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Verbatim de la 8e séance du séminaire "Politiques des sciences" (17 février 2010) - "La précarité dans l’enseignement supérieur et la recherche"

mercredi 24 février 2010, par Elie

Présentation - Sylvain Piron

Je suis très heureux d’introduire cette séance. Quand on a pensé au programme du séminaire, on a tout de suite songé qu’il fallait consacrer une séance à la question de la précarité et des précaires. C’est effectivement l’un des phénomènes les plus inquiétants des tendances actuelles de transformation de l’enseignement supérieur et de la recherche que l’on a pu constater depuis longtemps, notamment avec le développement de la recherche sur contrats de courte durée. Ce mode de financement impose la création de personnels précaires. Ce n’est pas seulement une question de solidarité avec les jeunes générations qui sont en difficulté pour obtenir des postes fixes ; c’est aussi une question qui remet en cause assez profondément la façon dont ont peut penser la recherche et l’enseignement supérieur, qui modifie considérablement l’exercice de nos métiers pour tout le monde, y compris pour les statutaires. C’est pourquoi cette question soulève énormément d’enjeux. Et, d’autre part, l’un de nos moto est de vouloir faire des séances fondées sur des recherches de terrain effectives avec des acteurs qui viennent présenter leurs dossiers. Et évidemment nous n’avons jamais le temps de faire nous-mêmes les recherches et là, par un heureux hasard – qui n’est pas un hasard du tout -, il se trouve qu’une enquête assez fouillée a pu être réalisé sur la question précisément de la précarité [1]. Cette enquête a été lancée à l’initiative de l’intersyndicale pendant l’automne et ses résultats ont été rendus publics la semaine dernière. C’est tout frais et c’est en même temps un matériau vraiment exceptionnel qui donne pour la première fois une vision de ce que peut être la diversité des statuts précaires dans l’université, la recherche et l’enseignement supérieur.

Le travail qui a été fait correspond donc exactement au genre de travail que nous voulons présenter, et discuter dans le cadre de ce séminaire et est la raison pour laquelle nous sommes extrêmement heureux de donner la parole à Isabelle Clair, sociologue au Cnrs, et Wilfried Rault, sociologue à l’INED (Institut National des Etudes Démographiques), qui ont tous les deux collaboré à cette enquête et vont la présenter maintenant [2]. Je leur laisse la parole tout de suite.

Le panel de l’enquête - Wilfried Rault

Les difficultés relatives au recueil des données sur la précarité dans l’enseignement supérieur et la recherche publics

Pour introduire notre propos, on va revenir tout d’abord sur la genèse de ce projet qui est en fait lié à deux éléments [3]. Tout d’abord un contexte, qui est celui qu’a rappelé Sylvain Piron à l’instant, c’est à dire celui du développement de la recherche sur contrats depuis quelques années. Evidemment, au-delà de cette évolution, on sait que la précarité dans le domaine de l’enseignement supérieur et de la recherche n’est pas un fait récent. Le deuxième élément relève de la qualité des données dont on dispose par rapport à ces situations dans la mesure où il est relativement difficile de restituer ces situations de précarité dans la recherche et l’enseignement supérieur. En effet, les établissements de recherche et d’enseignement supérieur sont séparés et n’ont pas forcément de liens entre eux. La loi sur l’autonomie des universités peut, quant à elle, tendre à compromettre l’unification des données relatives aux universités. Certes, on dispose de quelques sources, notamment ce qu’on appelle les bilans sociaux dans les universités et les huit EPST (Etablissements publics à caractère scientifique et technologique). Mais ces bilans sociaux sont quelque peu problématiques dans la mesure où l’on a un aperçu relativement partiel des situations de précarité puisque ne sont recensées dans ces bilans que les personnes qui sont sous contrat dans les établissements concernés. Ce qui signifie que, en marge de ces personnes, vous avez des personnes qui de fait travaillent dans la recherche, mais ne sont pas nécessairement sous contrat ou font des vacations et ne sont pas prises en considération par ces bilans sociaux. Cela compromet, d’une certaine manière, la connaissance des situations de précarité.

Le projet d’enquête et sa méthode

Pour nous, il semblait donc relativement important, compte tenu du contexte que j’évoquais, et de ces espèces d’angles morts, pourrait-on dire, de la statistique publique, d’essayer de monter un projet d’enquête permettant de restituer la diversité des formes de précarité. Bien évidemment, cette initiative supposait d’aller chercher nous-mêmes les personnes concernées, donc de les sensibiliser. C’est la raison pour laquelle en aucun cas on ne peut considérer que l’enquête dont on va vous parler constitue un recensement. Il ne s’agissait pas du tout de dénombrer les précaires. C’est relativement difficile, pour les raisons précédemment indiquées. Cela supposerait d’avoir dans tous les établissements concernés des relais particulièrement fiables et informés de la situation de toutes les personnes qui travaillent dans les établissements de la recherche et de l’enseignement supérieur, ce qui est quasiment impossible. Toutefois, il nous semblait possible justement de dessiner les visages de la précarité. Par conséquent, ce que l’on va vous présenter ici n’est pas un recensement mais une enquête qui repose sur une participation volontaire et qui, de ce point de vue, n’est pas sans faire penser à des enquêtes qui ont pu être réalisées sur le même mode de participation volontaire auprès de populations qui ne sont pas toujours faciles à atteindre.

Pour pouvoir atteindre la population à laquelle nous nous intéressions, nous avons opté pour un mode de passation du questionnaire par internet pour une raison simple : la plupart des personnes qui travaillent dans l’enseignement supérieur et la recherche sont en contact avec cet outil de manière très régulière et les réseaux, les listes de diffusion permettaient de faire connaître notre projet.

Avant d’en venir de manière un peu plus détaillée à la genèse de l’enquête, j’en indiquerai les premiers résultats d’ensemble. Plus de 4000 personnes ont répondu à l’enquête – 4409 exactement -, ce qui est assez considérable et en tout cas peut permettre, sur un plan statistique, de faire pas mal de choses. En outre, il faut savoir que plus de 1000 personnes ont répondu dans les 36 heures qui ont suivi la mise en ligne du questionnaire. Ce qui est plutôt révélateur du fait que cette enquête était un peu, d’une certaine façon, attendue.

Je vais laisser la parole à Isabelle Clair pour évoquer la genèse de ce travail.

Genèse de l’enquête - Isabelle Clair

Je vais vous raconter la petite histoire du questionnaire. Elle est révélatrice d’abord de sa signification et puis aussi elle donne des éléments sur les conditions de production de cette enquête qui ne sont évidemment pas anodines.

Cette enquête est partie d’une initiative locale, qui est née en réponse à l’appel de la coordination des laboratoires en lutte du printemps de l’année dernière (2009). Cette coordination avait appelé à la constitution d’un comité de défense des précaires sur les sites et avec notamment pour tâche de recenser les précaires. C’était le sens de l’appel général. Cet appel s’est retranscrit au niveau local. Comme nous sommes, sur le site Cnrs Pouchet, là où les choses ont commencé pour cette enquête-là, majoritairement des sociologues, on s’est dit assez spontanément que l’on allait faire une enquête. En fait on s’en est rendu compte plutôt a posteriori et en parlant avec d’autres personnes qui avaient eu des initiatives locales et qui faisaient juste un comptage, que l’on avait transformé l’appel de départ en une enquête.

Intégrer la question des précaires dans les luttes des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche publics

Donc, en fait cet appel de la coordination faisait écho avec des discussions que l’on avait eues dans les manifestations où il apparaissait que la précarisation de l’emploi dans l’enseignement supérieur et la recherche constituait l’un des aspects fondamentaux de ce qui se passait. Il s’agissait aussi de donner une voix au chapitre à des personnes qui ne l’ont pas, à la fois dans les mobilisations – parce que, comme d’autres collègues, j’ai eu l’occasion de discuter avec pas mal de gens précaires sur le site qui ne venaient pas dans les mobilisations, qui ne s’y trouvaient pas représentés, enfin qui estimaient qu’il s’agissait de mobilisations de statutaires qui défendaient leur statut, mais qui ne les concernaient pas directement, sauf à dire qu’un des effets terribles des réformes actuelles, c’était la montée de la précarisation et pas plus que ça.

Du coup l’appel de la coordination a fait écho avec beaucoup de choses que l’on se disait déjà sur le terrain. On a donc constitué assez vite un petit groupe, que l’on a appelé « Comité de défense des précaires du site Cnrs-Pouchet » en toute simplicité. On était une dizaine de personnes. Ce qui était assez bien dans la composition spontanée de ce groupe, c’est qu’il y avait à la fois des statutaires, des précaires, des jeunes, des vieux, des hommes, des femmes, des chercheurs, des ITA. Il y a eu une diversité de départ qui était très importante pour que cela fonctionne. Et on a réfléchi. Ce moment de réflexion, au niveau local, a été un moment assez intense et assez difficile en fait. C’est à dire qu’à la fois la discussion a donné lieu à quelque chose de concret, quelque chose de constructif, ce qui est le bon côté des choses. Les précaires du site, en fait ceux qui étaient les plus proches du centre, les moins anomiques par rapport au site sur lequel cela s’est passé, ont eu le sentiment d’avoir un espace de parole. Et puis en même temps ils se sont rendu compte que non seulement ils n’étaient pas seuls dans leur situation, ce qui est assez réconfortant, mais que quelques-uns de leurs interlocuteurs parmi les statutaires débarquaient complètement. Donc, c’était bien, mais c’était un peu dur aussi de voir que certaines personnes qu’ils avaient en face d’eux au quotidien n’étaient pas bien au courant de ce qu’ils vivaient. Donc, il s’est passé ça aussi et cela a eu bien entendu des effets sur la construction du questionnaire.

Une enquête pour informer mais aussi pour agir

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Qui sont les précaires ? - Wilfried Rault

Quelques indications sur la population des précaires de l’ESRP

Je vais vous présenter quelques éléments sur l’ensemble de la population qui a répondu à l’enquête. Première caractéristique : on observe, contrairement à ce qu’on pourrait penser a priori que les précaires de l’enquête ne sont pas dans une catégorie particulièrement jeune, comme si finalement la précarité était un élément de leurs trajectoires de vie qui caractériserait plutôt leur sortie des études.

L’âge médian est autour de 30 ans, mais cet âge médian dissimule des disparités considérables avec, dans certains métiers, une part assez élevée de personnes qui atteint 40 ans et plus. C’est dans les sciences humaines et sociales (SHS) qu’on observe que les moins de 30 ans sont minoritaires. Autre caractéristique générale : la diversité des métiers. Des personnes se reconnaissent dans les catégories de chercheurs ou/et chargés d’enseignement. Mais comme le disait Isabelle Clair, parfois on trouve des personnes qui ne se reconnaissent que dans cette catégorie de chargés d’enseignement. Mais une partie aussi non négligeable des personnes qui ont répondu à l’enquête se situent dans les catégories de techniciens et administratifs. Pas loin de la moitié des répondants se déclarent sur ces postes. On observe également une caractéristique qui concerne quasiment l’ensemble de la population étudiée. Il s’agit du niveau assez faible des rémunérations, puisqu’un quart à peu près de la population qui a répondu à l’enquête dit avoir perçu en moyenne sur l’année 2009 un salaire mensuel net inférieur à 1250 euros. On verra qu’avec les catégories que l’on a distinguées par la suite, les disparités sont un petit peu différentes.

Qui sont les plus précaires ? Des femmes plus souvent que des hommes : 60% des répondants. Elles constituent à peu près 9/10° des fonctions administratives. Si on met en relation le sexe et le niveau des rémunérations, on observe qu’une femme sur trois gagne moins de 1250 euros par mois, tandis que c’est le cas d’un homme sur cinq.

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[1Le rapport est accessible ici : http://www.precarite-esr.org/

[2Voir aussi l’interview vidéo des auteurs de l’enquête : http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article3509

[3Le Powerpoint de la présentation se trouve à cette adresse : http://www.archive.org/details/8SeanceSeminairePolitiquesDesSciencesEnqueteSurLaPrecariteDans