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"Xavier Darcos, Valérie Pécresse et la mastérisation", par Brigitte Perucca, "Le Monde", 24 mai 2009

dimanche 24 mai 2009, par Elie

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Les universités sont quasiment débloquées, mais les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM), eux, sont encore crispés. Même si Xavier Darcos, chargé de la réforme de la formation des professeurs, a en partie désarmorcé la grogne en repoussant sa mise en oeuvre d’un an, le problème n’est que différé. Cette "mastérisation" aura constitué la face cachée du mouvement qui agite les universités depuis huit semaines.

Tout sauf anodine, puisqu’elle modifie le niveau de recrutement et la façon dont vont être formés les professeurs de ce pays, cette réforme a une autre caractéristique : son traitement concerne certes au premier chef le ministère de l’éducation, qui recrute les professeurs mais a de fortes implications pour le ministère de l’enseignement supérieur qui les forme.

Xavier Darcos et Valérie Pécresse auraient dû en bonne logique penser et agir la réforme ensemble. Or le moins que l’on puisse dire est que les deux équipes ministérielles n’ont traité le sujet ni en harmonie ni même en commun. Pendant toute la durée de la crise, les deux ministres n’ont cessé - en privé - de se renvoyer la responsabilité de l’impasse dans laquelle se trouvait le mouvement des universités.

A chaque fois qu’on évoque devant elle les difficultés de mise en oeuvre, mais aussi le mal-fondé de la réforme de la formation des maîtres, la ministre de l’enseignement supérieur répond par un "joker" ! Cette réponse en forme de pied de nez signifie que Mme Pécresse n’approuve ni ne défend vraiment une réforme qui n’est pas la sienne. De surcroît, Mme Pécresse n’a pas été dupe de l’empressement de M. Darcos à vouloir réaliser la mastérisation si promptement : elle lui permettra d’économiser à terme des milliers de postes.

Cette mastérisation - qui vise à traduire concrètement le fait que tous les enseignants seront recrutés à bac + 5 - n’est pas seulement une mesure d’économie. C’est une réforme qui permet à M. Darcos de satisfaire tous ceux qui veulent en finir avec les IUFM. Créés par Lionel Jospin, ils sont honnis d’une bonne partie du monde académique et universitaire. Mais bizarrement, la contestation de cette réforme n’est pas venue des IUFM, muets dans un premier temps devant le dépeçage de l’aspect "professionnel" de la formation enseignante. Leurs critiques ont cependant fini par émerger, les directeurs d’IUFM regrettant que les nouveaux futurs enseignants soient "lâchés" sans formation devant des classes.

Les présidents d’université n’étaient pas mécontents de récupérer dans leur giron une formation que certains d’entre eux jugent confisquée par les "pédagogues" et dont le rattachement à l’université paraît logique. Mais comment s’y prendre, dans l’université telle qu’elle est, pour assurer à la formation d’enseignant le caractère professionnalisant dont elle a besoin ? Les universitaires, non préparés puisque mis à l’écart des préliminaires de la réforme, en ont réalisé assez vite les effets collatéraux.

Les enseignants-chercheurs se sont ainsi inquiétés de la création de cet "ovni" que risque d’être le master "enseignement". De quoi seront "faits" ces masters ? S’agit-il d’une sorte de "pot-pourri" de disciplines dont l’enseignement n’aurait, de fait, rien d’universitaire puisqu’il s’agit de garantir que les futurs professeurs des écoles possèdent bien les connaissances de base nécessaires ? Que deviendront ces jeunes en cas d’échec ? N’y a-t-il pas un risque que cette filière capte les meilleurs des étudiants en sciences humaines, ce qui, du coup, priverait ces filières de "bons" étudiants ? Que l’on juge ces critiques discutables ou irrecevables ne change rien à l’affaire : les choses auraient dû être dites et débattues avant d’être imposées.

De la même manière que l’on ne change pas par "décret" un rapport aussi complexe que celui de l’enseignement et de la recherche, on ne peut bousculer en quelques semaines, sous prétexte d’économies, une formation aussi sensible que celle des professeurs. Et il y a fort à parier que tous les aspects de la réforme auraient été mieux traités si un seul ministère avait piloté ladite réforme.

Car cette gestion morcelée ne tient pas seulement au fait que les titulaires des deux portefeuilles ne s’entendent pas. Elle démontre aussi que l’enseignement est un continuum difficile à scinder. Les incompréhensions et les malentendus autour de la mastérisation auraient peut-être été résolus plus tôt si le dossier avait été d’emblée étudié sous toutes ses facettes. Ce qui vaut pour la formation des maîtres peut s’appliquer à d’autres dossiers comme la réforme du lycée. Une bonne partie de l’argumentaire de M. Darcos pour "changer" le lycée repose sur l’idée qu’il ne prépare pas convenablement aux exigences de l’enseignement supérieur.

Et que dire si demain l’enseignement supérieur était séparé de la recherche de manière à "offrir" à Claude Allègre, l’ancien ministre de l’éducation de M. Jospin, le portefeuille sur mesure (la recherche et l’industrie) qu’il réclame ? Nul doute que les enseignants-chercheurs et les chercheurs, à qui M. Allègre n’a pas laissé que des bons souvenirs, auront du mal à s’y retrouver.


Brigitte Perucca, service Planète