridge, King’s college… Et puis tu as cette longue liste d’universités de taille moyenne mais aux budgets en augmentation qui voudraient exister. Mais les trois premières sont tout simplement sur un autre circuit. Elles ont le nom, une renommée internationale et surtout un service de placement des nouveaux étudiants qui fonctionnent sur la base des réseaux d’anciens étudiants ou qui ont les moyens de les placer dans les plus grosses boîtes. Ce que vend une université de taille moyenne maintenant c’est la capacité de placement en essayant d’imiter ces grosses universités mais le contenu des enseignements est finalement très secondaire ». C’est en ce sens que les panneaux placés partout sur le campus sont censés fonctionner comme une méthode Coué : « Nous sommes classés 1er pour la satisfaction des étudiants », en clair «  certes vous n’êtes pas à Oxford mais on y est presque ».

L’université, une entreprise qui se positionne sur le marché de l’éducation ?

Ce type de fonctionnement change complètement le sens de ce qu’est l’enseignement et l’utilité sociale d’une université. S’il s’agit de « bien placer ses étudiants », alors en bonne logique, l’université se facilite le travail en acceptant des étudiants originaires des milieux les plus aisés. Les frais d’inscription sont ainsi six fois plus élevés pour les étudiants non ressortissant de l’UE que pour les étudiants de l’UE. Ce barème différencié permet de s’assurer que les étudiants étrangers non européens venant à Bath appartiennent à une bourgeoisie internationalisée à même de s’insérer rapidement sur des marchés du travail anglophones. Un tel travail de positionnement suppose aussi de travailler sa réputation et de se spécialiser, le plus souvent sur un seul domaine : « à Bath l’argent est plutôt mis sur les sciences dures et plutôt sur la santé ou les ingénieurs » décrit Patricia. La plupart des projets conduits en sciences sociales ont ainsi cherché à s’allier avec les sciences dures pour pouvoir obtenir des conditions matérielles décentes. Ce qui fait qu’aujourd’hui une part importante des sociologues sont par exemple payés sur des fonds du département de Santé qui lui-même travaille largement avec les compagnies d’assurances pour financer ses doctorants. Telle la tique embarquée sur le dos d’un gros chien, la pensée critique survit en se ménageant un périmètre autorisé d’intervention au sein de projets où dominent les médecins. D’autres universités britanniques ont fait le choix de laisser une place importante aux sciences sociales (comme le Goldsmiths College) mais ce n’est pas le cas ici. Le business model retenu dans la division internationale du marché académique place cette université autrefois moyenne en position d’obtenir une visibilité sur certaines spécialités de santé et de sciences de l’ingénieur. Pour la direction de l’université, c’est sans nul doute ces créneaux qu’il s’agit d’occuper. Le reste : les étudiants (mobiles et dépolitisés), le staff administratif et le corps enseignant suivra et s’ajustera en fonction.

En France, certains enseignants-chercheurs ne s’opposent pas à l’augmentation des frais d’inscription pensant qu’en revenant sur la relative massification de l’enseignement supérieur, ils obtiendront une meilleure qualité d’échange pédagogique. Mais penser qu’une université d’élite restaure l’enseignant dans sa position d’intellectuel, c’est oublier que ce type de changements ne s’opère pas « toutes choses égales par ailleurs ». Certes, une université de ce type a un peu moins d’étudiants mais ces derniers ne viennent pas à l’université dans les mêmes dispositions. En bons clients, ils attendront un retour sur investissement immédiat : un diplôme rapidement obtenu et un bon réseau pour trouver un job. Il n’est pas sûr que la pensée profonde ou l’intelligence entrent mieux dans ce cadre que dans celui de l’université française actuelle.