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A propos de la liste des revues d’histoire et de philosophie des sciences de l’AERES (Sophie Roux), 5 février 2010

dimanche 7 février 2010, par Laurence

Cette synthèse a été préparée par Sophie Roux, à l’aide d’arguments échangés sur la liste Theuth depuis la mi-janvier.

Dans l’histoire de la controverse sur les classements des revues qui s’écrira peut-être dans une vingtaine d’années, l’histoire des sciences occupera sans doute une place particulière.

On se souvient en effet que, suite à la publication des listes de l’ERIH, les rédacteurs en chef des revues internationales d’histoire des sciences et de la médecine avaient rédigé l’appel Journals Under Threat. Dans cet appel impitoyable, ils ne se contentaient pas de critiquer les défauts d’une liste particulière, ils condamnaient toute liste dans son principe ; ils ne se contentaient pas de belles paroles, mais demandaient que les titres des revues qu’ils avaient en charge soient effectivement retirées des listes de l’ERIH : et, comme ceux qui prenaient ces positions étaient de bons élèves, qui avaient obtenu A, on ne pouvait les soupçonner de quelque ressentiment ou quelque aigreur que ce soit.

Sans avoir pris les moyens de prouver ce que j’avance, il me semble que trois sortes de raisons ont dû intervenir dans cette soudaine détermination des historiens des sciences :

- les membres de la commission de l’ESF ne comprenaient aucun historien des sciences, mais uniquement des philosophes des sciences qui ont, par un biais naturel, privilégié ce qu’ils connaissaient ;

- la communauté des historiens des sciences étant assez réduite et très internationale, une coordination rapide et effective a été possible ;

- les historiens des sciences ayant pour profession d’étudier la transformation des savoirs, y compris parfois en prenant en compte des facteurs sociaux et institutionnels, ils ont sans doute été plus sensibles que ceux qui ne fréquentent que le ciel des idées aux pratiques du pouvoir que révélaient ces listes.

Quoi qu’il en soit, il était naturel de supposer que, après que l’appel Journals Under Threat avait été publié comme éditorial dans toutes les revues d’histoire des sciences, aucune liste ne serait constituée dans cette discipline. Un nouvel épisode, spécifiquement français, vient de démentir cette hypothèse. L’AERES a en effet rendu publique en janvier 2010 une liste de revues en histoire et philosophie des sciences, qui identifie un ensemble de revues professionnelles, selon les critères usuels (lecture en double aveugle, comité scientifique et comité de rédaction), et distingue dans cet ensemble deux sous-ensembles selon « la qualité et le rayonnement de la revue ».

Les listes se succédant à la manière des réformes, c’est-à-dire en ajoutant de nouveaux problèmes sans résoudre aucunement les anciens, on retrouve dans cette liste les défauts de la première liste de l’ERIH, dont les membres de la commission d’actualisation déclarent explicitement s’être inspirés, plus des défauts idiosyncrasiques.

Ainsi, en ce qui concerne la reconduction de l’ancien, on est en général frappé par le biais manifeste en faveur de la philosophie des sciences, au détriment de la sociologie des sciences pour aller aux extrêmes (les Social Studies of Science sont relégués au deuxième rang). On est plus particulièrement perplexe devant des anomalies si nombreuses qu’on en vient à penser que cette liste a été faite au petit bonheur la chance :

- Pourquoi placer Medical History et le Journal of History of Medicine en première position et le Journal of History of Biology en deuxième, alors qu’elles sont strictement équivalentes par leur rayonnement ?

- Archive for History of Exact Sciences est en première position dans la liste, alors qu’elle ne devrait pas y figurer étant donné l’absence de procédures claires de sélection des articles. En revanche la Revue d’histoire des mathématiques ou Early science and medicine sont classées au second rang, sans qu’on n’y voit d’autre raison que leur relative jeunesse (moins de vingt ans, c’est le bel âge).

- Technology and culture est classée en seconde position alors que c’est LA revue phare de l’histoire des techniques, au contraire d’History and Technology.

- On ne comprend pas bien ce que font dans cette liste de « publications comportant principalement des articles de recherche en histoire et philosophie des sciences » le Croatian Journal of Philosophy (1), Historiographia linguistica (2) ou Phronesis (1) ?

Etc., etc.

Mais, évidemment, le problème n’est pas que cette liste soit effectivement mal faite — si c’était le cas, il serait possible de la corriger —, elle est qu’elle est viciée par la procédure qui a conduit à sa constitution, et c’est cela qu’il faut entendre par « défauts idiosyncrasiques » :

- La commission d’actualisation de la liste doit en effet rassembler « des représentants du CoCNRS et du CNU, des membres de l’IUF, des personnalités qualifiés étrangères ». Etant donné le refus des classements en histoire des sciences, la constitution d’une telle commission risquait d’être difficile. Mais surtout, un problème de principe se pose : que veut-on dire lorsqu’on dit qu’un membre du CNU a été membre d’une commission ? Pour qu’un membre du CNU participe aux commissions de l’AERES qua membre du CNU, il faudrait qu’il soit mandaté par le CNU ; s’il ne l’est pas, c’est simplement qua personne, sollicité par le délégué scientifique de l’AERES. L’ambiguïté qui a été entretenue entre les personnes et les fonctions renvoie évidemment à la restauration de rapports de dépendance personnels, alors que la sagesse de l’histoire nous avait appris l’importance des institutions.

- Le cas de la liste d’histoire et de philosophie des sciences est particulièrement scabreux puisque certains membres de la commission ne sont ni philosophes des sciences ni historiens des sciences. De source sûre, on nous indique qu’en réalité ces membres n’ont pas participé à la constitution de la liste, mais que, en revanche, des personnalités dont le nom n’est pas mentionné dans le document de l’AERES ont été consultées étant donné leurs compétences en histoire et philosophie des sciences. Autrement dit, sont affichés des noms de collègues n’ayant pas procédé au classement et ne sont pas affichés les noms de collègues ayant procédé au classement. Il y a ici encore quelque chose d’assez remarquable : plus personne n’est responsable de ces listes, ce sont des émanations d’on ne sait qui on ne sait où on ne sait à quel titre…

Ce sont ces dysfonctionnements manifestes qui sont à l’origine de l’échange entre deux membres du bureau de la section 72 du CNU et la déléguée scientifique en philosophie, Sandra Laugier, échange rendu public sur la liste Theuth et que nous reproduisons ci-dessous.

La réponse de cette dernière est particulièrement intéressante car on y trouvera le credo quotidien des experts de l’AERES :

Pour mettre fin à ce suspens insoutenable et lire la réponse de Sandra Laugier, ainsi que les échanges entre celles-ci et Gilles Denis et Alain Herreman, voir le blog "Evaluation de la recherche en SHS"