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Des primes, pour quoi faire ? - Didier Chatenay, Le Mensuel de l’Université, 18 décembre 2009

vendredi 18 décembre 2009, par Jean-Pierre

Dans un grand mouvement de générosité envers le monde académique, la Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, Valérie Pécresse, a décidé récemment de créer un système de primes destinées aux chercheurs et aux enseignants-chercheurs : la Prime d’Excellence Scientifique (PES). Cette initiative, qui se présente comme un vaste plan de revalorisation des carrières au sein du monde académique, a été accueillie froidement par la plupart des organisations syndicales et des associations, ainsi que par certaines instances représentatives de la communauté scientifique (conseils scientifiques et sections du Comité National du CNRS, de l’INRA).

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On peut s’étonner d’une telle réticence face à cette soudaine générosité, étonnement qui ne peut que grandir quand on analyse la situation actuelle, tant le système de primes est aujourd’hui répandu ! Qu’est-ce qui, dans cette prime, est inacceptable ?

D’ordinaire, les primes résultent de mouvements sociaux dont l’objectif central est la revalorisation des rémunérations ; elles sont donc le fruit de compromis lors de négociations salariales. Ces primes sont par ailleurs attribuées de manière systématique à l’ensemble des personnels concernés.

Rien à voir, donc, avec la PES, qui a été mise en place en dehors de toute négociation salariale et sans aucune concertation avec la communauté concernée. Précisons également qu’il existe déjà dans le domaine de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR) un système de primes lié à des fonctions exercées par les différentes catégories de personnels. Autre point de démarcation avec la PES donc, puisque celle-ci ne relève pas non plus de ce schéma : elle n’est associée à aucune fonction.

Autant de raisons de s’en réjouir diront certains ! Certes, encore faut-il analyser le mode d’attribution de cette nouvelle prime et le resituer dans le contexte du déroulement des carrières au sein du monde académique. De ce point de vue, l’appellation de cette nouvelle prime est révélatrice puisqu’il y est question d’excellence scientifique. Est-ce à dire que cette excellence n’était jusqu’alors pas reconnue ? Au lieu de nous dissimuler derrière une prime, regardons la situation en face.

Le véritable problème, de fait, réside dans la difficulté des promotions au sein du monde académique(1), tant est faible leur nombre eu égard à la population concernée. S’agissant des carrières des personnels de soutien à la recherche, on ne peut là aussi que regretter une situation où la progression professionnelle est scandaleusement lente en regard des qualifications de la plupart des personnes engagées dans ces métiers.

Dans tous les cas, comment ne pas déplorer les niveaux de salaires ridiculement bas au moment de l’embauche ? La seule création d’une prime d’excellence scientifique est donc loin de répondre à ces problèmes. Et pire encore, l’idée d’instaurer une prime sous-entend que la fonction publique est sclérosée, inefficace, loin des enjeux de la compétitivité, et qu’elle ne deviendrait performante qu’au prix d’une récompense extraordinaire, alors même qu’on ne devrait éprouver qu’admiration devant le dévouement et la compétence de la plupart des personnels de l’ESR, dont les talents n’obtiennent aucune reconnaissance par des déroulements de carrières décents.

Si le but est donc bien de rendre hommage à l’excellence de l’ensemble des personnels de l’ESR, il est évident qu’il existe d’autres moyens de le faire. Qui plus est, le choix d’individualiser l’attribution de cette PES ne peut que consterner dans le contexte actuel de l’organisation de la recherche en France.

Une des originalités du système français réside dans l’existence de structures collectives s’appuyant sur la présence d’un personnel de soutien à la recherche (personnels techniques et administratifs) et c’est bien ce fonctionnement qui — malgré une politique qu’on a pu juger assez peu ambitieuse de la part de l’État durant ces 20 dernières années — a permis aux scientifiques français d’apporter des contributions de grande qualité dans divers domaines de la science moderne.

On ne peut que craindre que cette organisation, déjà déstabilisée par les multiples réformes récentes(2), soit profondément bouleversée par un mécanisme de rétribution financière faisant la part belle à l’individualisme.

Il n’est pas question ici de nier l’aspect élitiste des activités de recherche, habitués que sont les enseignants et les chercheurs à briguer de manière systématique la meilleure reconnaissance de la part de leurs communautés. Le but est plutôt d’attirer l’attention sur de profonds bouleversements en cours. La création de cette PES en constitue un qui, loin d’être mineur, contribue à mettre en péril une organisation que l’on peut certes critiquer, mais dont on risque fort de s’apercevoir trop tardivement qu’elle avait des vertus inestimables.

Alors même que certains sont obnubilés par la notion d’efficacité, de compétitivité, il n’est pas sûr que les voies choisies à l’heure actuelle pour la recherche et l’enseignement supérieur soient les plus judicieuses pour favoriser ces autres notions importantes que sont, dans ce domaine, l’inventivité et la créativité.

Didier Chatenay fut lui même médaillé d’argent au CNRS en 1999 et était donc un bénéciaire potentiel de la prime évoquée dans cet article.