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Université, recherche : une « LRU 2 » qui déçoit. Mediapart le 20 mai 2013 par Lucie Delaporte

mercredi 29 mai 2013

Du projet de loi Fioraso, seul l’article 2, celui qui ouvre la possibilité aux universités de proposer des cursus en anglais, a jusqu’ici focalisé l’attention. Éclipsant au passage, à coups de tribunes et d’éditos rageurs, l’essentiel d’un texte qui fixe pourtant les priorités du quinquennat Hollande pour l’enseignement supérieur et la recherche.

Trois ans après les mouvements anti-LRU (loi sur l’autonomie des universités), qui ont mobilisé pendant de longs mois la communauté universitaire et les chercheurs, beaucoup espéraient qu’un changement de majorité apporterait, a minima, un changement de cap. Geneviève Fioraso, à son arrivée au ministère, avait dressé un bilan sans concession des politiques menées ces dernières années, avec des universités financièrement exsangues, des laboratoires étranglés par la bureaucratie et la mise en compétition généralisée sur fond de précarité grandissante. Elle assurait aussi vouloir « rétablir le dialogue » avec une communauté qui s’était sentie particulièrement méprisée sous le précédent quinquennat (lire ici l’entretien que la ministre nous accordait en septembre). Lancées à l’été, les assises du supérieur et de la recherche ont ainsi rassemblé 20 000 participants, pour aboutir à à la rédaction de plus d’une centaine de recommandations.

Pourtant, de grand changement de cap, dans le texte examiné à partir de mercredi à l’Assemblée nationale, il n’est pas question. « Ce n’est pas une loi de rupture », déclarait d’ailleurs ces jours-ci son rapporteur le député Vincent Feltesse. Dès l’exposé des motifs, le ton est donné : « Les mesures contenues dans le projet de loi visent toutes à rétablir ou à approfondir les conditions d’une autonomie réelle » des universités et à « remédier aux difficultés » posées par la loi recherche 2006 et la LRU. Un projet de loi que certains appellent déjà, manière de rappeler que le compte n’y est pas, la « LRU 2 » ou « la LRU 2.0 ».

Ce souci de la continuité affirmé, le projet de loi se fixe deux grandes priorités : la « réussite de tous les étudiants » et «  un nouvel élan à la recherche ».

Alors que seuls un tiers des étudiants obtiennent leur licence en trois ans, la moitié échouant la première année, la loi réaffirme l’objectif européen de 50 % de diplômés du supérieur. Les 1 000 emplois par an promis à l’université devront ainsi être spécifiquement « dédiés » à cet objectif.

Pour inverser une inquiétante tendance – l’an dernier pour la première fois le nombre de diplômés en licence était en recul –, une réforme globale du cycle licence avec une spécialisation progressive va être menée. L’offre de formation jugée « illisible » avec près de 8 000 intitulés de masters et licence, va être simplifiée et les étudiants pourront désormais suivre un processus d’orientation continue qui débutera dès le lycée.

Les bacheliers des bacs professionnels et technologiques, ceux qui échouent massivement à l’université, auront des places réservées dans les IUT et STS, aujourd’hui accaparés par les bacheliers généraux.

« Simplification globale des structures »

Pour améliorer la condition de vie étudiante, présentée comme un facteur déterminant de la réussite étudiante, la loi s’engage à créer 40 000 logements étudiants dans le quinquennat, mais aussi à mettre en place des centres de santé sur les campus, trop d’étudiants renonçant aux soins pour des raisons financières.

Concernant la recherche, la « simplification globale des structures et de leur modalité de financement et d’évaluation » est présentée comme une priorité. Avec la LRU, le paysage de la recherche s’était considérablement complexifié (l’apparition des PRES, Idex, Labex et autres Equipex…), au grand dam de chercheurs noyés dans une nouvelle bureaucratie de la course aux financements.

Une trentaine de fédérations d’universités et d’écoles publiques ou privées, les « communautés d’université », seront désormais chargées d’organiser ce paysage éclaté et remplaceront la douzaine de PRES (Pôle de recherche et d’enseignement supérieur). Ces « communautés d’université » devront passer avec l’État des « contrats de site » pluriannuels qui détermineront les budgets.

Conformément aux revendications formulées lors des assises, le poids de l’ANR (Agence nationale de la recherche), qui a consacré le financement par projet, donc le court terme, sera – très légèrement – diminué. La durée des contrats ANR pourra être allongée.

La très décriée AERES (Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur), rejetée depuis son lancement pour son manque de transparence et sa faible légitimité scientifique, disparaît au profit d’un Haut conseil de l’évaluation dont le texte assure qu’il répondra aux principes de déontologie et aux standards d’expertise internationale.

Par ailleurs, véritable marotte de la ministre qui a fait de sa participation au « redressement productif » la finalité de sa loi, la recherche se voit confier une nouvelle mission, celle de « développer le transfert des résultats et créer des emplois durables et à forte valeur ajoutée d’innovation ». L’ANR est spécifiquement dotée pour mettre en œuvre des partenariats avec des PME-PMI « à fort potentiel de croissance » et mettre en place des labos communs.

Le crédit impôt recherche (CIR), qui n’a pourtant pas encore fait preuve de son efficacité, au point que beaucoup le considèrent comme une simple niche fiscale pour les grands groupes, est maintenu.

Sur la précarité, l’un des dossiers les plus lourds du secteur, avec quelque 50 000 précaires recensés dans l’enseignement supérieur et la recherche, la loi table sur la création de 2 100 emplois de fonctionnaires chaque année, des postes proposés aux précaires déjà présents dans les laboratoires, a priori plutôt des postes de catégorie C. La fonction publique devra aussi veiller à mieux reconnaître le doctorat pour favoriser l’insertion professionnelle des docteurs, aujourd’hui plus que médiocre.

Enfin, concernant la gouvernance des universités, et particulièrement le pouvoir des présidents d’université, jugé exorbitant depuis la LRU, le texte prévoit une sorte de procédure d’« impeachment » – où la démission des deux tiers du conseil d’administration suffira à mettre fin au mandat du président d’université. Des personnalités extérieures nommées par le recteur participeront également à son élection.

Un texte jugé « inacceptable »

Ceux qui attendaient un sérieux changement de cap en seront donc pour leurs frais puisque les grands équilibres – et déséquilibres – de la LRU sont maintenus. Bon nombre des questions portées lors des assises restent, par ailleurs, sans réponse. À commencer par celle, fondamentale, du sous-financement de l’enseignement supérieur et de la recherche. Les 5 000 postes annoncés dans le quinquennat semblent bien peu de chose face à des universités dans le rouge, contraintes d’utiliser leur masse salariale comme une variable d’ajustement. « On ne résoudra pas non plus la précarité si on ne s’attaque pas à ses causes, c’est-à-dire par exemple à l’ANR », assure Marc Neveu, secrétaire général du Snesup.

Pas sûr non plus que le « millefeuille institutionnel », maintes fois dénoncé par la ministre, soit résolu. « Avec la mise en place de “communauté d’universités”, estime Frédéric Sawicki, membre du collectif Langevin, un groupe de chercheurs proches du PS mais en opposition frontale avec le projet de loi, «  on réintroduit une strate supplémentaire, mais les Idex, labex demeurent ». Les contours de ces nouvelles entités restent assez flous. « Comment seront distribués les moyens budgétaires ? Je rappelle que ces structures regrouperont des établissements consulaires, des établissements privés. Est-ce qu’on peut imaginer que des postes publics aillent au privé ? » s’inquiète par exemple la députée EELV Isabelle Attard, qui regrette aussi qu’aucun des membres des conseils d’administration de ces mégastructures ne soit élu au suffrage direct.

Dans un enseignement supérieur fonctionnant à deux vitesses, le rapprochement envisagé par la ministre entre grandes écoles et université s’est peu à peu vidé de sa substance, sous la pression des représentants des grandes écoles. « On aurait pu a minima rétablir les mêmes dotations », regrette Frédéric Sawicki.

La mesure emblématique consistant à réserver des quotas de places en IUT aux bacheliers professionnels et technologiques a été aussi singulièrement affaiblie dans la dernière version du projet de loi pour satisfaire cette fois les présidents d’IUT. Il n’est en tout cas plus question de quotas.

« Je suis aussi choqué par l’introduction dans la loi des notions de compétitivité et de transfert vers le monde économique, comme de nouvelles missions pour la recherche », poursuit Frédéric Sawicki. Quid des formations qui ne participeront pas directement au redressement productif ? «  Ces notions n’ont pourtant pas été portées par les assises », remarque Isabelle Attard. « Tout cela donne l’impression que l’essentiel était déjà bouclé en amont. »

De ce concert de critiques, seule l’Unef se démarque. L’organisation étudiante, très proche du PS, a ainsi salué un texte qui plaçait enfin au centre la réussite étudiante. Et ce, même si la mise en œuvre d’une allocation d’autonomie pour les étudiants, l’une des promesses de campagne du candidat Hollande, et une très ancienne revendication de l’Unef, est pour l’instant au point mort.

Pour protester contre un texte jugé «  inacceptable », une intersyndicale (FSU, CGT, SUD) et plusieurs organisations, comme Sauvons la recherche et Sauvons l’université, appellent à une journée de grève et de manifestation mercredi 22 mai. Mais la communauté universitaire – sans doute échaudée par les précédents échecs – paraît encore peu mobilisée. Le choix d’un examen au parlement en procédure accélérée laisse d’ailleurs penser que le gouvernement souhaite en finir au plus vite…