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Dépistage précoce et Ministre “à haut risque” - Ph. Watrelot, Chronique éducation, 19 octobre 2011

jeudi 20 octobre 2011, par Mariannick

Ça s’appelle faire machine arrière. Dans l’actualité éducative, il faut en effet signaler cette interview de Luc Chatel dans Le Monde où il est interrogé sur le protocole d’évaluation élaboré par son ministère pour dépister les enfants de grande section de maternelle “à risque ” et “à haut risque. ”

Le ministre s’y livre à un exercice de contorsionniste pour dire qu’il faut maintenir les évaluations et “évaluer les performances”mais qu’en fait ce n’est pas une évaluation… Et pour dire aussi qu’il faut des “proposer des outils de repérage ” mais qu’ “il y a une maladresse dans le choix des termes. ”. Il joue aussi sur le registre de l’indignation en déclarant : “Je suis en colère parce que la polémique autour des évaluations est une fausse polémique née de la diffusion d’un document de travail qui n’avait aucune vocation à être publié. Mais oui, nous travaillons sur le repérage précoce de la difficulté scolaire. On ne peut pas passer ses journées à déplorer que notre école primaire laisse sortir 15 % d’enfants qui ne maîtrisent pas la lecture et refuser l’idée d’un repérage précoce de lacunes qui entacheront les apprentissages. ”.

Quoi qu’il en soit il s’agit bien d’une reculade face à l’ampleur des protestations.

Car, en effet les protestations continuent. La pétition « pas de tri en maternelle » initiée par le SE-UNSA a dépassé les 14.000 signatures. Dans L’Humanité une tribune de Pierre Delion, pédopsychiatre et auteur de “Tout ne se joue pas avant trois ans” il écrit notamment “je crois qu’un tel projet, loin de proposer une quelconque aide à quelque enfant que ce soit, est davantage organisé pour repérer les enfants déviants et les catégoriser dans une sorte de classe-prison d’enfants à risque, prédisant ainsi leur futur comportement également à risque. Je fais remarquer que les mots «  à risque  » et «  à haut risque  » sont connotés de l’atmosphère pénitentiaire, et qu’ils pèseraient lourd sur le destin des enfants en question. Les psychosociologues ont d’ailleurs étudié l’effet de «  prophétie autoréalisatrice  » que de tels dispositifs ne manquent pas d’entraîner à coup sûr. Sans compter les ravages anxiogènes que de telles pratiques déclencheraient chez les parents des enfants «  en délicatesse  » avec l’école à un moment donné.”.

Dans Le Monde, il faut lire aussi la tribune de Charles Hadji. ce professeur en sciences de l’éducation s’élève contre ce projet. Pour lui, “une évaluation n’a vraiment d’intérêt qu’à trois conditions : avoir du sens ; remplir une fonction utile ; poursuivre une fin légitime. Or le projet ministériel d’évaluation des élèves à 5 ans ne nous semble satisfaire vraiment aucune de ces conditions.

Et son texte se poursuit par une réflexion de portée générale et très intéressante sur les fonctions de l’évaluation. Redonnons lui la parole pour la conclusion : “Si donc l’on veut être vraiment utile à la fois aux élèves de maternelle et à leurs enseignants, à l’heure où il s’avère indispensable d’intervenir précocement pour lutter contre les inégalités tant scolaires que sociales, il y a mieux à faire que d’évaluer à en perdre la raison. En commençant, par exemple, à ne pas torpiller la préscolarisation (qui, en une décennie, est passée de 34 % à 13 % (Le Monde du 12 juillet) ; à ne pas fermer les portes des maternelles aux moins de trois ans, pour les pousser vers des structures payantes. En ouvrant des classes de maternelle, au lieu d’en fermer. Tout cela vaudrait mieux que de s’évertuer à montrer du doigt des élèves risquant d’échouer dans une carrière scolaire qui pour eux n’a même pas encore véritablement commencé

Sur un registre plus humoristique mais sur le même thème, on pourra lire la chronique de Stéphane Guillon dans Libération et voir ou entendre celle d’ Artus de Penguern sur France Inter.

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