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Deux élus des universités alsaciennes censurés par les DNA. Mediapart, blog de Pascal Maillard, le 12 janvier 2012

jeudi 12 janvier 2012, par Alain

La tribune ci-dessous devait paraître ce 12 janvier dans les Dernières nouvelles d’Alsace. Des raisons certainement très politiques ont conduit le Directeur de la rédaction à revenir sur son accord. Que reste-t-il de la liberté d’opinion et d’expression dans la presse régionale ? Bien peu de choses, on le sait.

Les DNA, qui avaient pourtant accepté en mai dernier, et sur le même sujet, de publier une tribune des mêmes rédacteurs, ce journal qui s’efforçait jusqu’à maintenant de couvrir avec un minimum d’équilibre et d’honnêteté le dossier complexe de l’enseignement supérieur et de la recherche en Alsace, succomberait-il à l’appel des nouveaux chiens de garde de la politique gouvernementale ? La chose est à craindre. Et les lecteurs de ce journal auraient de bonnes raisons de s’en inquiéter.

Voici les faits. A 15h un journaliste me confirmait la publication. A 19h il me rappelait, très embêté, pour me dire son regret que cette tribune libre, bien que maquettée et mise en page, ne paraitrait pas. Le rédacteur en chef, Dominique Jung, avait manifestement changé d’avis. Pour quelles raisons ? Il n’y a dans ce texte, rédigé par deux administrateurs des universités alsaciennes, l’Université de Haute Alsace (UHA) et l’Université de Strasbourg (UdS), rien qui contrevienne à l’expression libre d’élus responsables et engagés au service de leurs établissements.

Serait-ce alors que l’opinion d’élus d’opposition sur des listes syndicales ne serait plus la bienvenue dans la presse régionale ? Y aurait-il un si grand risque politique à donner à lire une opinion qui va à contre-courant de la politique de fusion des universités ? Serait-il aujourd’hui interdit de rappeler que l’Etat ne tient pas ses engagements financiers ? Est-ce si dérangeant d’écrire que la petite UHA ne veut pas se voir imposer la « marque » « Université de Strasbourg » ? Ne serait-il plus possible d’exprimer cette conviction : « Ni l’université, ni le savoir ne sont des marchandises » ? Oui, il y avait en fait au moins une bonne raison pour que les Dna refusent cette tribune ! L’université et le savoir sont devenus des marchandises. Et nous sommes de plus en plus nombreux à ne pas l’accepter.

Pascal Maillard

PS : je publie cette tribune avec l’accord de Marie-Claire Vitoux, Maître de conférences en Histoire à l’UHA, élue au CA et secrétaire adjointe du Snesup-UHA. Le texte en pièce jointe a pris la forme d’un communiqué, à défaut d’avoir pu être une tribune libre.

Rattachement de l’UHA à l’UdS :

trois dangers à conjurer

Les deux universités alsaciennes ont acté en mai 2011 le principe d’un rattachement effectif à l’horizon 2013. En ce jour où un nouveau Conseil d’administration commun doit permettre à nos établissements de donner forme et matière à la convention de rattachement de l’UHA à l’UdS, nous estimons important de souligner trois dangers qu’il faudra conjurer dans les semaines et les mois qui viennent.

Tout d’abord le processus du rattachement administratif ne doit certainement pas devenir l’enjeu des élections de 2012, ni des élections dans nos universités, ni des élections nationales. La crise de gouvernance que traverse l’UHA aussi bien que les problèmes de fonctionnement démocratique à l’UdS ne sauraient impacter une procédure qui unira étroitement le destin de nos deux établissements. Le rattachement doit être mis en œuvre dans la plus grande transparence, avec une information régulière des personnels, avec aussi une implication des élus de tous les conseils et la participation active des composantes et des équipes de recherche concernées par les projets de mutualisation. C’est à ces conditions que nous cheminerons vers le « rattachement efficace et solide » que nous appelions de nos voeux dans ces mêmes colonnes le 10 mai 2011. Nous insistions alors sur l’urgence d’une nouvelle carte régionale de la formation et de la recherche. Elle reste toujours à construire.

Un rattachement a un coût humain et financier

En second lieu nous ne saurions oublier la situation financière des universités alsaciennes qui, sans être critique aujourd’hui, pourrait très bien le devenir rapidement. Face au désengagement de l’Etat qui a conduit les universités alsaciennes comme de très nombreuses universités françaises, à être sous administrées et à souffrir de budgets très contraints, il ne saurait être question de mener à bien les mutualisations de la formation, de l’administration et de la recherche sans un accompagnement financier de l’Etat. Les déboires de la fusion de l’UdS ne doivent pas se renouveler : l’argent promis, on le sait, n’est pas arrivé dans son intégralité. Ne leurrons pas les personnels ! Un rattachement a un coût humain et financier. Il devra être évalué avec précision et l’État, tout comme nos élus locaux, devront prendre leurs responsabilités en garantissant un financement public et des subventions à la hauteur des enjeux. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

Des universités engagées

à un même niveau de responsabilité

Nous formulons enfin le vœu que chacun de nos établissements sache apporter à l’autre le meilleur de lui-même en terme de spécificité et d’expérience humaine. Qu’il sache aussi tirer un bilan critique de son évolution récente pour épargner à l’autre l’imposition de ses travers ou de ses faiblesses ! Nous ne croyons pas qu’imposer à l’UHA la marque « Université de Strasbourg » et sa stratégie de communication soit aujourd’hui une proposition responsable. Car un rattachement est une décision stratégique majeure qui engage les deux universités à un même niveau de responsabilité. Les élus de nos établissements, en acceptant le principe du rattachement administratif, ont refusé tout projet de fusion, y compris une fusion post-rattachement dont certains politiques ne veulent pas faire le deuil.

Ni l’université, ni le savoir ne sont des marchandises

Les élus n’ont pas voulu l’absorption de la petite UHA par la grande UdS, ni l’imposition du modèle ou de la marque « Unistra » à l’UHA. Le choix de nos établissements est celui d’un partenariat constructif et substantiel qui respecte l’indépendance politique, administrative et financière des deux universités. Ce choix, croyons-nous, ne sera fertile que si l’on abandonne les chimères idéologiques de l’excellence et du marketing, les excès de la performance et l’obsession de la visibilité. Ni l’université, ni le savoir ne sont des marchandises. Gageons que nos deux communautés de recherche et d’enseignement sauront défendre la qualité de formations harmonisées, les valeurs d’une recherche au service de la société et de l’économie réelle, et surtout des établissements de service public qui mettent l’humain et l’intérêt des étudiants au cœur de leurs projets.

Marie-Claire Vitoux, élue Snesup-FSU au CA de l’UHA

Pascal Maillard, élu au CA de l’UdS, secrétaire académique du Snesup-FSU

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