Accueil > Communiqués et textes de SLU > Recrutement des enseignants-chercheurs

Recrutement des enseignants-chercheurs

vendredi 30 novembre 2007, par Laurence

RECRUTEMENT DES ENSEIGNANTS-CHERCHEURS

A/ ETAT DES LIEUX

1. Situation pré-LRU

a/ La législation

Décentralisé depuis longtemps, le recrutement des enseignants chercheurs relève de commissions de spécialistes de la discipline concernée, appartenant pour environ 60% d’entre eux à l’université et élus par leurs collègues de la même discipline selon une procédure réglée par la loi nationale, et, pour le reste, à d’autres universités (ces spécialistes extérieurs peuvent être remplacés par des non-spécialistes de la même université). Ces commissions de spécialistes élisent un candidat (dont le dossier aura préalablement été déclaré recevable par le Conseil National des Universités) selon des procédures définies par la loi au terme de deux étapes : examen d’un dossier réduit (sans les travaux des candidats) ; entretien (précédé théoriquement d’un examen des travaux) avec le candidat (durée 10 à 30 mn)

b/ Les problèmes :

  • nombreuses irrégularités contre lesquelles les recours sont difficiles
  • fréquente incapacité des extérieurs à contrebalancer le tropisme localiste (on choisit souvent des extérieurs très liés aux intérieurs)
  • extérieurs et candidats requis au même moment dans deux commissions
  • pressions diverses du président d’université qui peut entre autres décider de la constitution de commissions conjointes
  • temps insuffisant consacré à l’examen des dossiers et à l’entretien avec les candidats (calendrier à la fois insuffisamment réglé par l’Etat et parfois mal organisé par les présidents de commission) Le fonctionnement des Commissions de spécialistes présente donc des garanties insuffisantes contre les pressions diverses dont elles sont l’objet, et débouche de fait sur des recrutements souvent marqués par le localisme et le clientélisme.

2. LRU

a/ La loi

Aux « commissions de spécialistes », la loi LRU (article 25) substitue un « comité de sélection » dont les membres sont proposés par le président de l’université et lui seul (sans autre contrainte que d’être choisis en majorité parmi les spécialistes en fonction de leur compétence et pour moitié parmi des extérieurs à l’établissement :
« Le comité est composé d’enseignants-chercheurs et de personnels assimilés, pour moitié au moins extérieurs à l’établissement, d’un rang au moins égal à celui postulé par l’intéressé. Ses membres sont proposés par le président et nommés par le conseil d’administration siégeant en formation restreinte aux représentants élus des enseignants-chercheurs et personnels assimilés. Ils sont choisis en raison de leurs compétences, en majorité parmi les spécialistes de la discipline en cause et après avis du conseil scientifique. En l’absence d’avis rendu par le conseil scientifique dans un délai de quinze jours, l’avis est réputé favorable. Le comité siège valablement si au moins la moitié des membres présents sont extérieurs à l’établissement. » (art. 25)

Le président se voit de surcroît accorder le pouvoir de refuser le candidat choisi par ce « comité de sélection » (articles 6 et 25). La même procédure vaut pour le recrutement, désormais autorisé par la loi, des enseignants-chercheurs contractuels en CDD et CDI (article 19).

b/ Les problèmes

  • Le pouvoir de proposer les membres du « comité de sélection » est réservé au président (le CA peut rejeter mais non proposer, le CS n’est que consulté, et de façon désinvolte). Or le président, dans l’écrasante majorité des cas, n’a pas de compétences dans la discipline concernée par le recrutement. Dans le meilleur des cas, il se fiera pour la composition de ce comité à des avis qu’il estimera autorisés mais qui seront peut-être guidés par des intérêts non scientifiques (intérêt du laboratoire auquel appartient le « conseilleur », alliances locales ou nationales diverses etc). Dans le pire des cas, il proposera des noms en fonction de ses propres intérêts (clientélisme renforcé par le renouvellement désormais possible de son mandat).
  • Les enseignants-chercheurs relevant de la discipline concernée ne représentent qu’une majorité des membres du comité de sélection (contrairement à la pratique des universités étrangères). Celui-ci est donc peu apte à juger de la qualité scientifique des candidats (cf. les problèmes posés par les cas déjà existants de commissions rassemblant plusieurs disciplines).
  • La procédure de recrutement est non-réglée (sinon par la clause stipulant que « le comité siège valablement si au moins la moitié des membres présents sont extérieurs à l’établissement ») et se prête donc à toutes les dérives et arbitraires.
  • Le recrutement en CDD ou CDI présente trois inconvénients :
    • non-obligation d’un appel d’offre du type publication au Journal Officiel, et donc risque d’une diffusion restreinte favorable aux locaux ou aux « initiés »
    • prolongation la période de précarité déjà réelle des débuts de carrière (vacataires, ATER)
    • dans une situation de restriction ou de non-création de postes de titulaires (telle par exemple que la prévoit le gouvernement pour l’année à venir, et sans doute les prochaines années), presque tous les recrutements relèveront du CDD ou du CDI, soit un système infiniment plus précarisant que la « tenure » généralement pratiquée dans les universités américaines (titularisation obtenue un nombre déterminé d’années de fonction)

Le pouvoir accordé au président de l’université en matière de recrutement des enseignants-chercheurs est donc à l’opposé des systèmes anglo-saxons souvent cités en modèle par les partisans de la LRU, puisque ces systèmes érigent une « muraille de Chine » entre gestion administrative et gestion scientifique. Le fonctionnement actuel des « commissions ad hoc » (aux membres nommés par le président de l’université) pour le recrutement de certaines catégories d’enseignants ne permet guère d’être optimiste sur l’utilisation que feront les présidents du nouveau pouvoir qui leur est dévolu.
Loin de remédier aux maux dont souffre le recrutement des enseignants-chercheurs, la LRU généralise et aggrave donc les dérives actuelles vers le localisme et le clientélisme, préjudiciables à la qualité scientifique des nouveaux recrutés. Ce danger a été souligné par de nombreuses instances officielles et représentatives des enseignants-chercheurs (avis rendu en juin 2007 par la Conférence permanente du Conseil National des Universités) ainsi que par des organisations par ailleurs favorables à la LRU (voir les propositions d’amendement formulées par l’Association pour la Qualité de la Science Française dans un document daté du 14 juillet 2007)

B/ POUR OUVRIR LE DEBAT : PISTES POSSIBLES POUR UNE REFORME
L’orientation ici suggérée est celle d’un maintien des Commissions de spécialistes avec réforme de leur fonctionnement.

  • Renforcer le pouvoir régulateur de la loi :
    • l’État pourrait donner aux commissions le temps de l’objectivité en fixant :
      • des délais (durée éventuellement étalée sur plusieurs mois) qui permettent d’examiner convenablement les dossiers, en prenant réellement connaissance des travaux.
      • une durée décente d’entretien avec les candidats qui ressemble davantage aux conférences déjà en usage dans certaines universités américaines et certains laboratoires de recherche français.
      • un calendrier qui évite aux candidats et aux membres extérieurs d’être réputés présents en même temps auprès de plusieurs commissions.
  • Revoir le mode de désignation des membres extérieurs. Pourrait-on imaginer
    • qu’une instance nationale (CNU ?) tire au sort les extérieurs affectés à chaque commission ?
    • que soit désigné selon la même procédure, un enseignant-chercheur étranger pour chaque commission ?
  • Donner des recours juridiques efficaces. Peut-on imaginer
    • qu’un magistrat soit affecté à chaque université et assiste aux délibérations des commissions de spécialistes (ainsi que des Conseils, autres lieux de fréquentes irrégularités) ?
    • qu’au niveau national une instance soit spécifiquement chargée des litiges (le CNU n’est, semble-t-il, guère efficace dans cette fonction) ?
  • Interdire le recrutement dans l’université d’inscription de la thèse.
  • Procéder à un appel d’offre international s’ajoutant à la publication des postes au Journal Officiel

Pour un autre type d’orientation, qui conserve en partie le dispositif prévu par la LRU (comité de sélection) mais en l’amendant sur certains points (en particulier en transférant du président au Conseil Scientifique le pouvoir de proposer les membres du comité de sélection), nous renvoyons au document de l’Association pour la Qualité de la Science française déjà mentionné.

Cette rubrique est coordonnée par Marie-Pierre Gaviano (Université de Besançon), Christine Noille-Clauzade (Université de Grenoble 3) et Christine Cadot (Université Paris VIII).