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L’intelligence collective, un travail d’équipe - Pierre Aucouturier, le blog de Médiapart, 4 novembre 2010

dimanche 7 novembre 2010, par Laurence

Pierre Aucouturier est biologiste, directeur d’équipe à l’Inserm, et professeur à la faculté de médecine Pierre-et-Marie-Curie.

L’intelligence collective, qui détermine les performances d’un groupe d’individus dans la réalisation de tâches cognitives diverses, dépend peu des intelligences individuelles mais surtout d’autres qualités telles que la « sensibilité sociale », l’égalité dans les prises de parole, et la proportion de femmes. C’est ce que démontre, dans une étude récemment publiée par la prestigieuse revue Science, Anita Woolley et ses collaborateurs [1], mettant sérieusement en question le dogme de l’« excellence » individuelle comme moteur de la performance des groupes sociaux. De façon remarquable, les groupes où la conversation est dominée par une ou deux personnes sont moins intelligents collectivement que ceux où la distribution de l’expression se fait de façon plus égale.

Au cours du siècle passé, les psychologues ont accompli des progrès considérables dans la définition et les méthodes de mesure de l’intelligence. Un facteur statistique unique, souvent appelé « intelligence générale », ressort d’études corrélatives des performances dans une grande variété de tâches cognitives. Le concept d’intelligence générale (Spearman, 1904 [2]) s’appuie sur plusieurs critères, en particulier la corrélation entre elles des performances des individus dans un ensemble de tâches diverses, et le fait qu’un facteur unique rend compte de la majorité de la variabilité des scores de performance. Ce facteur « g » est le principal élément que mesurent les tests d’intelligence, et son intérêt pratique est qu’il possède une bonne valeur prédictive pour de nombreuses questions et situations de la vie sociale. Cependant des activités telles que la recherche, la gestion et beaucoup d’autres sont effectuées bien plus souvent par des groupes que par des individus seuls. Il paraît donc utile de connaître les facteurs qui déterminent la performance d’un groupe.

Anita Woolley et ses collaborateurs ont utilisé une approche expérimentale et statistique classique d’évaluation de l’intelligence individuelle pour mesurer de façon systématique l’intelligence de groupes. Les participants, recrutés et payés pour les expériences, ont été étudiés individuellement puis par groupes en utilisant des batteries de tests basés sur des tâches simples, standardisées et adaptées aux questions posées. Le caractère prédictif des tests a été évalué à l’aide d’une tâche critère, distincte et plus complexe.
Dans une première étude sur 40 groupes de 3 personnes, ils mettent en évidence un facteur « c » d’intelligence collective, répondant à des critères analogues à ceux du facteur « g » de l’intelligence individuelle, et capable de prédire raisonnablement les performances des groupes, alors que les intelligences individuelles moyennes ou maximales de chaque groupe n’ont pas cet effet prédictif.

Pour tenter de préciser la nature du facteur « c », les auteurs ont mené une seconde étude sur 152 groupes de tailles variables (2 à 5 personnes), utilisant pour l’intelligence individuelle un test différent, en complétant l’analyse de certains groupes par 5 tâches complémentaires, et avec une tâche critère différente de celle de la première étude. Cette puissante analyse confirme et renforce l’hypothèse d’un facteur général « c » unique, dont la puissance prédictive de la performance des groupes dans la tâche critère est nettement supérieure à celle des intelligences individuelles moyennes ou maximum. Surtout, elle apporte une série d’informations complémentaires.

Certains facteurs individuels et collectifs comme la cohésion, la motivation et la satisfaction, dont on pourrait attendre un impact, ne contribuent pas aux performances des groupes. Par contre, trois facteurs semblent déterminer l’intelligence collective :
1. la sensibilité sociale des membres du groupe, évaluée par un test consistant, en bref, à attribuer un état mental à une personne par l’observation de ses yeux ;
2. l’égalité de répartition de la parole entre les membres du groupe ;
3. la proportion de femmes.

Notons que dans des études précédentes comme dans celle-ci, les femmes avaient un meilleur score de sensibilité sociale.

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[1Woolley AW, Chabris CF, Pentland A, Hashmi N, Malone TW, "Evidence for a collective intelligence factor in the performance of human groups", Science 2010 Oct 29 ;330:686-8

[2C. Spearman, The American Journal of Psychology 15, 201 (1904).