Accueil > Revue de presse > La réforme Chatel des lycées est injuste et élitiste - par Eric Barbazo, (...)

La réforme Chatel des lycées est injuste et élitiste - par Eric Barbazo, pré­sident de l’Association des pro­fes­seurs de mathé­ma­tiques de l’enseignement public (l’APMEP), Le Monde, 20 septembre 2011

mardi 20 septembre 2011, par Elie

Pour lire cet article sur lesite du Monde.

Depuis la réforme Chatel mise en place à la rentrée 2010, le lycée français n’offre plus le même horaire d’enseignement à tous les élèves. C’est ce que révèle l’enquête menée par l’Association des professeurs de mathématiques de l’enseignement public (APMEP) auprès de quelques 230 lycées.

Cette situation est une conséquence directe d’une politique éducative de dérèglementation menée depuis 2007 et qui consiste à introduire une grande flexibilité dans la gestion locale des établissements publics. Ainsi, avec désormais un volume de plus de dix heures par semaine dont l’utilisation est laissée au libre arbitre du chef d’établissement, la formation proposée aux élèves dans toutes les séries générales ou technologiques devient différente d’un établissement à l’autre. Derrière un affichage de plus grande liberté locale avancée par le ministère, se dessine en définitive une toute autre réalité. Notre enquête montre que pour environ 30 % des lycées, l’horaire proposé aux élèves s’avère extrêmement disparate et inégalitaire. L’horaire officiel de quatre heures n’est pas toujours respecté, les classes sont par endroit dédoublées sur plus d’une heure là où d’autres laissent trente-cinq élèves par classe.

Ces différences sont aggravées par une utilisation de l’accompagnement personnalisé très diverse, souvent détournée en une heure de cours supplémentaire (de mathématiques, de français) dans de nombreux lycées. L’argument officiel argue que ces disparités constituent une chance locale de s’adapter au public de l’établissement. Nous affirmons au contraire qu’elles renforcent les inégalités dans des établissements publics qui n’ont pas tous les mêmes bassins de recrutement.

On constate en effet depuis l’assouplissement de la carte scolaire, de plus en plus de stratégies mises en place par les lycées pour attirer le plus grand nombre possible de bons élèves : sections européennes, langues rares dès la Seconde, enseignement d’exploration particulier. Pour certains, il s’agit de véritables concours d’entrée en Seconde, avec trois dossiers pour une place et examen écrit de niveau. Cette sélection est bien entendu soumise au nécessaire renfort de cours particuliers pour de nombreuses familles qui souhaitent voir leur enfant entrer dans la "meilleure Seconde" du lycée (ce quotidien a montré que les français sont champions du monde de tels cours particuliers). Pour ces établissements, les heures d’accompagnement personnalisé se transforment vite en une heure de mathématiques ou de français en plus puisque le soutien personnalisé n’y est pas vraiment indispensable.

En revanche, pour les établissements qui recrutent dans des secteurs difficiles, les heures globalisées ou d’accompagnement servent principalement à soutenir les nombreux élèves en difficultés. Aucune "excellence" n’est donc possible pour eux. Les bons d’un côté, les faibles de l’autre. Les différentiels en termes d’offre de formation (plus ou moins une heure de mathématiques par exemple par élève d’un établissement à l’autre) commencent à apparaître en Seconde comme le montre notre enquête. Cette situation risque certainement de s’aggraver encore (nous avons relancé une enquête sur notre site) à partir de la rentrée 2011, avec la nouvelle classe de Première qui propose elle aussi des aménagements d’horaires différents d’un établissement à l’autre. Sur une scolarité entière (Seconde, Première, Terminale), un différentiel de deux à trois heures de mathématiques sera par exemple possible pour un élève d’une série S (il sera possible de la même manière en lettres) selon l’établissement qui l’accueillera.

On peut désormais affirmer que cette réforme a pour conséquence immédiate l’émergence d’un lycée français à deux vitesses. L’apparition voulue de lycées publics d’excellence, de type grammar schools britanniques, permet certainement une meilleure rationalisation des moyens dont il semble que ce soit la seule priorité du gouvernement actuellement. Si le lycée doit permettre effectivement un meilleur encadrement des élèves en difficultés, des accompagnements personnalisés et une plus grande prise en compte de la diversité des niveaux, il est néanmoins indispensable qu’il ne déroge pas à la règle qui le fait fonctionner depuis deux cents ans, à savoir la garantie d’une offre d’enseignement identique à tous les niveaux du territoire national.

L’APMEP va alerter les candidats à l’élection présidentielle afin qu’ils se positionnent sur leur volonté de modifier ou non cette réforme injuste. De leur côté, les élèves et leur famille ne peuvent accepter de se soumettre à des concours ou une étude comparative pour intégrer un lycée. Une réforme concertée doit être entreprise et menée à bien en 2012.