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Nantes : 1 semaine dans une université "autonome" et sous tutelle - Olivier Ertzscheid, Affordance, 8 novembre 2011

jeudi 10 novembre 2011, par Mariannick

Une université autonome. Libérale. Décomplexée. Sous tutelle.

Je suis depuis 5 ans enseignant-chercheur à l’université de Nantes. L’une des premières à être passée à "l’autonomie", réforme majeure du gouvernement Sarkozy qui donna lieu au conflit social le plus tendu et le plus long que l’université ait connue depuis 1968.

Les événements racontés ci-après sont authentiques. Mais ils se sont produits sur 15 jours et non sur 5.

LUNDI.

Comme tous les personnels de l’université, je reçois un mail du président m’indiquant : plus de thune. Très exactement, le mail dit ceci :

"Cher(e)s Collègues,
Ce matin, le Conseil d’administration de l’Université de Nantes a voté, à l’unanimité moins une voix, le principe de la présentation d’un budget 2012 en déséquilibre. Ce geste politique fort (sic) de notre établissement délivre un message de fermeté (sic ...) à nos autorités de tutelles.
Je rappelle que la dotation globale de fonctionnement que devait nous attribuer le ministère a été amputée de 9 millions d’euros. Ceci s’ajoute a des engagements non tenus qui impactent très fortement la masse salariale de l’Université. Malgré nos multiples demandes, le Ministère ne nous permet donc pas de fonctionner convenablement.
Ce désengagement de l’État est inadmissible et place l’université de Nantes, comme la moitié au moins des universités françaises
 [1], dans une situation difficile."

Mais revenons au message du président de l’université de Nantes. J’avoue que j’ignorais jusqu’ici que voter un budget en déséquilibre deux ans d’affilée était à la fois un "geste politique fort" et "un message de fermeté". Faudra que j’en touche deux mots rapidement à Papandréou et au peuple grec ... Dès le lendemain, une dépêche AEF relaie l’information

[…] Tout le corps de ce passionnant article à lire ici

MORALITÉ

Deux ans après son entrée en application, "l’autonomie" tant vantée a pour conséquence directe de placer bientôt, au pire, plus de la moitié des 85 universités françaises en situation de quasi-faillite (ce qui est somme toute cohérent avec l’air du temps me direz-vous), et au mieux, le même nombre dans une nouvelle forme de mise sous tutelle, à l’image de ce qui arrive à l’université de Nantes, qui n’est pourtant pas, loin s’en faut, la moins bien dotée. Sans même chercher à revenir sur la pathétique pantomime privatisante que représente "l’autonomie" (je me suis déjà largement exprimé sur le sujet), les racines du mal sont d’autant plus révoltantes qu’elles sont également connues depuis 2 ans. Les entreprises se sont gavées sur le crédit impôt recherche et n’ont pas mis au pot l’argent prévu (ce que même Laurent Wauquiez reconnaissait en faisant mine de le dénoncer lors d’un récent congrès du Medef). Le gouvernement n’a jamais eu l’intention de verser les sommes annoncées. Tout le monde le savait. Certains (voir les sites de Sauvons La Recherche ou Sauvons L’université, ou encore ) l’ont inlassablement écrit et démontré. Encore un an ou deux à ce rythme là, et l’effondrement de l’édifice de l’université française ne réclamera rien de plus que le déplacement d’air d’une légère flatulence libérale. L’atmosphère qui y règne est déjà étouffante, comme est étouffante la capacité de l’autonomie à épuiser les meilleures volontés.

Pas une semaine sans une nouvelle aberration. Pas une décision prise qui ne joue sur le levier de la "mise en concurrence" des compétences, des financements, des individus. Pas un instant sans que les personnels les plus précaires n’aient à subir des missions chaque fois plus aberrantes. Une université autonome. Libérale. Décomplexée. Sous tutelle. Qui s’est laissée prendre au piège de la promesse programmatique d’un financement concurrentiel. Une université bien trop encore imbue d’elle-même pour oser affirmer sans ciller qu’il ne saurait y avoir de compétitivité dans l’enseignement, que l’idée même d’une "concurrence saine" dans la recherche était au mieux un oxymore. Une université cravatée qui n’a pas voulu que l’on puisse dire d’elle qu’elle était incapable de jouer le jeu de l’autonomie comme un enfant de 10 ne voudrait pas que l’on puisse dire de lui qu’il est incapable d’aimer le foot, puisque tout le monde doit aujourd’hui être capable d’aimer le foot, et qui, une fois qu’il a été accepté dans l’équipe de la pensée dominante, s’aperçoit qu’il n’a plus d’autre choix que celui de jouer le jeu. Leur jeu.


[1Voir notamment ici. D’après différentes sources (syndicales ET non-syndicales), c’est au moins 49 des 85 universités françaises qui sont aujourd’hui en situation de crise budgétaire profonde. Et je repense ému à la tête de certains collègues traitant de doux-dingues gauchistes ceux qui tentaient de leur expliquer que le projet du gouvernement était, à moyen terme, de réduire de moitié le nombre des universités françaises ...