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Réponse de Jean-Michel Roddaz, responsable du département SHS de l’ANR, au compte-rendu de Michel Barthélémy sur le "Grand Débat" ANR organisé à l’EHESS, 8 avril 2009

jeudi 9 avril 2009, par Elie

Cher collègue,

Je viens de recevoir par l’intermédiaire de l’un de vos collègues le
compte-rendu du dernier débat de l’EHESS sur le rôle et le fonctionnement
de l’ANR. Je regrette de ne pas en avoir été l’un des destinataires
directs ; cela m’aurait permis de m’adresser sûrement à la bonne personne.

Dans la mesure où l’on a retranscrit un certain nombre de mes
déclarations, je me sens autorisé à vous faire part -mais j’ignore si
c’est vous qui avez rédigé ce texte- d’un certain nombre de remarques
concernant la teneur de mon intervention. Je comprends par ailleurs la
difficulté de donner une version parfaitement fidèle de débats parfois
vifs et de bien traduire la pensée des intervenants lors d’échanges courts
et parfois passionnés. Je n’ai disposé que de quelques minutes pour
répondre à plus d’une heure et demi de remarques à charge contre l’ANR et
sans doute, sur un certain nombre de points, me suis-je mal expliqué ou
ai-je été mal compris.

Je me permets donc de revenir sur quelques points de mon intervention :

1 - Je vous suis reconnaissant d’avoir bien voulu rappeler que le
Département SHS est composé de scientifiques qui continuent à enseigner
dans leurs universités de région et que nous avons tous eu (et continuons
à avoir) des responsabilités au sein de nos équipes de recherche comme
devant nos étudiants ou dans des instances nationales (CNU ou CNRS).

Nous
ne constituons en rien ’une catégorie d’universitaires évaluateurs et
managers’ destinée à se perpétuer à l’ANR. Si celle-ci veut bien
fonctionner, il est nécessaire qu’il y ait un turn-over régulier et la
plupart d’entre nous ont pour vocation de retourner rapidement dans leur
université (Diane Roman, Professeure de droit public à l’Université de
Tours, Michel Fayol, Professeur de psychologie à l’Université Blaise pascal,
Jean Claude Rabier, Professeur de sociologie à l’Université de Lyon 2 et
moi même, professeur d’histoire ancienne à l’Université de Bordeaux).

2 - Je regrette que vous n’ayez pas rappelé un point important de mon
intervention : effectivement l’ANR met à la disposition des équipes des
sommes conséquentes et, à titre d’exemple, l’EHESS a reçu depuis 2005, 8,5
M euros : l’établissement est engagé dans 70 programmes et 33 équipes sont
impliquées. Devons-nous regretter que les équipes SHS disposent enfin de
moyens pour réaliser leurs projets de recherche. Avant même la création de
l’ANR, cela était rarement possible et je ne crois pas qu’il y ait eu
beaucoup de protestations quand on a mis en place à la fin des années 90
les ACI qui avaient comme objectif de pallier ce manque et qui eurent le
grand mérite d’introduire la culture du projet. Les AAP de l’ANR se
situent dans la continuité des ACI avec deux différences importantes :
d’abord les sommes mises à la disposition de la communauté scientifique
SHS ont triplé, voire quadruplé et d’autre part le champ des bénéficiaires
s’est considérablement élargi : sur plus de 600 équipes qui bénéficient
aujourd’hui des financements de l’ANR, pratiquement la moitié
est constituée de formations qui ne reçoivent aucun moyen du CNRS, et parmi
celles-ci 200 EA. Cela a complètement modifié la situation de la recherche
dans un grand nombre d’universités et je ne prends pas en compte le
montant du preciput (30 m euros sur 50) qui va directement aux établissements
pour leur
politique de recherche (cela équivaut à doubler le montant de leur BQR). La
création de l’ANR a aussi permis la mise à disposition au profit des
chercheurs d’une institution nationale du type de celle qui a fait ses
preuves aux USA, au RU, en Allemagne ou aux Pays Bas comme en Europe.

3 - Je me suis mal fait comprendre sur la question Thématiques/non
thématiques. La part des SHS à l’ANR n’est pas faible par rapport aux autres
départements quand il s’agit du programme blanc, puisque les SHS
représentent environ 12% du nombre de projets déposés et 10% des montants
alloués au titre du blanc et ces rapports sont fixes : si nous recevons
400 dossiers, une centaine seront financés et si nous en recevons 300, ce
sera 75. Donc le ’blanc’ et le programme JC sont ’protégés’. La faible
part des SHS à l’ANR provient du fait que nous avons relativement peu de
thématiques par rapport aux autres (2 à 4 sur une cinquantaine) et chaque
fois que nous proposons une thématique, nous recevons en moyenne 70
dossiers supplémentaires. Or, certains dossiers déposés en thématiques ne
le seraient jamais dans le blanc tandis que l’inverse n’est pas
vrai. C’est pourquoi je disais qu’augmenter le montant du non thématique ne
profitera certainement pas aux SHS dans la mesure où dans cette catégorie
d’appels d’offres nous ne dépasserons jamais 300 à 320 dossiers déposés
chaque année, tandis que chaque fois que nous lançons un Appel d’offre
thématique, nous finançons une vingtaine de projets SHS supplémentaires !

4 - Sur les notions de transparence et d’évaluation par les pairs. Je
rappelle que l’évaluation par les pairs est le système pratiqué par toutes
les agences du monde et par Bruxelles, à l’ERC, dans les ERANET ou encore
dans le programme cadre et que personne n’a jamais trouvé à y redire.

J’ajoute - et tous les scientifiques qui ont participé à nos comités
d’évaluation peuvent en témoigner - à aucun moment, le département
n’intervient pour modifier le choix des évaluateurs ; cette règle a été
scrupuleusement respectée. Par ailleurs, je maintiens qu’il y a une
parfaite transparence du choix des évaluateurs ; le comité est composé en
fonction des compétences scientifiques sur des propositions qui
émanent du CNRS, de la DGRI et des universités mais aussi des agences
étrangères puisque les comités sont composés pour un tiers d’étrangers.

Chaque année l’ANR fait appel à l’ensemble de la communauté scientifique
et ce sont des centaines de chercheurs qui participent aux trois phases de
la procédure, programmation, évaluation, suivi des projets. La liste des
scientifiques qui interviennent dans les différentes procédures est
systématiquement publiée sur le site de l’ANR et chaque porteur de projet
connaît la composition du comité qui a évalué son projet. Les critères sur
lesquels se fondent le choix des « évaluateurs » (membres de comité,
experts) sont connus : la compétence scientifique dans le champ de l’appel
à projet et la complémentarité des expertises, afin de garantir la
diversité académique. Tout est donc parfaitement clair et tout est
vérifiable (toutes les procédures de l’ANR sont contrôlées par une agence
indépendante qui veille à leur conformité avec les régles de transparence
et de déontologie). J’ajoute que ce qui se pratique à l’ANR est le
fait de toutes les agences internationales et que lorsque les pratiques de
chacune de ces agences sont confrontées, l’ANR n’a jamais à rougir de la
qualité de ses procédures et de la comparaison. Je redis ce que j’avais
déclaré : deux conditions doivent être remplies pour que le système
préserve la confiance ; la clarté et l’équité dans les procédures de
nomination et le turn over des évaluateurs.

5 - La question des post-doc. Sur ce point aussi, mes dires ont été très
librement interprétés, mais j’en suis sans doute le principal responsable.
L’ANR n’a pas mission de créer des postes de chercheurs permanents ; c’est
un fait. On peut en discuter autant que l’on voudra, mais ce type de poste
est incompatible avec la notion d’appels à projets. Il faut donc maintenir
ailleurs (CNRS et universités) le potentiel de scientifiques permanents.
Je n’ai jamais dit que les porteurs de projets étaient responsables de la
précarité, mais simplement qu’il fallait éviter d’accentuer la précarité
en faisant tourner à l’intérieur des projets financés un trop grand nombre
de post-docs. Un post-doc associé étroitement à un projet sur la totalité
de sa réalisation trouvera certainement un bénéfice scientifique à la
concrétisation de ce projet ; peut-être faudrait-il à ce sujet élaborer
une charte.

Le nombre de post-docs engagés dans le programmes ANR est considérable et
je me permets de corriger ce que dit l’un des intervenants : les 47 CDD
mentionnés représentent les postes ouverts par l’Appel d’offre sur les
retours de post docs de l’étranger (il y a eu 8 candidats en SHS cette
année) ; mais ce nombre n’a rien à voir avec le chiffre de post-docs
recrutés chaque année par l’ANR (1500 en tout, et entre 150 et 200 pour
les seules SHS !).

6- La question des réformes à apporter : que le fonctionnement de l’ANR soit
perfectible est évident. Nous travaillons, en concert avec les
scientifiques et leurs organismes, à diversifier et améliorer nos appels.
Le programme « retour des post doc » en témoigne. De même, nous
réfléchissons à ouvrir un appel pour les projets individuels de faible
montant ou encore à lancer des appels pluriannuels. Mais ces modifications
ne pourront résulter que d’un véritable débat apaisé et sincère avec tous
les acteurs de la recherche. Je ne veux pas entretenir la polémique sur le
rôle de l’ANR, mais je tenais à rectifier certains points. Je ne suis pas
sûr que ce soient deux conceptions de la recherche qui s’opposent, mais
certainement deux façons de l’organiser et je ne suis pas sûr que la
vision des scientifiques de l’ANR soit minoritaire si l’on prend en compte
la totalité de la communauté scientifique des SHS (chercheurs et
enseignants-chercheurs). Contrairement à ce qui a pu être dit par certains
intervenants lors du débat, l’adhésion de la communauté aux pratiques de
l’ANR est beaucoup plus large qu’on ne le pense et j’ai pu maintes fois le
constater lors des rencontres avec les scientifiques, que ce soit dans les
universités parisiennes ou dans les régions. Encore faut-il que tout le
monde dispose de l’ensemble des données que le dialogue puisse s’établir
et que les positions de chacun soient claires. Les miennes le sont : non,
les crédits de l’ANR n’ont pas amputé ceux du CNRS. Oui, il est nécessaire
de maintenir une part importante de crédits récurrents. Non, l’ANR n’a pas
mission de se substituer au CNRS qui doit avec les universités structurer
la recherche. Oui, la nouvelle organisation de la recherche doit reposer
sur trois éléments complémentaires qui doivent définir leur champ
d’activité (opérateurs, financement et moyen) et travailler ensemble,
les Universités, le CNRS et l’ANR.

En tant qu’universitaire, je réfute la qualification de professionnel de
l’évaluation et du ’managériat’ et je suis prêt à discuter de mes
conditions de nomination,, des « prérogatives » dont je bénéficie, de la
nature de mes fonctions, des méthodes et surtout du bilan. Je reste ouvert
à tout débat avec la communauté des chercheurs et des
enseignants-chercheurs à laquelle nous revendiquons, moi et mes collègues,
l’appartenance .

Vous ferez, cher collègue, l’usage qui vous semble approprié de ce texte.
Sans doute ai-je été trop long, mais croyez que je demeure, comme mes
collègues, ouvert à tout débat et à toute discussion.

Très cordialement

Jean-Michel Roddaz
Responsable Département SHS/ANR