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"Manifs : réussie à Paris, modestes en province", par Sylvestre Huet, Libéblogs, Sciences², 24 mars 2009

mardi 24 mars 2009, par Elie

La manifestation parisienne - la huitième en huit semaines !- et celles de province montrent que le mouvement de contestation des réformes gouvernementale cherche... son troisième souffle. Qu’il le trouve et Valérie Pécresse comme Xavier Darcos seront contraints d’opérer de nouveaux reculs, plus consistants et surtout plus globaux. Qu’il en reste là et les ministres passeront en force, quelqu’en soit le prix politique à payer... aux européennes ou aux régionales.

« Pour leur huitième manifestation, c’est bien. » Propos d’un policier chargé du comptage, hier devant la manifestation parisienne. En tête, outre les leaders syndicaux (dont Gérard Aschieri pour la FSU, Jean-Baptiste Prévost pour l’UNEF), Jean-Louis Fournel pour Sauvons l’Université et Isabelle This pour Sauvons la Recherche, deux personnages attirent caméras et micros : Pascal Binczak et Georges Molinié, présidents des universités Paris-8 Vincennes et Paris-4 Sorbonne avec leur banderole « Présidents d’Université pas contents ». Ma consoeur Sophie Bécherel de France Inter enregistre un Georges Molinié survolté, indigné, persuadé de représenter nombre de ces présidents « qui en ont marre de l’autisme gouvernemental, de la pagaille mise par Xavier Darcos avec ses manœuvres sur la formation des enseignants. » D’une élocution plus posée mais avec une détermination égale, Pascal Binczak répond aux questions de BFM TV.

Détail amusant : le policier annonce un chiffre nettement supérieur à celui qui sera donné par la police (5.000), pour un nombre de manifestants plus proche des 15 000 en raison de renforts - venus de Paris 3 Censier, des lycées Théophile Gautier (Paris 12ème), Henaff de Bagnolet, Paul Eluard de Saint Denis… - qui ont raté le départ et ont rejoint le cortège par la suite.

Derrière le peloton de tête, un gros morceau d’enseignants et d’étudiants des IUFM de la région parisienne. Bien alignés derrière un panneau Danger école, ils entonnent des chants choraux et revendicatifs, sifflent en cadence, et défilent en gilet jaune fluo... qui a dit que la discipline se perd dans l’école française ? Les suivent des groupes venus de pratiquement toutes les universités de la région parisienne. Ceux d’Orsay défilent derrière un « On ne lachera rien » tenu par les étudiants en Staps. La mission des manifestants est ainsi affichée : « pétrifier la réforme », annonce une banderole ornée d’une tête de Méduse, portée par deux étudiantes en lettres classiques de Paris-4. Paris 10 défile derrière des « Nanterre en colère » sur des drapeaux. Les étudiants en Arts Plastiques de Michelet Saint Charles (Paris-1) ont sortis leur immense banderole demandant à Nicolas Sarkozy : « Et là, tu nous vois ? ». je distingue un contingent rouennais et picard. Ainsi que des laboratoires comme l’Observatoire de Paris.

L’Inalco (Langue orientales) se signale par un défilé humoristique de l’Université du futur avec président-roi entouré d’une cours d’universitaires lèche botte entonnant des slogans à la gloire de leur « président manager ». Les pancartes annoncent les cours de Haoussa offert par China Nuclear Engineering, ceux de hindi par Mittal Steel, ceux d’arabe par... couscous Garbit. Sumie Terada porte une banderole verticale, logique puisqu’il s’agit d’idéogramme japonais signifiant « Grande braderie de la culture ». Et l’on peut se plonger dans cet océan de sagesse tibétaine : « savoir sans pouvoir n’est que crotte de yack ».

Pour l’instant, malgré la force et la durée inédite depuis mai 1968 de leur mouvement - même si les cortèges de province (Toulouse, Strasbourg, Grenoble, Nantes...) ont été moins fournis que les semaines précédentes - les universitaires et les chercheurs n’ont pas encore obtenu le recul « global », insiste Gérard Achiéri, qu’ils souhaitent. Sont-ils en mesure de maintenir la pression ? Dans la manifestation parisienne le ton était plutôt à la poursuite de l’action. Le Snesup, SLU et la coordination nationale étant sur cette ligne.

Témoin de cette détermination, celle de la Ronde infinie des obstinés, devant la mairie de Paris, où se rendait Danielle Tartakowsky (historienne à Paris-8), croisée boulevard Saint Michel après la manifestation. Même état d’esprit à l’A-G étudiante tenue à la Sorbonne que j’ai pu observer (merci à Georges Molinié de m’avoir fait passé le barrage de vigiles interposé par le Rectorat de Paris qui empêche les journalistes de faire leur travail). La pression très forte mise sur le président de Paris-4 par le ministère pour déclarer les personnels Biatoss en grève va faire que ces dernier ne pourront plus fermer les salles de cours... les étudiants ont donc décidé d’en sortir les chaises...

Dans cette perspective d’un prolongement des actions - dans la manifestation on me parle de « continuer jusqu’à Pâques », les universitaires vont aménager les examens - « on va échanger les devoirs sur table de fin d’année par des contrôles continus », me confie Pierre Emmanuel Berche, un professeur de physique de Rouen. Sur ce point, la ministre Valérie Pécresse a lancé l’offensive médiatique, relayée par France-Soir hier qui en a fait son titre de une.

Prochaine étape : le blocage du conseil d’administration du CNRS jeudi matin.

Ajout à 20h10 : le Snesup (photo Jean Fabbri son secrétaire général) vient de publier le communiqué suivant qui donne son analyse de la journée et relate l’action qu’il mène au Comité technique paritaire tenu ce jour, action d’interpellation de la ministre... et de retardement par la multiplication des interventions :

Plus de 30000 manifestants portant les revendications du supérieur et de la recherche ont manifesté partout en France. Partout, en France, des assemblées générales confirmant la grève (Artois, Lille 2, IUT de Tours, Poitiers, Reims...), organisant des initiatives spectaculaires (printemps des chaises, rondes des obstinés, etc.), confortent des mobilisations sur des revendications claires et précises que le gouvernement jusqu’ici ne veut pas entendre dans leur globalité.

Le SNESUP, tant dans les manifestations de ce jour qu’au comité technique paritaire des personnels de statut universitaire (CTPU), où il a bousculé le tranquille ordonnancement organisé par le ministère visant à la fois à fractionner les revendications et à faire avaliser les textes en catimini, a défendu l’ensemble des revendications avec force. Interpellé par le secrétaire général du SNESUP, la ministre a encore refusé d’apporter les éléments de clarification qu’appellent les universitaires et les étudiants sur la question de la mastérisation et des IUFM. 

Le SNESUP a défendu le maintien en l’état pour 2009-2010 des mêmes conditions d’inscription, mêmes lieux de formation, mêmes modalités de formation, mêmes IUFM et mêmes concours. La ministre n’a pu que reconnaître que rien ne s’y opposait, mais qu’elle n’était pas en mesure de le confirmer sans arbitrage interministériel. De la même façon, le SNESUP a réclamé une tout autre politique d’emplois, réclamant un plan pluriannuel et la transformation des dispositifs de "chaires mixtes". Le SNESUP s’oppose à cette heure à une transformation régressive du CNU.

Le décret statutaire, à 19 h 30, n’est toujours pas venu en discussion, les élus du SNESUP s’employant par la multitude de leurs interventions à contrecarrer les dispositifs élaborés jusqu’ici par le ministère qui constitueraient des régressions statutaires.

Paris, le 24 mars 2009 – 19 h 50