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En CDI mais sans salaire : l’imbroglio de 34 emplois vie scolaire - Jacques-Olivier Teyssier, "Médiapart", 12 octobre 2011

jeudi 13 octobre 2011, par Laurence

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« On était loin de s’imaginer ce qui pouvait nous attendre derrière », raconte Nathalie, l’une des 34 salariés en contrats aidés à qui les prud’hommes de Rouen ont donné raison. Le 29 juin, à la veille de la fin de leur contrat précaire, ces employés de vie scolaire (EVS) obtiennent la requalification de leur emploi en contrat à durée indéterminée (CDI) et une indemnité de 1013 € (lire la décision ici). Le raisonnement est identique aux nombreuses décisions de justice concernant les EVS : un contrat aidé oblige l’employeur à dispenser une formation au salarié. À défaut, le contrat devient un CDI (lire ici).

Malgré ces décisions et les dizaines de milliers de personnes concernées, les syndicats ne mobilisent pas vraiment sur cette question au niveau national et l’action semble surtout tenir à la personnalité et à la détermination d’individus. Ainsi à Rouen, Alain Paubert, le militant CGT qui a défendu les 34 salariés, témoigne : « J’ai lancé des signaux pour qu’au niveau de la CGT, on fasse une action nationale et qu’on trouve une solution. » Sébastien Sihr, secrétaire général du SNUIPP, affirme, lui, qu’une « demande unitaire n’a été faite qu’il y a quelques mois au ministère dans le cadre d’échanges téléphoniques. Ça fait partie des choses qui se passent un peu en off. Au ministère, ils reconnaissent d’ailleurs que la multiplication des dossiers risque de leur coûter beaucoup plus cher que s’ils avaient respecté leurs propres engagements ».

Ces dossiers concernent des personnes qui ne sont plus affectées à un poste. Dans ce cas, les juges requalifient le CDD en CDI mais constatent en même temps le licenciement (puisque le salarié n’est plus en poste) et condamnent l’employeur à verser des indemnités. La particularité de la décision de Rouen est d’être tombée alors que les salariés étaient encore en poste. Et le jugement étant exécutoire, l’Education nationale ne pouvait pas attendre la décision de la cour d’appel (attendue début 2012) pour l’appliquer. Sauf que ça ne s’est pas passé comme ça.

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« Pendant deux mois et demi, on est restés dans la galère »

D’abord, l’indemnité de licenciement de 1013 € a été versée mi-septembre, soit deux mois et demi après le jugement. « Si on n’avait pas eu la CGT, on aurait attendu début janvier pour l’avoir, affirme Stéphane. On a été méprisés. Le jour de l’audience aux prud’hommes, l’avocat du rectorat n’était pas là. » Hervé Basire, un autre militant CGT, raconte : « On a été deux mois sans interlocuteurs et on a fait plusieurs relances. » Finalement, un rendez-vous a eu lieu fin août avec la rectrice qui montrera « sa volonté de régler l’affaire ». Il faut dire que la CGT avait annoncé son intention d’occuper le lycée.

Début juillet, sans emploi et sans rémunération, les salariés cherchent à s’inscrire à Pôle emploi pour toucher une indemnité de chômage. Mais certaines agences ont considéré que les salariés ne pouvaient être indemnisés puisque les prud’hommes avaient jugé qu’ils étaient en CDI. Les interventions du préfet et de la rectrice ont fini par régler les situations.

De juillet à mi-septembre, certains n’ont donc rien perçu. Avec des situations matérielles et familiales difficiles à gérer. Nathalie, par exemple, dit avoir eu des problèmes avec la Caisse d’allocations familiales qui ne voulait rien lui verser car elle considérait qu’elle était en CDI. « Pendant deux mois et demi, on est restés dans la galère sans argent. Mais c’était pas leur problème. » Prêt de la famille, des amis, découvert bancaire, retards de paiement de loyer, de facture EDF. Nathalie poursuit : « Je suis seule avec deux enfants. Allez leur expliquer qu’ils ne pourront pas partir en vacances cette année, qu’on ne peut pas leur payer de loisirs et qu’il faut essayer de se restreindre sur la nourriture, c’est dur. »

Heidi, mère de deux enfants, s’est vu refuser des prélèvements bancaires engendrant « des frais de procédures » pour loyer impayé avec huissier à la clé. « J’étais quand même un petit peu dans la panique de me retrouver presque assignée au tribunal parce que je n’avais pas pu payer le loyer aussitôt. » Et ce n’est pas tout. Heidi, qui répond à des offres d’emploi, dit avoir contacté l’inspection du travail. « Elle m’a dit que si le CDI n’étant pas rompu, si je signais un autre contrat je risquais de me retrouver en porte à faux lors de l’audience en appel ! » Nathalie, elle, voulait faire un BTS, mais « comme Pôle emploi n’a pas voulu m’inscrire, je n’avais pas droit à la formation. Maintenant ça vient de se débloquer mais les places sont prises et ça m’a fait perdre un an ».

Et pendant ce temps, dans leurs anciens établissements scolaires, beaucoup ont été remplacés. « C’est honteux parce qu’ils disent prendre des gens précaires pour les sortir de la précarité et, en fin de compte, souvent, ils nous mettent encore plus dans la précarité et reprennent d’autres gens précaires », se désole Nathalie. Stéphane : « À partir du moment où on garde quelqu’un pendant cinq ans, c’est qu’on en est content. La directrice dit que je fais bien mon boulot, les collègues, les parents d’élèves et le maire aussi. On se contenterait de ce salaire là. On peut espérer que l’employeur va préférer quelqu’un de qualifié et compétent. » Mais ce n’est pas ainsi que ça marche.

90% du salaire en subvention

« L’idée du contrat aidé, c’est que ce ne soit pas toujours le même chômeur de longue durée qui soit sur le même emploi. Le dispositif est fait pour tourner car malheureusement il y a toujours de nouveaux chômeurs longue durée. C’est pour ça que ce ne sont pas des emplois pérennes », expliquait en mars dernier, à Montpellier journal, Philippe Destouche, du rectorat de Montpellier. Stéphane a une vision différente. Les aides associées à ces contrats peuvent parfois correspondre à 90% du salaire : « On comprend bien que ce qui les intéresse surtout est de bénéficier des subventions pour ce type de contrat. » Et quand on avance l’argument de l’acquisition de nouvelles compétences, il répond : « Ce sont mes compétences que j’ai apportées à l’école, et non l’inverse. »

Reste aujourd’hui pour les 34 une question : n’aurait-il pas mieux valu attendre la fin des contrats pour attaquer aux prud’hommes et empocher des indemnités, comme ça a été le cas dans d’autres départements ? Peut-être. Mais certains espéraient vraiment pouvoir garder leur poste. En outre, les prud’hommes ne sont compétents que pour décider de la requalification d’un contrat, et c’est au tribunal administratif de statuer ensuite sur les conséquences de cette requalification.

Pour Me Françoise-Hélène Rachet-Havel, l’avocate du lycée employeur des 34 salariés, « la décision des prud’hommes est inexécutable : comment voulez-vous attribuer un poste qui n’est pas ouvert ? » Au moins pourrait-on payer les salaires ? « Mais ce sont des fonds publics. On va les prendre sur quoi ? C’est justement pour ça que le tribunal des prud’hommes n’est pas compétent pour ça. On est sur une impasse juridique. C’est vrai que le texte tel qu’il est fait est difficilement applicable. »

En appel, le 14 janvier, Alain Paubert prévoit de demander à l’employeur s’il souhaite réintégrer les 34 personnes. S’il refuse – le droit le lui permet –, le militant CGT tentera de faire reconnaître le licenciement et demandera des indemnités supérieures à 5000 € par personne, sommes qui ont déjà été attribuées en pareil cas ailleurs en France.

Du côté de l’administration, on essaye de limiter les dégâts. Ainsi, comme l’a relevé le SNUPP de Dijon, l’inspection académique de la Côte-d’Or a demandé à des directeurs d’école de remplir une « attestation de formation interne dispensée à un EVS ». Et le syndicat de s’indigner : « Comme par hasard, les EVS concernés sont ceux qui ont déposé un recours aux prud’hommes contre leur employeur pour non-respect de l’obligation de formation ! Nous ne sommes pas dupes ! Cette demande tardive et urgente vise à dédouaner l’Éducation nationale. »