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Université (1/3) : pourquoi ça n’intéresse personne - Lucie Delaporte, Joseph Confavreux, Mediapart, 18 juin 2013

mardi 18 juin 2013, par Mariannick

Quelques députés qui s’empoignent sur la question des cours en anglais au milieu d’un hémicycle dépeuplé… Voilà à peu près tout ce qui risque de rester de la loi sur l’Université et la recherche portée par Geneviève Fioraso débattue, ce mardi 18 juin, au Sénat. Certes la question de l’anglais n’est pas tout à fait anodine, mais elle a surtout le mérite d’être simple et de réveiller de vieilles passions. Ce n’est qu’une bouée de sauvetage médiatique dans un texte qui manque de souffle.

La technicité des débats, et le jargon qui rend les enjeux du texte bien difficiles à cerner, ont en tout cas visiblement découragé les parlementaires. À l’Assemblée nationale, en commission des affaires culturelles, une bonne partie du texte a été examinée par seulement sept députés.

En séance, les rares élus qui ont animé les échanges étaient presque tous issus du sérail. Jean-Yves Le Déaut, pour le PS, est retraité de l’enseignement supérieur ; Isabelle Attard, pour EELV, est chercheuse quand, du côté de l’UMP, Patrick Hetzel est prof d’université et Daniel Fasquelle doyen honoraire de la faculté de droit de l’Université du Littoral Côte d’Opale. L’université n’intéresse-t-elle qu’elle-même ?

Les assises du supérieur, qui se sont tenues de l’été à la fin décembre 2012, avaient laissé la même impression : celle d’un dialogue en vase clos entre intervenants triés sur le volet. « Il y a dans le débat public et politique une incapacité profonde à traiter des questions universitaires, en dépit de toute la documentation qui est produite », juge un jeune maître de conférences affligé.

La barrière de la technicité est réelle dans un paysage universitaire qui s’est complexifié à l’extrême ces dernières années… « Il y a des articles que nous-mêmes n’arrivons même pas à comprendre, ou qu’on peut interpréter de manière totalement contradictoire », reconnaissait une députée en plein examen du projet de loi. La double négation dans tel article ouvre peut-être la porte à la privatisation du système ? À moins que ce ne soit l’inverse, s’interrogeait-elle, dubitative. «  Le volet recherche n’était pas accessible à qui n’avait pas une connaissance quasi intime des dossiers », admet Patrick Hetzel.

Mais, pour autant, cette barrière n’explique pas tout. Pour l’historien Pascal Arnaud, aujourd’hui à la tête du département Sciences humaines et sociales de l’Agence nationale de la recherche, « il ne faut pas oublier que l’université vient en complément, en marge du système dont le véritable cœur sont les grandes écoles et les classes préparatoires ». Dans cette « périphérie » évoluent pourtant près de 1,4 million d’étudiants ! La France, contrairement à l’Allemagne ou aux États-Unis, n’est en effet pas un pays d’université et a choisi de former ses élites en dehors de la faculté.

« Nous servons aussi à masquer le chômage des jeunes »

Avec la massification de l’enseignement supérieur (le nombre d’étudiants a été multiplié par huit depuis les années soixante), l’université s’est retrouvée à devoir assumer la lourde tâche d’accueillir les nouveaux bataillons de bacheliers d’un examen qui devenait accessible à 80 % d’une classe d’âge. Ce défi démocratique majeur l’a assignée, faute de moyens à la hauteur de l’enjeu, à jouer les voitures-balais de l’enseignement supérieur.

Car, au moment même où on lui en demandait toujours plus, l’université s’est paupérisée. Un récent rapport du cabinet d’audit et d’expertise comptable KPMG révèle que « le coût moyen d’un étudiant en France est de 8 000 euros par an en université, contre 21 000 euros dans les écoles et instituts ». Cette différence est essentiellement imputable au taux d’encadrement moyen trois fois supérieur dans les écoles.

En classe préparatoire, le coût d’un étudiant est près de deux fois plus important que celui d’un étudiant de fac. «  Nous savons bien que nous servons aussi à masquer le chômage des jeunes », regrette Jean-Louis Charlet, président de la fédération des syndicats autonomes de l’enseignement supérieur et de la recherche, en évoquant le taux d’échec massif dans les premiers cycles universitaires. Au lieu de rappeler que, pour l’université, le défi de la démocratisation était mission impossible dans ce contexte de sous-financement chronique, « les politiques ont réussi à faire passer l’idée que l’université produisait des chômeurs ».

Des écoles de toutes sortes, certaines médiocres et chères, ont ainsi fleuri un peu partout pour répondre à ce besoin de chercher son salut hors de l’université massifiée. Vincent Bourdeau, directeur du département de philosophie de la faculté de Besançon, raconte comment il a arrêté de corriger le concours, pourtant prestigieux, de l’entrée à l’ENS, qui autorise désormais l’accès à d’autres types d’écoles. «  Nous étions 40 correcteurs, presque tous maîtres de conférences à l’Université, pour 4 000 copies, au sujet desquelles on nous disait : si vous notez entre 14 et 20, l’étudiant ira à l’oral. Entre 12 et 14, il ira dans les IEP. Entre 10 et 12, il ira dans les écoles de commerce. Entre 8 et 10, il ira dans des écoles de moindre importance. En dessous de 8, il ira à la fac. On considère aujourd’hui que la moindre école vaut mieux que l’université. »

Dans le monde politique ou médiatique, quasiment personne n’a été à l’université et presque personne n’y envoie ses enfants. « Lorsque j’étais conseiller à Matignon, j’ai été frappé par l’inculture d’un certain nombre de fonctionnaires sur l’université et la recherche. Il y a beaucoup de préjugés et, c’est vrai, un certain tropisme pour les écoles », confirme Patrick Hetzel.

Alors que la moindre élection au bureau des élèves de Sciences-Po justifie un entrefilet dans la presse ou que la procédure de nomination du président de Polytechnique mobilise les cabinets ministériels, «  il existe une indifférence de la société à ce qui se passe à l’Université », juge Laurence Giavarini, maître de conférences en littérature à l’Université de Bourgogne et membre de Sauvons l’Université. « En même temps, l’image dominante est que personne n’y travaille vraiment. Je peux pourtant vous assurer que lorsque des élèves de prépa arrivent dans mon cours ou ceux de mes collègues après une, voire deux années de classe préparatoire, ils sont très étonnés de la difficulté de ce qu’ils ont à faire et de la charge de travail qui leur est demandée. »

Christine Musselin, qui a récemment été nommée directrice scientifique de Sciences-Po et s’occupe d’un programme de recherche comparatif sur les systèmes d’enseignement supérieur, tranche le sujet : « Le fait que les élites ne s’intéressent pas à l’université française et considèrent que le désordre y règne en maître constitue la preuve qu’ils n’y ont jamais été. »

La gauche s’est accommodée d’un système à deux vitesses

Sur le front politique, l’université ne constitue d’ailleurs pas, ou plus, un territoire d’affrontement entre la gauche et la droite : ce qui contribue à rendre invisibles ou incompréhensibles les enjeux qui la traversent. Pour Jérôme Aust, chercheur en science politique et spécialiste des politiques d’enseignement supérieur et de recherche : « Il n’est pas évident de tracer des lignes de clivages très nettes entre le PS et l’UMP sur ces sujets-là. On l’a bien vu avec la loi Fioraso, qui introduit des changements par rapport à la loi Pécresse, mais sans rupture radicale. »

Même analyse du côté de Christine Musselin : «  Depuis les années 1990, je suis frappée par la convergence de vue entre la gauche et la droite sur les sujets universitaires. Peut-être est-ce parce qu’on ne touche pas encore à la question de la sélection ou aux droits d’inscription, mais il n’y a pas eu d’inflexion majeure sur les orientations majeures avec l’arrivée de la gauche au pouvoir. »

La gauche s’est donc accommodée d’un système à deux vitesses, avec l’Université d’un côté et les écoles et les classes préparatoires de l’autre. Il y a trois ans, un député européen socialiste fixait pourtant les enjeux de ce qui pourrait être «  la vraie réforme, la grande réforme  » de l’université. « Je pense qu’il y a une préférence française, derrière les discours hypocritement républicains, pour les inégalités. Nous sommes le seul pays des démocraties occidentales où ce sont les enfants des classes défavorisées qui financent les études des classes favorisées (dans les grandes écoles). Nous appauvrissons l’université dans laquelle nous parquons des enfants à qui nous avons fait une promesse républicaine qui n’est pas tenue. Sur l’université, la vraie réforme, la grande réforme, c’est demain de pouvoir introduire l’excellence à l’université en supprimant ces deux filières ». Ainsi parlait Vincent Peillon, trois ans avant de devenir ministre de l’éducation nationale...
Vincent Peillon sur France Inter en 2010

Si Geneviève Fioraso évoquait, à son arrivée, un nécessaire rapprochement entre classes préparatoires et université, elle a rapidement reculé devant la levée de boucliers de ceux qui craignent par-dessus tout un nivellement par le bas. À voir les cris d’orfraie qui ont entouré l’adoption d’un amendement visant à créer des droits d’inscriptions en classe prépa, alignés sur la fac, on mesure combien ce système à double vitesse paraît impossible à faire évoluer…

Bien sûr, le lobbying des grandes écoles a pesé de tout son poids. Reste qu’au sein même de l’université, la question des quotas de places réservées aux bacs pro dans les IUT, aujourd’hui accaparés par les bac généraux, et qui constitue l’une des rares avancées du projet de loi Fioraso vers une plus grande démocratisation du système, a suscité une fronde des directeurs d’IUT, peu enthousiastes à l’idée d’accueillir ces élèves plus fragiles.

Alors que le mouvement anti-LRU avait fait émerger au sein des facs de vraies questions sur le rôle et le sens de l’université, près de quatre ans après, l’institution semble s’être renfermée sur elle-même. « En 2009, nous étions une des universités les plus mobilisées, reconnaît Vincent Bourdeau. Mais cela n’a pas donné de dynamique ensuite, et ce qui caractérise aujourd’hui la fac est davantage le repli individuel et la lassitude que la mobilisation collective. »

Faute d’assumer le saut démocratique et politique que constituerait le rapprochement de la formation des élites et de la formation universitaire, l’Université française ne cesse d’encaisser des tombereaux de réformes qui bouleversent son organisation et ses missions, mais ne s’attaquent pas vraiment aux raisons profondes de sa relégation. Ainsi, rappelle Jérôme Aust : « Il y a eu le Pacte pour la recherche en 2006, la loi LRU en 2007, l’Opération campus en 2008, le Programme des investissements d’avenir en 2010 et la loi Fioraso aujourd’hui. »

Ainsi, même si l’Université ne parvient pas à franchir la barrière du débat public et politique, elle suscite l’intérêt des politiques publiques menées par l’État, les collectivités locales, notamment les régions qui y investissent de plus en plus d’argent, mais aussi l’Europe. À l’heure où beaucoup se désintéressent de la fac, d’autres, en réalité, s’occupent de sa ré-orientation.

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