Accueil > Structures de la recherche (organismes, ANR…) > Affaire Geisser : lettre ouverte à V. Pecresse, communiqué O. Roy, Collectif (...)
Affaire Geisser : lettre ouverte à V. Pecresse, communiqué O. Roy, Collectif pour la sauvegarde de la liberté intellectuelle des chercheurs et enseignants-chercheurs de la fonction publique (10 juin 2009) Réponse de V. Pécresse (11 juin 2009)
samedi 13 juin 2009, par
Pour signer la pétition de soutien à Vincent Geisser
Voir le texte de soutien voté par le CA de SLR
La lettre ouverte ci-dessous a été publiée sous forme de Tribune dans l’Humanité du 10 juin 2009
L’influence des savants et des intellectuels est certes quelque peu en déclin dans notre nouveau modèle de société. Chercheurs, universitaires et intellectuels n’en continuent pas moins de creuser leur sillon, faisant fi du bruit et de la fureur extérieurs. Ce qui ne signifie pas qu’ils vivent dans des bulles hors du monde. Au contraire, ils sont plus investis que jamais dans la mission qui est la leur : contribuer avec d’autres à apporter à leurs concitoyens cet élément de pensée critique indispensable à la préservation de la démocratie. Grâce aux réseaux qu’ils tissent par la circulation de leur pensée et de leur parole, au-delà des préjugés, des mythes ou des frayeurs en vogue et de leur instrumentalisation, ils n’ont de cesse d’agir au nom de la liberté et de l’impartialité, quelles que puissent être par ailleurs leurs éventuelles appartenances religieuses ou affinités politiques. Nos sociétés, trop souvent soumises aux diktats des médias et de l’internet, ont besoin de cette parole libre, au seul service des principes de la démocratie, évoluant sans entraves et produisant du savoir, de la connaissance et de la réflexion. Il se trouve que dans notre pays la majorité des intellectuels appartient à la fonction publique, ce qui ne signifie pas qu’ils soient de quelque façon inféodés à des institutions ou au pouvoir politique, même s’il existe certes parmi eux des intellectuels organiques. Si la liberté est nécessaire pour penser et écrire, il va de soi que l’obligation de réserve qui s’applique en général à certaines catégories de fonctionnaires ne peut aucunement s’appliquer à leur cas, sauf à n’attendre d’eux que la reproduction d’une doctrine officielle et stérile. Aujourd’hui, la convocation devant une commission disciplinaire, de notre collègue Vincent Geisser, chercheur au CNRS, accusé de n’avoir pas respecté cette " obligation ", constitue un signe supplémentaire et particulièrement alarmant de l’idée que les institutions de notre pays semblent désormais se faire de notre rôle. Devrons-nous donc soumettre nos articles, nos livres, nos prises de position publiques à l’approbation de leur censure, alors qu’aucune consigne ne devrait émaner d’elles si ce n’est celle de la rigueur intellectuelle et de la créativité qui accompagne toute recherche ? Quels compromis honteux devrons-nous accepter pour échapper à l’humiliation d’un conseil de discipline ? La France, pays des droits de l’homme et de la liberté d’expression, est-elle en train de perdre son âme ? Comment continuer à faire notre travail, à assumer pleinement notre vocation, sous la menace constante de la sanction ? Que sommes-nous ? De simples courroies de transmission des idées qui ont l’agrément de nos dirigeants et des institutions qui nous emploient, ou des hommes et des femmes autonomes exerçant leur métier librement, en toute responsabilité, en toute honnêteté, et au service d’une recherche, d’une pensée et d’un savoir libres de tout carcan idéologique, n’ayant d’autre limite que la considération du bien commun ? L’obligation de réserve ne peut en aucun cas valoir pour les intellectuels, y compris lorsqu’ils sont fonctionnaires. Les y soumettre revient purement et simplement à les faire disparaître comme intellectuels, c’est ruiner la liberté dont ils ont besoin pour continuer leur œuvre salutaire, indispensable à la vie normale d’un pays politiquement sain, et qui a besoin d’eux pour son équilibre. Ce qui arrive à notre collègue Vincent Geisser, qui a le malheur de travailler sur l’islam, sujet brûlant s’il en est, est d’une extrême gravité et interpelle tous les citoyens de ce pays. Le traitement indigne auquel il est soumis est une honte pour la profession et pour la France.
COMMUNIQUE D’OLIVIER ROY
« Je tiens à apporter mon témoignage personnel sur l’attitude du haut fonctionnaire de défense, car il ne s’agit pas d’un conflit personnel entre lui et Vincent Geisser, mais bien d’une attaque systématique envers les chercheurs qui refusent les clichés sur l’islam. En 2007-2008, j’ai reçu un mail signé du haut fonctionnaire de défense me reprochant de mieux traiter l’islam que le christianisme. Estimant que cette personne n’avait pas à faire état de ses fonctions en exprimant ses opinions personnelles à l’encontre d’un fonctionnaire sur qui il pouvait avoir autorité, et en accord avec mon directeur de laboratoire, j’ai ignoré ce message et je l’ai mis en spam. Il apparaît maintenant qu’il s’agissait d’une sorte de provocation et je regrette d’avoir traité cette affaire simplement par le mépris.
Olivier Roy
Directeur de recherche au CNRS »
COLLECTIF POUR LA SAUVEGARDE DE LA LIBERTÉ INTELLECTUELLE DES CHERCHEURS ET ENSEIGNANTS-CHERCHEURS DE LA FONCTION PUBLIQUE
COMITÉ DE LANCEMENT
1. Ghislaine ALLEAUME, directrice de recherches au CNRS, directrice de l’IREMAM
2. Jean-Christophe ATTIAS, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études
3. Etienne BALIBAR, professeur émérite à l’Université de Paris 10 Nanterre
4. Nicolas BANCEL, professeur à l’Université de Strasbourg, détaché à l’Université de Lausanne
5. Jean BAUBEROT, Professeur émérite de la chaire Histoire et sociologie de la laïcité à l’Ecole pratique des hautes études
6. Esther BENBASSA, directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes études
7. Daniel BENSAÏD, professeur de philosophie à l’Université de Paris 8
8. Pascal BONIFACE, géopolitologue, Université de Paris 8
9. Marie-Françoise COUREL, directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes études, présidente honoraire de l’EPHE, ancienne directrice scientifique du département SHS du CNRS
10. Denis CROUZET, professeur à l’Université Paris-Sorbonne (Paris 4)
11. Alain DE LIBERA, professeur d’histoire de la philosophie médiévale à l’Université de Genève, directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études
12. Christine DELPHY, directrice de recherche émérite au CNRS
13. Éric FASSIN, enseignant-chercheur à l’École Normale Supérieure
14. Nacira GUENIF, sociologue, maître de conférences à l’Université Paris Nord
15. Edgar MORIN, directeur de recherche émérite au CNRS
16. Laurent MUCCHIELLI, directeur de recherche au CNRS
17. Denis PESCHANSKI, directeur de recherche au CNRS, ancien directeur adjoint du département SHS du CNRS
18. Roshdi RASHED, directeur de recherche émérite au CNRS, professeur honoraire à l’Université de Tokyo
19. Olivier ROY, directeur de recherche au CNRS
20. Vincent TIBERJ, chercheur au Centre d’Etudes Européennes de Sciences Po et maître de conférence à Sciences Po
21. Tzvetan TODOROV, directeur de recherche honoraire au CNRS
22. Jérôme VALLUY, enseignant-chercheur, science politique, Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1, CRPS, TERRA)
PREMIERS SIGNATAIRES
23. Frédéric ABECASSIS, maître de conférences en histoire contemporaine, Université de Lyon, École normale supérieure Lettres et Sciences humaines, En délégation au Centre Jacques Berque pour les Etudes en Sciences humaines et sociales, Rabat
24. Amin ALLAL, Institut de recherche sur le Maghreb contemporain (IRMC), Tunis
25. Maria AMARA, doctorante en sciences politiques à l’IEP d’Aix en Provence
26. Françoise ASSO, écrivain, maître de conférences de littérature française à l’Université de Lille 3, membre du collectif "UNIvers.Cité"
27. Francis BAILLEAU, sociologue, directeur de recherche au CNRS
28. Hélène BELLOSTA, directeur de recherche honoraire, CNRS
29. Maïté BOUYSSY, maître de conférences (HDR) en histoire contemporaine à l’Université de Paris 1-Panthéon-Sorbonne
30. Noëlle BURGI, chercheure CNRS
31. Hélène CLAUDOT-HAWAD, directrice de recherche au CNRS
32. Albano CORDEIRO, retraité, CNRS
33. Michèle CREMOUX, Toulouse
34. Catherine CURRAN VIGIER, maître de conférences d’anglais, Université de Rouen
35. Laurence DE COCK, professeur agrégée d’histoire, formatrice à l’IUFM de Versailles
36. François DESPLANQUES, maître assistant retraité de l’Université de Nice Sophia Antipolis
37. Fabrice DHUME, sociologue, chercheur à l’ISCRA
38. Maryse ESTERLE HEDIBEL, enseignante-chercheure à l’IUFM Nord Pas de Calais, Université d’Artois, chercheure CESDIP
39. Colin FALCONER, formateur d’anglais à la retraite, actuellement intervenant à l’université de Paris 3 (Département de la Formation Continue)
40. Vincent FOUCHER, CR1 CNRS - Centre d’étude d’Afrique noire
41. Yvan GASTAUT, maître de conférences en histoire contemporaine à l’Université de Nice
42. Charles GIRARD, allocataire-moniteur en philosophie, Université Paris 1 Panthéon Sorbonne
43. Denis GRIL, professeur à l’Université de Provence, rattaché à l’IREMAM
44. Jean-François HAVARD, maître de conférences en science politique,
Université de Haute Alsace - Mulhouse
45. Béatrice HIBOU, directrice de recherche au CNRS, CERI-SciencesPo
46. Christine HUGUET, maître de conférences en littérature anglaise à l’Université Charles-de-Gaulle Lille 3
47. Florence HULAK, ATER en philosophie à l’Université Paris 1
48. Moritz HUNSMANN, doctorant en Recherches Comparatives sur le Développement, Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS), Paris, Albert-Ludwigs-Universität Freiburg, Allemagne
49. Rada IVEKOVIC, professeure des universités, Université de Saint-Étienne & Collège international de philosophie, Paris
50. Stéphanie LATTE ABDALLAH, chercheur à l’IREMAM
51. Sylvain LAURENS, maître de conférences en sociologie à l’Université de Limoges
52. Christian LE BART, professeur de science politique, IEP de Rennes
53. Jean-François BAYART , DR1 au CNRS (SciencesPo-CERI)
54. Liêm-Khê LUGUERN, professeur d’histoire-géographie, doctorante EHESS-IRIS
55. Sami MAHBOULI, doctorant, Université Montpellier 1, CEPEL
56. Antoine MATH, chercheur à l’Institut de Recherches Economiques et Sociales (IRES)
57. Gilbert MEYNIER, professeur émérite à l’Université de Nancy 2
58. Soulé NGAIDE, Cimade
59. Olivier NOËL, sociologue, ISCRA-INED
60. Alexandre PIETTRE, doctorant "sociologie du pouvoir" - CSPRP, Université de Paris 7, Ater science politique - DCS, Université de Nantes
61. Gildas RENOU, Université Rennes-1
62. Alain RUSCIO, chercheur indépendant
63. Jean SALEM, philosophe, professeur à l’Université Paris 1 (Panthéon-Sorbonne)
64. Pierre SALY, maître de conférences honoraire en histoire contemporaine à l’Université de Paris 1
65. Aude SIGNOLES, maitre de conférences en science politique, Université de Galatasaray, ?stanbul (Turquie)
66. Patrick SIMON, directeur de recherche à l’INED
67. Bahram SOLTANI, Maître de conférences, directeur de recherche, Université de Paris 1 Sorbonne
68. Éric SORIANO, chercheur au CSU-CNRS (Paris 8) et à CRISES (Montpellier 3), maître de conférences en science politique, Université Paul Valéry
69. Sylvie THENAULT, chargée de recherche, CNRS (Centre d’histoire sociale du XXe siècle, UMR 80 58)
70. Claire VISIER, maître de conférences en science politique, Faculté de droit et de science politique, Université Rennes 1, membre du CRAPE.
RÉPONSE DE V. PÉCRESSE
Pour lire la réponse de V. Pécresse à la lettre, veuillez ouvrir le document ci-dessous.
MESSAGE D’ESTHER BENBASSA SUR LA RÉPONSE DE V. PÉCRESSE
Pour la sauvegarde de la liberté intellectuelle des chercheurs et enseignants-chercheurs de la fonction publique
Chers collègues, chers signataires ou non-signataires de notre lettre ouverte à Valérie Pécresse,
Mercredi 10 au soir, la conseillère de Mme Pécresse pour les sciences humaines m’a téléphoné pour me demander de plus amples détails sur l’affaire V. Geisser. Pour ma part, j’ai demandé la suspension de la procédure disciplinaire engagée par le CNRS et le retrait de la plainte déposée en justice par J. Illand.
Je vous adresse en document joint la lettre que Mme Pécresse vient de m’envoyer, suite à cette conversation. Est-elle en mesure d’apaiser nos inquiétudes ? A vous d’en juger.
En ce qui me concerne, je considère que dès lors que « la liberté de pensée et d’opinion des chercheurs » est expressément garantie par Mme la Ministre, que le dossier constitué contre V. Geisser ne comporte en tout et pour tout qu’un mail, et que ce mail est privé (diffusé à l’insu de son auteur et contre sa volonté), il n’y a en tout état de cause ni diffamation susceptible de justifier une procédure judiciaire, ni matière à la réunion d’un conseil de discipline.
Pour garantir dans les faits et par l’exemple « la liberté de pensée et d’opinion des chercheurs », il convient de permettre à V. Geisser de sortir la tête haute de cette affaire. En revanche, si ce conseil de discipline se réunit, et pire le condamne, cela fera jurisprudence. Et l’on ne peut oublier que cette convocation intervient après quatre ans de harcèlement. Nous devrions soutenir V. Geisser jusqu’à ce que le CNRS suspende toute procédure à son encontre.
Nous ne pouvons accepter qu’une telle atteinte soit portée au fondement même de notre travail de chercheurs et d’enseignants-chercheurs.
Vous pouvez donc, si vous ne l’avez déjà fait, continuer à signer notre lettre sur le site : http://petition.liberteintellectuelle.net (en n’oubliant pas de répondre au mail de confirmation que vous recevrez après inscription). Sur la page d’accueil de ce site, vous aurez accès aux communiqués de soutien (associations professionnelles de sociologues, LDH, etc.) ainsi qu’à tous les articles parus sur cette affaire. Des papiers sont attendus dans Le Monde et Le Nouvel Observateur (versions papier).
Notre lettre a paru dans L’Humanité de ce mercredi 10 juin. Un grand nombre de sites continuent à la relayer.
Bien cordialement à vous, et merci pour votre attention, votre confiance et votre détermination,
Esther Benbassa, directrice d’études à l’Ecole pratique des hautes études