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Universitaires, chercheurs et hospitaliers, tous ensemble dans les rues de Paris, par Clémence Holleville, Médiapart, 28 avril 2009

mardi 28 avril 2009, par Mathieu

Université de Jussieu, à Paris, mardi 28 avril, midi. Le cortège des universitaires et chercheurs tarde à s’ébranler. « D’habitude on commence nos manifestations plus tard », rappelle Jean Kister, secrétaire général du SNTRS-CGT, syndicat regroupant les personnels de la recherche. « Là, c’est pour converger avec les hospitaliers, les "lève-tôt" », plaisante-t-il. Les médecins et personnels-soignants de l’hôpital public ont en effet lancé leur défilé contre la réforme Bachelot une heure plus tôt, devant Montparnasse. Et les deux cortèges doivent se rejoindre à Port-Royal, après plusieurs semaines de mobilisation des enseignants-chercheurs et une contestation latente de plusieurs mois pour le personnel des infirmiers et aides-soignants. Ils seront entre 10.000 et 30.000 dans la rue (12.000 enseignants chercheurs selon le Snesup-FSU, 1.600 selon la police ; 18.000 à 20.000 contre la loi Bachelot selon la CGT, 9.000 selon la police).

Si la question d’un rassemblement avait été évoquée dès novembre par le collectif Sauvons la recherche, un des déclencheurs a été « l’appel des 25 », publié mi-avril dans le Nouvel Observateur. Un texte signé de plusieurs pontes des hôpitaux publics parisiens, dénonçant l’objectif de « rentabilité » du volet hospitalier de la loi « Hôpital, patients, santé et territoires ». « Subitement, l’incroyable proximité des problèmes et des revendications a frappé les universitaires », analyse Mathieu Brunet, porte-parole du collectif Sauvons l’Université.

Les projets réformant l’université et l’hôpital affichent bien des ressemblances. Elles sont pointées dans un tract commun aux deux cortèges. Passage à la gouvernance avec l’attribution de plus grands pouvoirs aux présidents d’universités ou directeurs d’hôpitaux, établissements de recherche mis sous tutelle de l’Agence nationale de recherche (ANR) et hôpitaux publics chapeautés par une Agence régionale de santé (ARS), critères quantitatifs d’évaluation des enseignants-chercheurs et de rémunérations des médecins...

Et derrière, les mêmes craintes quant à un futur désengagement financier de l’Etat, des suppressions de postes, une inégalité d’accès à l’enseignement ou aux soins, la disparition de filières moins « productives » comme les sciences humaines ou de services de soins moins « rentables ». C’est une vision commune du service public qui est revendiquée par les deux mouvements. Pour Isabelle This Saint Jean, présidente de Sauvons la recherche, « ça fait longtemps qu’on est convaincu qu’il faut converger avec les médecins ».

2La stigmatisation permanente des services publics2

Les méthodes du gouvernement présentent aussi des similitudes. Comme cette « politique de l’enfumage où l’on fait semblant de demander l’avis des professionnels concernés, pour outrepasser finalement toutes les instances et faire passer les réformes en force. Il y a une rhétorique de l’évidence, une stratégie qui utilise à la fois la menace et le mépris », poursuit Isabelle This. « Le gouvernement fait passer des réformes comme nécessaires alors qu’elles sont de nature profondément idéologiques, et portent une conception utilitariste des choses », ajoute-t-elle. Selon la militante, des rapprochements avec d’autres secteurs ne sont pas à exclure, comme avec les juristes ou encore les statistiques publiques.

Car le contexte politique actuel pourrait bien aussi expliquer en bonne part ce ras-le-bol commun de professions dont certaines sont pourtant peu habituées à la rue. « Au bout de deux ans de sarkozysme, où on s’en est pris de manière frontale à tous les services publics, sans aucune concertation... », soupire Jean Kister, pour expliquer ce « tous ensemble ». « Le recours à une stigmatisation permanente, le mépris face à l’activité des uns et des autres a conduit à faciliter le rapprochement entre des gens naturellement amenés à travailler ensemble », analyse le professeur Lyon-Caen, neurologue à La Pitié-Salpêtrière et signataire de l’appel des 25. La convergence des deux mouvements ? Une « évidence », contre un « même rouleau compresseur », se réjouissent des enseignants-chercheurs.

L’unité n’a pourtant pas toujours été évidente. Et ce, même si les liens entre les deux sphères existaient avant, « la plupart des chefs de service dans les hôpitaux sont aussi enseignants-chercheurs ! », précise André Baruchet, chef de service à l’hôpital Saint-Louis et Robert-Debré. « Mais les médecins sont généralement très mobilisés sur leur corps de métier, justifie-t-il. Il y aura un travail important à faire sur cette convergence. » D’autant qu’à l’époque du passage de la loi Pécresse sur l’autonomie des universités en 2007, préfigurant le décret sur les enseignants-chercheurs, nombreuses ont été les universités « à connotation médicale » à accepter d’être les établissements pilotes de la LRU.

De quoi bousculer l’idée d’une convergence totale des revendications ? Certains médecins semblent être revenus sur leur position, et affirment, à l’instar d’André Baruchet, que si « le problème n’était pas l’autonomie », ils déplorent aujourd’hui la délégation de la gestion et le pouvoir accordé aux présidents d’universités. Mais « je ne suis pas sûr que tous les chefs de service de CHU partagent la totalité des revendications des universitaires », lâche François Biette, gériatre. « Effectivement, on partage le souci de ne marchandiser ni la connaissance ni la santé. Mais dans le détail des revendications, c’est plus complexe », précise-t-il. Avant d’ajouter : « Le sujet du jour, c’est la demande de modification du projet Bachelot. »

2« C’est super qu’on se soit retrouvés »2

Car pour les hospitaliers, l’heure semble d’abord à l’expression de leurs revendications. En témoigne l’arrêt des deux cortèges devant le Sénat, où une délégation d’hospitaliers doit être reçue (des sénateurs de la majorité devaient d’ailleurs se rendre à Matignon, mardi après-midi, pour évoquer les amendements au texte « Hôpital, Patients, Santé et Territoire »). « C’est super qu’on se soit retrouvés, ça symbolise notre union face aux réformes du gouvernement, sourit Annie Fages, présidente de la CFTC-APHP. Mais c’est quand même deux choses différentes. Les universitaires nous avaient déjà proposé une convergence, on leur avait dit qu’on attendait [...] Aujourd’hui, on était d’accord pour manifester d’abord pour l’hôpital public. »

Reste que l’heure est à l’affichage d’unité. Certes, « tout le monde n’approuve pas ce que chacun pense », admet le professeur Alain Fisher, pédiatre à l’hôpital des Enfants-malades et signataire de l’appel des 25. « Mais on a des points d’accord, poursuit-il. Quand le président de la République a insulté les enseignants-chercheurs [dans son discours du 22 janvier], il nous a tous insultés. »

Quant aux universitaires et chercheurs, ils réitèrent plusieurs fois leur soutien « jusqu’au bout » aux hospitaliers. L’occasion aussi de donner un « nouveau départ » à la mobilisation contre les réformes Pécresse, après les vacances et le coup dur du passage du décret devant le conseil des ministres, le 22 avril. L’attitude du gouvernement face aux uns et aux autres pourrait aussi différer. « Je ne suis pas sûre que le gouvernement réagisse aussi mal avec les hospitaliers qu’avec nous », dit Isabelle This Saint Jean, évoquant des médecins et soignants plus populaires que les enseignants-chercheurs, avec lesquels on a voulu « faire un exemple ». Pourtant, « pas de logique de concurrence », affirme Mathieu Brunet. « Si les hospitaliers sont entendus, on sera ravi, assure-t-il. Leur combat, c’est le nôtre. »