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"Le métier prometteur de "fundraiser"

par Sarah Piovezan, "Le Monde- Economie" du 9 juin 2008

mardi 10 juin 2008, par Laurence

A quelques jours d’intervalle, deux établissements d’enseignement supérieur parmi les plus prestigieux d’Europe ont annoncé des levées de fonds importantes : la Saïd Business School de l’université d’Oxford, que son mécène principal, Wafic Saïd, vient de doter de 25 millions de livres (31,5 millions d’euros), et la toute nouvelle Ecole d’économie de Toulouse qui, via sa Fondation Jean-Jacques-Laffont, a récolté quelque 33 millions d’euros auprès d’entreprises et de grands donateurs. Plus qu’une coïncidence, la nouvelle montre que la pratique du "fundraising" - ou "collecte de fonds" - si chère aux Anglo-Saxons, arrive en France, au-delà du cercle traditionnel des associations caritatives et des organisations non gouvernementales (ONG).

Institutions culturelles, organismes de recherche, établissements de santé, universités, écoles : face au désengagement de l’Etat, tous sont à la recherche de nouvelles sources de financement, et le fundraising est l’une des réponses possibles. D’autant que le législateur a multiplié les dispositifs facilitant ce type de démarche. Les déductions fiscales instaurées par la loi sur le mécénat de 2003 font ainsi de la France le pays le plus incitatif d’Europe en la matière. "Cette loi est un vrai tournant, elle a fait sauter plusieurs verrous fiscaux, administratifs et psychologiques", estime Francis Charhon, directeur général de la Fondation de France. Résultat, en 2007, une fondation est née tous les trois jours ! En six ans, leur nombre a bondi de 30 %. La loi sur le travail, l’emploi et le pouvoir d’achat (TEPA) votée l’année dernière a encore renforcé l’incitation au don auprès des individus redevables de l’impôt sur la fortune (ISF). Enfin, la loi sur les libertés et responsabilités des universités (LRU) d’août 2007 a rendu possible la création de fondations par les universités. Une bonne quinzaine d’entre elles ont d’ores et déjà annoncé un projet de fondation pour récolter des dons, à la suite des pionnières Lyon-I et Clermont-I. "Depuis cinq mois, je passe mon temps à rencontrer des entreprises", raconte Philippe Dulbecco, président de l’université d’Auvergne. "Je vais devoir embaucher quelqu’un pour mener notre campagne de collecte." Les professionnels du fundraising voient ainsi un tout nouveau terrain de jeu s’ouvrir à eux. "Mais le volant de personnes expérimentées est plus faible que le nombre de structures amenées à collecter", estime Yaële Afériat, de l’Association française des fundraisers (AFF), qui multiplie les sessions de formation sur la collecte de fonds. "L’édition 2008 consacrée à l’enseignement supérieur, à la recherche et à la culture a rassemblé 250 participants, contre une centaine il y a trois ans. A l’avenir, nous allons devoir dissocier les thèmes abordés..."

Profession jeune et peu structurée, les fundraisers ont du mal à se compter. D’après des estimations grossières de l’AFF, ils étaient une centaine début 2000 et sont environ 500 aujourd’hui. Ils travaillent soit au sein de l’institution collectrice - le département développement de l’Insead, l’école la plus avancée, compte 30 permanents -, soit en agence de conseil. "Il n’y a pas encore de profil type du fundraiser, car c’est un marché naissant", reconnaît Johann Van Nieuwenhuyse, directeur du pôle commercial, marketing et communication au sein du cabinet de recrutement Michael Page. "On recherche des compétences en marketing direct, en "business développement" et surtout, de vraies qualités relationnelles pour grenouiller dans les réseaux. Les candidats sont souvent issus d’agences de marketing ou d’organismes de lobbying." Si Michael Page n’a pas encore recruté pour le compte de musées ou d’organismes de recherche, le cabinet est de plus en plus sollicité par des écoles, notamment d’ingénieurs, et des associations caritatives : "Dans le supérieur, il y a une vraie lame de fond, précise M. Van Nieuwenhuyse. Les modèles les plus aboutis sont ceux de l’Université catholique de Lille et de certaines grandes écoles, comme Supélec, Centrale ou HEC. Quant au secteur caritatif, les besoins se situent plutôt du côté des agences. Elles adoptent les pratiques de fundraising à l’américaine, utilisant les techniques du marketing de masse avec une vraie logique financière derrière." Et les salaires ne sont pas forcément bas, même dans le secteur non marchand : "Nous venons de recruter une responsable du fundraising de 40 ans, pour le compte d’une ONG, à un salaire annuel de 70 000 euros. Ce n’est pas aberrant du tout", note le consultant.

Côté universités en revanche, pas sûr que les moyens suivent. "Il va y avoir un hiatus entre leurs objectifs et leurs moyens, elles ne pourront pas embaucher trois personnes pour faire du fundraising", prévoit Philippe Albert, conseiller du cabinet Philanthropia, spécialiste des levées de fonds dans le supérieur, qui vient de signer avec l’université de Cergy-Pontoise pour piloter sa campagne. "Une solution astucieuse pourrait venir des régions : elles financeraient plusieurs postes au démarrage, le temps d’amorcer la collecte. Ensuite, ces postes se financeraient eux-mêmes grâce aux levées." Une piste à creuser.

Sarah Piovezan