Accueil > Revue de presse > Ce que Luc Chatel veut faire du bac - Aurélien Duval, Médiapart, 24 juin (...)

Ce que Luc Chatel veut faire du bac - Aurélien Duval, Médiapart, 24 juin 2011

samedi 25 juin 2011, par Laurence

Pour lire cet article sur le site de Médiapart

Le bac sera bien réformé. Pour l’instant, le ministre Luc Chatel préférait avancer masqué, préparant une réforme qui ne disait pas son nom, mais la polémique autour de la fraude au bac S pourrait être l’opportunité d’avancer plus franchement. Alors que trois personnes sont toujours en garde à vue vendredi après-midi dans le cadre de l’enquête autour de la fuite des sujets, alors que le secrétaire général du syndicat des personnels de direction de l’éducation nationale, Philippe Tournier, estimait, la veille qu’il fallait « revoir entièrement l’organisation des épreuves » pour modifier un « système (...) rattrapé par les nouvelles technologies », alors qu’éditorialistes et commentateurs pointent dans une quasi-unanimité l’urgence d’une réforme du baccalauréat, Luc Chatel aurait tout intérêt à lever le masque sur ses projets.

Jusqu’à présent, tout cela se faisait à bas bruit : la consigne partagée par le gouvernement et les syndicats quand on évoquait la réforme du bac était de surtout ne pas faire de vagues.

Car le ministre doit achever la réforme du lycée en s’attaquant à la terminale. Et il est difficile de modifier les programmes de terminale, sans changer la nature des épreuves finales du bac. Mais il est tout aussi difficile, voire suicidaire politiquement, d’afficher une réforme du bac à quelques mois d’une élection présidentielle. 



Officiellement donc, il s’agit de poursuivre la réforme du lycée. Mais un projet de décret dont Mediapart a eu copie entend bien réformer l’examen pour la session 2013. Au programme : rééquilibrage de coefficients, création de nouvelles épreuves pour de nouveaux enseignements, introduction d’une épreuve directement inspirée du cursus Sciences-Po (logique pour une réforme préparée par son directeur Richard Descoings) : « droit et grands enjeux du monde contemporain », évaluation de la « compétence orale » en langue vivante 1 pour tous les élèves, dans leur établissement, dans le courant du troisième trimestre... L’introduction du contrôle continu est donc déjà lancée.

Voici ce document qui sera transmis la semaine prochaine au Conseil supérieur de l’éducation : pdf.

Les syndicats partagés

Au même moment, les inspections générales sont en train d’entrer dans le détail et de revoir discipline par discipline le contenu des épreuves, et les types d’exercices proposés. Une association de défense des sciences économiques et sociales, l’Apses, s’est déjà emparée de la question. L’introduction de questions de cours dans le projet d’épreuve de spécialisation « économie approfondie » du bac Economique et social a immédiatement suscité des réactions : hier, le 23 juin, l’Apses a demandé « un moratoire sur la rénovation des épreuves du baccalauréat », et dénonce des transformations « précipitées » de l’examen national, « sans aucune consultation de la communauté éducative ».


A l’inverse, certains syndicats voudraient aller beaucoup plus loin. C’est le cas de la CFDT. Son syndicat enseignant, le Sgen, déplore que le travail de révision des « notes de service épreuve par épreuve discipline par discipline » se fasse en catimini. Il réclame l’ouverture d’un vrai débat sur le sujet. Une position que ne partagent ni l’Unsa ni la FSU, très prudents sur ce dossier. Le Snes botte en touche et affirme n’avoir pas connaissance d’une réforme du bac. L’Unsa, elle, joue le jeu : son syndicat, le SE, favorable au contrôle continu, préfère tactiquement ne pas communiquer sur ce sujet.



Officiellement, il ne s’agit que de légers « aménagements ». Ce diplôme « est un héritage très fort » expliquait Luc Chatel le 16 juin sur Canal Plus et il « n’est pas question de le supprimer ». « Chaque année, il se réforme comme en 2011 avec des changements au niveau des langues vivantes. Il évolue en permanence », a voulu dédramatiser le ministre. 


Tabou politique

Il faut dire que l’enjeu est de taille : le dernier ministre à s’y être frotté a été remercié en 2005. Le locataire de la rue de Grenelle s’appelait alors François Fillon. Pour muscler sa loi d’orientation sur l’école, il avait voulu instaurer une dose de contrôle continu pour l’obtention du baccalauréat. Devant la fronde des lycéens, ce projet avait été prestement retiré par Jacques Chirac, apeuré par la mobilisation de la jeunesse. 

Trois ans plus tard, Xavier Darcos réussissait le tour de force de lancer sa réforme du lycée, sans même évoquer celle du bac. « Le baccalauréat est un rite de passage que je ne conteste pas, mais c’est plutôt la manière de connecter la fin du lycée et le début de l’université qui doit nous préoccuper », éludait le ministre le 20 mars 2008, à peu près dans les mêmes termes que son successeur.

Mais le véritable enjeu de la réforme du bac est budgétaire : en janvier 2006, un audit de modernisation sur les examens dans l’Education nationale, commandé par Jean-François Copé, alors ministre délégué au budget et à la réforme de l’Etat, pointait le coût élevé des examens : 130 millions d’euros par an environ. Selon les chiffres fournis par cet audit : 500 ETP (équivalents temps plein) sont employés chaque année à la conception des sujets et 130.000 correcteurs et examinateurs sont mobilisés pour le bac. L’Inspection générale des finances et l’Igaenr (inspection générale de l’administration de l’éducation nationale et de la recherche) recommandaient alors la rationalisation (moins d’épreuves) et la sécurisation des examens, et proposaient (déjà) plus de contrôle en cours de formation.