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Mobilisation dans l’éducation contre les entorses à l’école républicaine - par Louise Fessard, Mediapart, 15 décembre 2009

mardi 15 décembre 2009, par Elie

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Etudiants et formateurs des instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) défilent aujourd’hui dans plusieurs villes contre la réforme de la formation des enseignants. Mais sous le slogan « parce qu’enseigner est un métier qui s’apprend », cette journée regroupe bien plus que les défenseurs des IUFM : l’intersyndicale va des fédérations enseignantes (FSU, Unsa-Education, Sgen-Cfdt et Fep-Cfdt dans l’enseignement privé) aux étudiants de l’Unef, en passant par les parents de la FCPE et les lycéens de l’UNL et de la Fidl.

Car derrière un débat sur une réforme « si technique que même les personnes qui sont dedans s’y perdent », reconnaît un instituteur stagiaire, sourd une inquiétude bien plus profonde sur l’avenir de l’école. « Quand un gouvernement remet en question toute la recherche en sciences de l’éducation depuis 60 ans, la pédagogie différenciée, la carte scolaire..., tu te dis, ce n’est pas possible, ils veulent tuer l’enseignement public ouvert à tous », s’interroge le même enseignant, Pascal Pons, interrogé lors d’un reportage à l’IUFM d’Aix-Marseille. « Le problème, c’est la vision que le gouvernement a de l’enseignement : le prof parle, les élèves écoutent. »

« Il faut arrêter de penser qu’on devient prof comme ça, spontanément, estime également dans un entretien le directeur de l’IUFM d’Aix-Marseille, Jacques Ginestié. On est en train de mettre à bas l’idée même d’une éducation de qualité. »

Les manières se sont certes policées avec l’arrivée au ministère de l’éducation d’un Luc Chatel plus ouvert au dialogue que son prédécesseur, Xavier Darcos. Au salon européen de l’éducation de novembre, les fédérations enseignantes se réjouissaient du passage du ministre parmi leurs stands – « l’an dernier, Xavier Darcos n’était même pas venu nous saluer », glissait un représentant du Sgen-Cfdt. Si le ton a changé, les faits eux s’accumulent et dessinent une autre réalité du système éducatif. Petite revue des signaux d’alerte depuis les projets de contractualisation avec des établissements supérieurs privés, récemment révélés par Le Monde, jusqu’aux conséquences de la suppression de la carte scolaire.

« L’Etat organise la concurrence de son propre service public »

La loi de finances 2010, actuellement en commission mixte paritaire, doit entériner 16.000 nouvelles suppressions de postes dans l’éducation nationale qui alarment même le rapporteur de la commission des finances, Yves Censi (UMP). « Les gains de productivité semblent avoir été réalisés, écrit-il dans son rapport. Si l’on veut par la suite continuer à diminuer les emplois, dans une optique de réduction de la dépense publique à long terme, il faudra alors modifier en profondeur le système éducatif et les méthodes d’enseignement. »

Dans ce contexte de pénurie budgétaire, le gouvernement manœuvre discrètement sur un autre front, celui de l’enseignement privé. Officiellement, il n’est pas question de remettre en question la loi Debré de 1959 qui, en instaurant un système de contrats entre l’État et les écoles privées volontaires, a mis fin à la guerre scolaire. Mais si le président de la République n’entonne plus son refrain sur la « laïcité positive », les anicroches se multiplient à la marge. Le 12 décembre 2009, Le Monde a ainsi révélé que l’Etat s’apprêtait à passer contrat avec cinquante-huit établissements privés d’enseignement supérieur, dont les cinq instituts catholiques (Paris, Lille, Angers, Lyon et Toulouse) et des écoles de commerce comme Essec, Edhec ou Essca. A la clef : une augmentation de 4,5 millions d’euros de la subvention qui s’élevait en 2009 à 62 millions.

Le 18 décembre 2008, lors d’un accord avec le Vatican, la France avait déjà reconnu les diplômes ecclésiastiques (théologie, philosophie, droit canonique) et profanes décernés par les établissements catholiques d’enseignement supérieur « dûment habilité par le Saint-Siège ». Une décision, concrétisée par le décret du 19 avril 2009, qui mettait ainsi fin, sans consultation du Parlement, au monopole des universités publiques sur l’attribution des titres universitaires.

En septembre 2009, c’était au tour de l’enseignement primaire avec l’adoption de la loi Carle qui oblige, dans certains cas de figure, les maires à contribuer au coût de scolarisation des enfants de sa commune scolarisés dans l’école privée d’un autre village. Au risque de « voir s’aggraver une hémorragie scolaire déjà déclenchée par l’assouplissement de la carte scolaire », mettait alors en garde la députée socialiste de Haute-Garonne, Martine Martinel.

A la rentrée 2008, l’Etat créait un fonds spécial, taillé à la mesure de l’enseignement catholique, pour encourager la création de « 50 nouvelles classes de l’enseignement privé dans les banlieues ». Une volonté réitérée dans les documents annexes du budget 2010 qui précisent que l’enseignement privé est « associé au volet éducatif de la dynamique“Espoir banlieues” depuis la rentrée scolaire 2008 en ouvrant des classes sous contrat d’association dans les banlieues dites difficiles ». « En finançant a priori, l’Etat organise la concurrence de son propre service public », s’indignait alors Eddy Khaldi, coauteur de Main basse sur l’école publique.

Même logique dans l’enseignement agricole où la baisse des moyens, année après année, fragilise les établissements publics. « Le privé représente désormais 63% des élèves, voire plus de 80% dans certaines régions », s’inquiétait en juillet 2009 Olivier Bleunven, du Snetap-FSU, syndicat majoritaire au sein de l’enseignement agricole, qui dénonce « une politique cachée de privatisation ».

Assouplissement en trompe-l’œil

Autre discours en trompe-l’œil, celui sur la suppression de la carte scolaire qui affichait un double objectif : faire plaisir aux familles qui veulent choisir librement l’établissement de leur enfant et renforcer la mixité sociale. Trois ans après, la Cour des comptes constate l’inverse. Loin de profiter aux élèves les plus modestes, l’assouplissement de la carte scolaire contribue à la ghettoïsation des collèges “Ambition réussite”, en les vidant de leurs meilleurs élèves. Selon le rapport présenté le 3 novembre 2009 devant la commission des finances, sur 254 établissements “Ambition réussite”, 186 ont perdu jusqu’à 10% d’élèves.

Depuis 2007, les signaux d’alerte n’avaient pourtant pas manqué. Dès la rentrée 2007, deux inspecteurs, Jean-Pierre Obin et Christian Peyroux, remettaient un rapport alarmant au ministre de l’éducation de l’époque, Xavier Darcos. Révélé en juin 2008 par Le Monde, le rapport fut alors qualifié de « double ânerie » par Xavier Darcos.

Mais à la rentrée 2009, le premier collège “Ambition réussite” fermait, dans un quartier défavorisé d’Avignon, après avoir perdu près de la moitié de ses effectifs. Un sénateur UMP du Vaucluse, Alain Dufaut, s’insurge alors contre « les effets pervers de l’assouplissement ». Alors certes le lycée d’élite Henri-IV est passé de 3 à 6% de boursiers en seconde. Mais parallèlement, cette mesure « a eu tendance à vider les établissements des quartiers défavorisés de leurs meilleurs élèves », regrette-t-il. Ouvrant ainsi les yeux de chacun sur un aveuglement volontaire et idéologique.