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Universités : des signes de radicalisation - Benoît Floc’h, "Le Monde", 13 mars 2009

vendredi 13 mars 2009, par Laurence

Le graffiti s’étale sur la façade de la faculté de droit. "Aristote, on sait où t’habites". Celui qui est ainsi ouvertement menacé n’est pas le philosophe grec, mais un étudiant en licence de droit à l’université de Nantes, Aristote Toussaint. Le jeune homme, qui ne nie pas son appartenance à l’UMP, a toujours clamé son opposition au blocage de l’université depuis six semaines. Visiblement, cela ne plaît pas à tout le monde.

C’est en tout cas un signe spectaculaire de radicalisation sur le campus nantais. L’université, forte de 34 000 étudiants, est l’une des plus mobilisées contre les réformes de l’enseignement supérieur. Des cours ont été interrompus depuis le début du mouvement, comme en droit.

Aujourd’hui, les signes de crispation se multiplient. "Depuis quinze jours, constate le doyen, Gilles Dumont, les risques de troubles viennent des bloqueurs comme des anti-bloqueurs." Lui qui, dès les premières journées de grève, avait décidé d’arrêter les cours car les étudiants mobilisés "menaçaient de tout saccager", a pris la décision inverse lundi 9 mars : "Il y avaient des battes de base-ball qui traînaient, et (les antibloqueurs) menaçaient d’aller faire le ménage", explique-t-il.

La reprise a été décidée dans la confusion générale. Le vote à bulletin secret a été empêché par les bloqueurs, emmenés par SUD-Etudiant, l’UNEF et d’autres organisations de gauche. Brouhaha, bousculades, évacuation, le doyen finit par proposer un vote à main levée. "Sur les 1 500 étudiants présents, il y a eu 15 voix contre, raconte-t-il. La reprise des cours permet aussi de reprendre la mobilisation, car le blocus renvoie les gens chez eux, isole et divise. Le blocus est sarkozyste."

Un argument que les étudiants mobilisés n’entendent pas. Par "ce vote aberrant et antidémocratique" dit-on à SUD, la fac de droit affaiblit un mouvement jusque-là "inter-UFR". Jeudi 12 au matin, après un nouveau feu de cageots improvisé sur le campus, une centaine d’entre eux emmenés par SUD et l’UNEF ont donc débarqué chez le doyen de droit et exigé que les cours soient "suspendus" lundi 16, lors de la prochaine AG.

"BLOCAGE ET SABOTAGE"

Ils venaient de l’UFR Lettres et sciences humaines, à deux pas de la fac de droit. Là aussi, la plupart des cours sont arrêtés. Mais le bâtiment n’est occupé, nuits comprises, que depuis trois jours, autre signe de radicalisation. Le hall est tapissé de banderoles qui réclament "Blocage et sabotage" ou proclament : "Enfants du capitalisme, c’est à nous de le détruire". Un drapeau noir flotte au milieu de l’escalier principal. "Depuis le début du mouvement, c’est le bâtiment d’en face qui était occupé pendant la journée", explique Joseph Pautet, étudiant en histoire, non syndiqué mais "impliqué sincèrement". Dans les dernières heures, "il y a eu des tags et du matériel abîmé. Ce n’est pas acceptable. Et nous avons aidé à nettoyer". "L’occupation" a dû déménager.

Les dégradations, Yves Lecointe, les redoute. "Ça a un coût", rappelle le président de l’université. En 2007, lors du mouvement contre la loi sur l’autonomie des universités, elles ont représenté "l’équivalent de trois postes d’enseignant-chercheur, soit 150 000 euros". En termes d’image, c’est aussi l’université qui "paie l’addition, car cela décrédibilise notre travail", ajoute-t-il. Sans parler des étudiants "les plus fragiles" qui ne peuvent se permettre de perdre une année.

"On trouvera un moyen de ne pas léser les étudiants. On a encore de la souplesse pour les examens", assure Hervé Lelourec, secrétaire local du Snesup (FSU), principal syndicat du supérieur. Selon lui, si radicalisation il y a, "elle est provoquée par une autre, celle d’un gouvernement qui propose de détruire tout ce à quoi l’on croit". Il se dit prêt à bloquer l’université, "si cela a l’aval du plus grand nombre".

Benoît Floc’h